Campagne présidentielle: Le plus grand danger qui guette le pays est celui de la division

 Campagne présidentielle: Le plus grand danger qui guette le pays est celui de la division

Encore quelques jours nous séparent du scrutin présidentiel qui s’annonce serré entre trois ou quatre favoris. La campagne électorale qui touche à sa fin n’a pas été exempte de dérapages et semble, même, prendre  une sale tournure entre les principaux candidats.

L’analyse lexicométrique de leurs discours montre que leur communication et celle de leurs équipes de campagne, voire de leurs partisans, est centrée beaucoup plus sur la critique de l’adversaire et sa diabolisation que sur l’explication du programme et la mise en valeur des qualités du candidat.Des éclats qui tranchent avec un début de campagne timide et discret aussi bien sur le terrain que dans les médias.Pendant ce temps, les supputations et les calculs vont bon train et différents scénarios  sont concoctés.

BCE attaqué sur son âge

Le premier à pâtir des attaques ciblées est le candidat du Nida Tounes BéjiCaied Essebsi. « Vieilli, usé et fatigué » est le triptyque  qui revient sur les lèvres de certains de ses adversaires. Avec une volonté délibérée d’abîmer, de rogner et de casser l’image d’un homme en comptant le nombre de ses années. Attaquer un adversaire sur son âge n’est-il pas indigne d’un homme politique  qui, de surcroît, brigue la magistrature suprême ? «  Ceux qui m’attaquent sur mon âge et propagent des rumeurs sur mon état de santé, ne sont ni intellectuellement, ni moralement à la hauteur», a répliqué le vieux routier de la politique qui se pose comme le seul et unique héritier de Bourguiba.

Pour la petite l’histoire, ce triptyque d’adjectifs a été utilisé par l’ancien Premier ministre français Lionel Jospin, candidat à l’élection présidentielle de 2002, pour attaquer son rival d’alors Jacques Chirac. Attaque qui avait soulevé un tollé dans la classe politique française. La suite, on la connait, Jospin avait été battu au premier tour par J.M Le Pen. Et c’est Jacques Chirac qui a avait été élu au second tour par plus de 80% des voix. Grâce au vote utile qui avait barré la route de l’Elysée au candidat de l’extrême droite.

Nida Tounes et Ennahdha ensemble ?

En si peu de temps, BCE a réussi à faire de son parti Nida Tounes, un élément incontournable dans l'échiquier politique national, avant de le mener à la victoire dans les élections législatives du 26 octobre dernier. Ce succès n’a pas plu aux partis de la défunte troika et à d’autres qui, hormis Ennahdha, ont été complètement laminés. Mais ils continuent à entretenir l’espoir de porter l’un des leurs à la présidence de la République. L’échec de l’initiative de l’ancien président de la Constituante, dont le parti n’a remporté aucun siège dans la nouvelle Assemblée,pour le choix d’un candidat consensuel ne l’a pas  dissuadé à continuer sa course vers Carthage.

Et même si Ennahdha, de crainte de miser sur un cheval perdant,n’a pas publiquement soutenu un candidat, alors que les prétendants se bousculent au portillon de Montplaisir, bon nombre de ses partisans ont déjà jeté leur dévolu sur le président provisoire Moncef Marzouki, le seul candidat, d’après eux, capable de renverser la vapeur et de créer l’équilibre au sein de l’Exécutif à deux têtes et se dresser contre « ettaghaouel », entendre la prédominance d’un parti, sur la scène politique nationale en s’emparant de toutes les institutions, Présidence de la République, Parlement et Gouvernement.

Le discours apaisant et conciliateur des dirigeants du Nida Tounesn’a pas convaincu les tenants de la démarcation entre les deux présidences, de la République et du Gouvernement, qui continuent à brandir la menace du retour à la dictature et des « taghouts ». D’ailleurs, le parti vainqueur des élections, quoi que sans majorité absolue, n’a pas encore engagé des concertations pour la formation du nouveau gouvernement préférant attendre le verdict du scrutin présidentiel.

Mais rien n’est exclu, y compris un gouvernement de coalition nationale où Nida Tounes et Ennahdha siègeraient ensemble avec deux ou trois autres petites formations. Selon les différents cas de figure potentiels, et même si généralement, en politique il n’y a pas de supputations,  en cas de victoire de Béji Caied Essebsi,  le perchoir irait à Ennahdha et la Kasbah à une personnalité indépendante.

Hamma Hammami, le troisième homme ?

Mais il n’y a pas que ces deux partis, le Front populaire a son mot à dire sur la constitution du prochain gouvernement et sur sa ligne de conduite ainsi que sur l’évolution de la prochaine étape. Son porte-parole Hamma Hammami, revigoré par la victoire de sa formation et adoubé par les médias, croit plus jamais que « que l'aigle de la victoire a pris son envol ».  « L’enfant du peuple », a réussi à se distinguer, au milieu de cet embrouillamini, grâce à une bonne opération de communication et à un nouveau discours fluide et dynamique qui tranche avec le discours révolutionnaire ponctuée par son fameux leitmotiv  « non à tout et à tous ».  Moins intransigeant, plus aguerri, il a revu sa doxa et s’est positionné comme un candidat moins sectaire et plus ouvert. Une position qui traduit une inflexion stratégique. Celui qu’on présente comme le troisième homme pourrait créer  la surprise dimanche prochain.Tout comme le président de l’UPL SlimRiahi qui se voit déjà à Carthage !

Une campagne sale

Le contexte politique a changé après le scrutin législatif et on doit composer avec la nouvelle donne. Le pays est entré dans une nouvelle étape de son histoire récente avec un processus qu’on veut irréversible, mais qui reste encore fragile.

Les discours et autres messages intimidants qui incitent à la haine et prônent la peur de l’autre et diabolisent l’adversaire font peser plusieurs menaces. Ils pourraient  provoquer  des divisions au sein de la société et entre les régions  et engendrer des cycles de violence et de représailles. Le populisme affiché par certains candidats qui se posent comme les « présidents » des pauvres et des régions déshéritées, fait peser le risque d’approfondir davantage le fossé entre le monde rural et le monde urbain.
 
Malheureusement, le débat ne s’est pas centré sur le fond des projets et des programmes, c’est pourquoi la fin de la campagne est devenue franchement sale, viscérale, avec des échanges de calomnies dont peu de candidats ont été épargnés.Le plus grand danger qui guette le pays c’est celui de la division.

Par Brahim Oueslati