De la misère au prestige : l’incroyable destin de « l’assida zgougou »

De la misère au prestige : l’incroyable destin de « l’assida zgougou »

Derrière la douceur crémeuse servie chaque année au Mouled, se cache un récit de survie et de résilience. L’assida zgougou, aujourd’hui symbole festif et familial, est née des famines et des privations qui ont marqué l’histoire de la Tunisie.

Peu de Tunisiens imaginent, en dégustant leur « assida zgougou » au Mouled, date d’anniversaire de la naissance du prophète Mohamed, que ce met raffiné plonge ses racines dans des périodes de grande détresse. Derrière la crème onctueuse garnie de pignons, de pistaches et d’amandes caramélisées, se cache en réalité l’histoire d’un peuple qui a su transformer la contrainte en tradition et la survie en art culinaire.

Les graines de pin d’Alep, abondantes dans les forêts du Nord-Ouest du pays (Kef, Siliana, Jendouba, Béja), n’avaient longtemps qu’un statut modeste : un simple produit forestier, cueilli par nécessité plutôt que par gourmandise. C’est lors de la grande famine de 1867-1868, marquée par la sécheresse, les épidémies et la pression fiscale sous Mohamed Sadok Bey, que le zgougou devint une ressource vitale. Privées de blé et d’orge, les familles montagnardes réduisirent ces graines sauvages en poudre pour en faire une bouillie nourrissante, souvent leur unique repas quotidien.

L’expérience se répéta lors des pénuries provoquées par la Première Guerre mondiale (1914-1918), puis par la Seconde (1939-1945), quand l’administration coloniale française réquisitionnait les céréales, aggravant la faim dans les campagnes. Le zgougou, longtemps relégué au rang d’aliment de substitution, s’imposa alors comme un compagnon fidèle des périodes de crise.

Mais peu à peu, cette nourriture de survie se transforma en une tradition culinaire porteuse de mémoire. Dès le début du XXe siècle, les migrants du Nord-Ouest installés à Tunis introduisirent la recette dans la capitale. La bouillie rustique devint alors une crème raffinée, parfumée de vanille, garnie de fruits secs et présentée dans de grandes coupes lors du Mouled. Le zgougou passait du statut de plat de nécessité à celui de mets de prestige, au point de devenir, au fil des décennies, un véritable concours de savoir-faire et de générosité au sein des familles tunisiennes.

Aujourd’hui, l’assida zgougou n’est pas seulement une douceur festive : elle est un marqueur identitaire, un rendez-vous gustatif qui réunit les familles, ravive les souvenirs et suscite aussi des débats. Son prix élevé, qui augmente chaque année, soulève des interrogations sur l’inégalité d’accès à cette tradition populaire. Entre nostalgie et modernité, le zgougou demeure pourtant un pilier du patrimoine culinaire tunisien, rappelant qu’au cœur de chaque cuillère de crème, il y a une histoire de résilience et de transmission.

B.O 

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