Attentat Nice : Qu’allons-nous faire de « notre viande avariée » ?
Quatre islamistes radicalisés de nationalité tunisienne ont été expulsés de France au cours du dernier mois, c’est-à-dire bien avant l’attaque à l’arme blanche perpétrée par un autre tunisien dans la basilique Notre-Dame de Nice, a-t-on indiqué dans l’entourage du ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin.
Dans le même temps, la justice tunisienne demandera officiellement aux autorités françaises, l’extradition de l’auteur de l'attaque de Nice identifié comme étant Brahim Aissaoui, âgé de 21 ans, de nationalité tunisienne selon chef du bureau de l’information et de la communication et substitut du procureur du tribunal de première instance de Tunis Mohsen Dali.
Mis bout à bout ces deux nouvelles reposent de façon, cette fois-ci dramatique, puisque l’on est devant un attentat survenu dans une église, dont l’horreur le dispute à l’abomination, la question des centaines de milliers de Tunisiens aguerris au meurtre, à la décapitation et aux autres atrocités essaimés aux quatre coins du monde après avoir appris leurs sales besognes dans les foyers de guerre que furent et qui sont encore la Syrie, l’Irak, la Libye et l’Ouest africain.
Certes le profil de l’auteur de l’attaque de Nice ne fait pas partie de cette pègre, puisqu’il est trop jeune pour avoir trempé dans les atrocités commises dans ces zones de conflit, mais il est tunisien et comme tel il remet sur la table cette question que l’on a voulu éluder, celle des « djihadistes » qui portent la nationalité de notre pays. Ces tueurs peuvent réveiller le monde un de ces prochains jours sur d’autres attaques tout aussi sanguinaires et meurtrières qui font la honte de notre peuple si paisible d’ordinaire et l’aversion ainsi que la colère des autres peuples partout dans le monde.
Déjà en 2015, des experts de l’ONU ont estimé que le nombre de Tunisiens qui avaient rejoint les organisations extrémistes armées en Libye, Syrie, et Irak dépasse les 5500 combattants, alors que les autorités ont empêché 15 mille autres de rejoindre les foyers de tension. Elisabetta Karaska, chef d’un groupe de travail de l’ONU sur le recrutement des mercenaires, a affirmé que le nombre des Tunisiens parmi les combattants étrangers qui partent rejoindre les zones de conflit à l’instar de la Syrie et de l’Irak, est parmi les plus élevés.
Ce chiffre a été révisé depuis à la baisse, mais cela n’a pas empêché des sources plus fiables de considérer la Tunisie parmi les premiers pays exportateurs de djihadistes. Selon le magazine américain Foreign Policy, “près de 600 recrues de Daech sont Tunisiens”.
L’estimation date de 2018, mais quand bien même le groupe de « l’Etat islamique » a été vaincu dans son fief de Mossoul en Irak, ces djihadistes ne se sont pas évanouis dans la nature.
A un moment , il a semblé que l’on avait pris la question au sérieux. En effet, une commission nationale de lutte contre le terrorisme a été créée, conformément à la loi organique de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Cette annonce a été faite mardi à la présidence du gouvernement à la Kasbah. L’installation de cette structure s’inscrit dans le cadre de la démarche adoptée par le gouvernement dans son combat contre le terrorisme sur le court et le moyen terme, et ce, à travers la neutralisation des dangers qui menacent la transition démocratique, a-t-on souligné. Mais à part des listes de personnes, d’organisations et d’entités liées au terrorisme publiées de temps à autre au Journal Officiel, rien de concret n’a été accompli par cette structure gouvernementale.
De son côté, l’ARP au cours de la première législature (2014-2019) a bien constitué une commission d’enquête parlementaire portant sur les réseaux d’envoi de jeunes Tunisiens dans les zones de conflits, notamment en Syrie, en Irak et en Libye. Mais elle semble avoir échoué à remplir ses fonctions, car elle a fait dès sa constitution l’objet de tiraillements politiques, de polémique médiatique et de pressions exercées par certaines parties. Ainsi aucun résultat, rapport ou communication n’ont vu le jour pour éclairer l’opinion publique sur ce dossier lourd de conséquences.
A l’évidence, face à ce dossier, l’un des plus épineux que nous ayons eu à affronter, nous avons essayé de nous voiler la face croyant que l’on peut l’esquiver rien qu’en nous disant qu’il n’a jamais existé.
Peine perdue, parce qu’il nous a explosé plusieurs fois au visage. Comme à chaque fois qu’un attentat terroriste est perpétré près ou loin de nous, l’interrogation qui nous taraude est de savoir si son auteur est tunisien ou pas.
Ainsi à Nice, Brahim A. n’est pas le premier tunisien à avoir perpétré un attentat ayant fait des morts et des blessés parmi des personnes innocentes. Le 14 juillet 2016, un autre tunisien Mohamed L.B. s’était jeté au volant de son camion bélier sur la foule des promeneurs dans cette même ville semant la mort et l’horreur. On dénombrera 86 morts et des centaines de blessés.
Le 19 décembre de la même année une attaque terroriste, encore une fois au camion bélier a été commise au Marché de Noël à Berlin par un autre tunisien, Anis A. agissant pour le compte de Daech qui a revendiqué l’attentat. Le bilan macabre est de douze morts et une cinquantaine de blessés.
Nous nous devons de nous rappeler ces faits pour ne pas avoir à dire que le terrorisme nous est étranger et qu’il n’a ni patrie, ni race, ni religion. A l’évidence, c’est la Tunisie et les Tunisiens qui vont payer le prix fort pour les errements de compatriotes qui ont pris le mauvais chemin, le pire qui soit.
Il nous incombe de ne pas nous cacher derrière notre petit doigt et évacuer la question comme si elle n’existait pas. Le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi a affirmé que Daech et partant les « djihadistes » représentent « l’Islam en colère », une formule malheureuse qui cherche à dédouaner les auteurs d’actes violents. Il nous faut néanmoins nous pencher sur cette colère pour en comprendre les tenants et les aboutissants et tenter de lui trouver des voies pour la canaliser.
Le président de la République Kaïs Saïed en sa qualité de président du Conseil de la sécurité nationale a le devoir de prendre en charge ce fléau qui ternit l’image de la Tunisie et risque de lui porter un tort irréversible. « Chaque balle de terroriste sera suivie d’une rafale de balles de l’Etat », avait-il dit dans une rhétorique imagée qui est le propre de son discours. Mais est-ce suffisant pour arrêter cette calamité transfrontière ?
Il faut désormais s’attendre à ce que des pays comme l’Italie, la France ou l’Allemagne expulsent des Tunisiens radicalisés y compris parmi les binationaux. Ces pays ne peuvent tolérer plus longtemps que des étrangers ou considérés comme tels sèment la mort chez eux. Ils iront jusqu’à modifier leurs lois et même leur constitution si nécessaire pour avoir les instruments juridiques leur permettant de se débarrasser de ces mauvaises graines.
Ghannouchi a parlé de « viande avariée que devraient prendre en charge les siens », selon le proverbe tunisien. Il parait que son heure a sonné.
RBR
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