Bataille autour du projet de réconciliation économique

Bataille autour du projet de réconciliation économique

 

Depuis l’annonce, le 20 mars dernier, de l’initiative présidentielle relative à la réconciliation nationale dans le domaine économique  et financier, le débat est lancé et les réactions s’enchainent et les accusations fusent entre partisans et opposants.  Les répliques deviennent de plus en plus virulentes et les échanges plus vifs après l’élaboration d’un projet de loi organique de 12 articles pour concrétiser cette initiative et son adoption le 14 juillet dernier par un conseil des ministres exceptionnel présidé à Carthage par le chef de l’Etat. Ce projet qui ne fait, même pas, l’unanimité au sein de la coalition au pouvoir,  est attaqué de toutes parts par l’opposition parlementaire, l’Instance Dignité et Vérité, certaines organisations de la société civile dont l’UGTT et des défenseurs des droits de l’homme. L’opposition se mobilise et mobilise pour faire échec au projet  jugé « en contradiction avec le processus de la justice transitionnelle, voire anticonstitutionnel ». Dans un communiqué publié mardi 1er septembre, le Front populaire estime que ce 
projet de loi constitue « une violation flagrante de la Constitution et du processus de la justice transitionnelle et favorise le blanchiment de corruption et le pillage de l'argent public ». A son tour, la centrale syndicale qui a appelé, vendredi dernier, au retrait du projet sous sa forme actuelle, rappelle qu’elle est pour une réconciliation nationale « basée sur le respect de la Constitution, le consensus, la justice transitionnelle, la garantie de l’équité et de l’égalité et qui permet de démanteler les réseaux de corruption ». L’instance Vérité et Dignité, ne va pas, quant à elle, par plusieurs chemins. Elle considère que « ce projet valide et reconduit le mode de gouvernance autoritaire et mafieux ainsi que le modèle de développement économique où le copinage et l’extraction de rentes sont les moteurs du succès économique à l’origine de la crise que nous vivons en ce moment ».  Des associations tunisiennes à l’étranger donnent, à leur tour, de la voix en dénonçant un projet qui, «  S’il s’agit d’absoudre des mafieux, on ne voit pas en quoi cela va contribuer à renforcer l’économie du pays».

Les opposants au projet investissent les médias, multiplient les rencontres, les séminaires et les conférences de presse, et menacent même d’occuper la rue pour faire  barrage au projet, fustigé et littéralement voué aux gémonies. Ils fondent leur rejet sur des arguments constitutionnels, juridiques et « révolutionnaires ». Sihem Ben Sedrine qui, dans une tribune publiée dans la Presse, pense que «  les vrais enjeux dépassent de loin une absolution donnée à quelques brebis égarées. Il ébranle tout l’édifice institutionnel d’un Etat de droit bâti avec le sang des martyrs de la révolution et consacré dans la Constitution de la seconde république, dont le président est le garant institutionnel », est même accusée par son vice président Zouhaier Makhlouf qu’elle vient de révoquer «  de mener une croisade contre les institutions de l’Etat et de chercher du soutien auprès des ambassades étrangères ».

Ridha Belhaj, l’architecte du projet, seul contre tous

En face, les partisans du projet et en premier lieu ses initiateurs, forts du soutien d’une large majorité parlementaire et de la centrale patronale notamment, sont comme muets et semblent être en manque d’arguments. Pour le moment le directeur du cabinet présidentiel Ridha Belhaj, l’architecte du projet de loi, semble être le seul à défendre becs et ongles l’initiative présidentielle. S’il a exclu le retrait du projet de loi, il s’est, par contre, montré réceptif aux «  propositions sérieuses  et convenables dans le cadre du consensus national». Pour lui, « la réussite politique ne s’est pas accompagnée par une relance économique et sans cela les acquis politiques restent menacées ». La réconciliation économique s’insère bien dans le cadre de la justice transitionnelle, d’autant plus qu’il n’existe aucun obstacle juridique. Ce projet, a-t-il assuré, « devrait accélérer le traitement rapide et efficace des crimes d’ordre économique pour faire participer les hommes d’affaires aux efforts de relance économique du pays » et ce, dans le respect « des principes de la justice transitionnelle ».

Les dirigeants de Nida Tounes, le parti du Président de  la République, ainsi que ses députés, à part quelques uns qui montent de temps en temps au créneau pour défendre le projet, les autres ont comme avalé leurs langues et font comme s’ils n’étaient pas concernés. D’ailleurs, l’un d’eux aurait même lancé lors d’une réunion du bureau exécutif que le projet de réconciliation serait voué à l’échec ! C’est pourquoi Béji Caid Essebsi s’est, encore une fois, tourné vers son « ami de trois ans » Rached Ghannouchi pour mobiliser en faveur du projet.

La rue porteuse de tous les dangers

Dans ce genre de situation, il ne suffit pas de compter sur sa majorité parlementaire pour faire passer un projet de loi très critiqué dès le départ. Il faut, plutôt savoir mobiliser, bien communiquer et convaincre. Il faut également écouter les autres, entendre d’autres voix, sans tomber dans la vexation ni dans l’intimidation, ni encore moins dans les menaces. Et c’est pareil pour les deux parties. La fronde sociale et politique à laquelle appellent certains, même de l’intérieur de l’enceinte parlementaire, n’a pas sa raison d’être dans une jeune démocratie encore fragile et dans un pays sous plusieurs menaces, terroristes surtout.  Tout doit passer par le dialogue, d’abord  au niveau de l’Assemblée des représentants. Par des tractations parlementaires et entre initiateurs du projet et ses détracteurs, à travers des débats publics et dans les médias.

Le projet pourrait-être modifié et amélioré au sein de la commission parlementaire et à la lumière des séances d’écoutes des parties consternées et de certains experts en la matière. C’est par la communication qu’on pourra gagner la bataille autour de ce projet. Mais pas par la rue, porteuse de tous les dangers.

Brahim OUESLATI