Crise politique : Kaïs Saïed reprend la main, mais en fera-t-il bon usage

Crise politique :  Kaïs Saïed reprend la main,  mais en fera-t-il bon usage

 

Les événements se sont précipités en ces trois premiers jours de la semaine. Lundi matin, Kaïs Saïed convoque le chef du gouvernement et le chef de l’UGTT pour leur dire que tout ce qu’on faisait courir de rumeurs sur son éventuelle approbation de « concertations devant aboutir au départ du chef du gouvernement ne sont que mensonges et balivernes ».

Ce qui avait été compris comme une réitération de la confiance qu’il lui a témoignée en le choisissant comme la personne la plus apte à former le gouvernement en février dernier. Saïed a affirmé qu’il n’interviendrait en aucune façon tant que le chef du gouvernement est « dans la plénitude » de ses fonctions.

Il a d’ailleurs laissé entendre que la partie qui voudrait lui trouver un remplaçant, à savoir le Mouvement Ennahdha ne peut que le faire par la seule voie constitutionnelle qui se présente à elle, c’est-à-dire à travers une motion de censure déposée au Parlement.

Le prenant au mot, le parti de Rached Ghannouchi réunit son conseil de la Choura, sa plus haute instance décisionnelle et décide d’engager la procédure de la motion de censure qui pour être déposée au bureau d’ordre de l’ARP doit réunir les signatures d’au moins 73 députés, soit le tiers des élus du Parlement.

En quelques heures, ce qui était considéré comme une démarche longue et laborieuse s’est révélée être d’une facilité déconcertante. En quelques heures, ce ne sont pas 73 députés qui signent la motion mais bien 105 venant du reste d’horizons divers, d’Ennahdha bien évidemment, de Qalb Tounes et Al Karama, ce qui était attendu mais d’autres groupes et de députés non-inscrits.

Ainsi, il était apparu clairement que l’initiative allait échapper au président de la République. Si 109 députés votent la motion de censure, ils sont capables par la même occasion de choisir un chef de gouvernement alternatif que le chef de l’Etat sera forcé de nommer.

Sentant le danger, Kaïs Saïed convoque précipitamment Elyès Fakhfakh en compagnie de Noureddine Taboubi sans oublier cette fois-ci le président de l’ARP et chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi.

Selon le compte-rendu de la présidence de le République, Kaïs Saïed a annoncé au cours de la rencontre avoir reçu dans la matinée la démission d’Elyès Fakhfakh de la présidence du gouvernement.

Ce qui serait une manière de tordre le cou à la vérité. Puisque des sources concordantes affirment que c’est le président de la République qui a demandé à Fakhfakh de démissionner. Le même compte-rendu le suggère puisqu’il affirme que la rencontre a été consacrée à la recherche des voies pour sortir de la crise politique actuelle tout en soulignant la nécessité de mettre l’intérêt de la Tunisie au dessus de toutes les considérations.

Le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de régler les problèmes conformément aux dispositions de la Constitution, tout en réitérant son souci de ne pas entrer en confrontation avec qui que ce soit. L’Etat doit rester au-dessus de tout et la justice doit suivre son chemin sans que la dignité de qui que ce soit ne soit touchée.

Si la dernière phrase concerne la question du conflit d’intérêts dont Elyès Fakhfakh est accusé, la référence à la Constitution indique que l’initiative est désormais dévolue au président de la République.

Selon l’article 98 de la Loi fondamentale en cas de démission du chef du gouvernement, c’est le président de la République qui charge la personnalité la plus apte pour former un gouvernement conformément aux dispositions de l'article 89.

Ce dernier article dispose que le président de la République engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte, en vue de former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois.

En cas d’échec, le président de la République peut décider la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple et l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours.

Lors de la précédente phase qui s’est soldée par le choix d’Elyès Fakhfakh, Kaïs Saïed s’est contenté de « concertations épistolaires » avec les chefs des partis et des blocs parlementaires.

Procédera-t-il de la même manière ou bien tentera-t-il d’autres voies. Et surtout quels partis et organisations va-t-il privilégier pour mettre en place un gouvernement viable. Rien dans les textes ne lui impose quoi que ce soit.

Mais en reprenant la main qui risquait de lui échapper et revenir à Ennahdha et en faisant la part belle à l’UGTT, il semble avoir choisi avec qui il compte composer.

Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama ne risquent-ils pas d’être dans ces conditions les dindons de la farce ?

La crise va être réglée espère-t-on. Ce n’est pas si sûr !

RBR

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