Dominique de Villepin à Tunis : un visiteur pas comme les autres

Dominique de Villepin à Tunis : un visiteur pas comme les autres

Candidat potentiel à l’élection présidentielle française de 2027, M. Dominique de Villepin a effectué récemment une visite remarquée en Tunisie, à l’invitation de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE). Sa présence s’inscrivait dans le cadre de la 39ᵉ édition des Journées de l’Entreprise, organisées du 11 au 13 décembre 2025 à Sousse, autour d’un thème central et hautement stratégique : « L’entreprise et le nouvel ordre économique ».

L’initiative de l’IACE mérite d’être saluée. En conviant des personnalités politiques de premier plan, susceptibles d’accéder demain aux plus hautes fonctions dans leurs pays respectifs, l’institution tunisienne fait preuve d’une vision prospective rare. Ces figures, encore dégagées des contraintes immédiates de l’exercice du pouvoir, offrent souvent un regard plus libre, plus lucide et moins formaté que celui des dirigeants en fonction.

La participation active de Dominique de Villepin aux débats a conféré une dimension politique, diplomatique et géostratégique aux échanges économiques. Ancien Premier ministre, ex-ministre des Affaires étrangères et diplomate de carrière, il incarne une tradition française singulière, héritée du gaullisme, fondée sur l’indépendance de décision, le multilatéralisme et le primat du droit international.

Cette posture reste indissociable de son discours resté célèbre au Conseil de sécurité des Nations unies, le 14 février 2003, lorsqu’il s’opposa avec force au projet d’intervention militaire en Irak. Face aux grandes puissances engagées dans une logique de guerre, de Villepin avait alors plaidé pour une solution politique, avertissant que l’usage de la force risquait de déstabiliser durablement le Moyen-Orient. Ce discours, salué dans une grande partie du monde arabe et au-delà, avait fait de lui l’un des rares responsables occidentaux à incarner une voix de courage diplomatique, capable de dire non à la guerre au nom du droit et de la paix.

Plus de vingt ans plus tard, cette cohérence intellectuelle se retrouve dans sa position sur la guerre à Gaza. Dominique de Villepin s’est distingué, en France comme sur la scène internationale, par un discours critique sans ambiguïté à l’égard de la logique de destruction massive, dénonçant une punition collective infligée au peuple palestinien, appelant à un cessez-le-feu immédiat, au respect du droit international humanitaire et à une solution politique fondée sur deux États. À contre-courant de nombreux responsables occidentaux, il assume une position qui lui vaut autant de soutiens que de critiques, mais qui renforce son image d’homme d’État fidèle à ses principes.

Dans ce contexte, on aurait souhaité que M. de Villepin soit reçu de manière officielle par un haut responsable tunisien : la cheffe du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères, voire le président de la République en personne. Ce type de diplomatie parallèle, discrète mais souvent déterminante, a largement démontré son efficacité dans le renforcement des relations bilatérales entre la Tunisie et des puissances économiques majeures, dont la France. Une approche soulignée par l’ancien diplomate Ezzeddine Zayani, dans une publication sur les réseaux sociaux.

Zayani a d’ailleurs rappelé une occasion manquée emblématique. En 2016, sous le gouvernement de Youssef Chahed, une personnalité politique et économique de renommée mondiale avait visité la Tunisie pour participer à une conférence internationale. Ignoré à la fois par les responsables de l’époque et par les médias, il s’agissait de M. Mahathir Mohamad, ancien Premier ministre de la Malaisie, artisan du redressement spectaculaire de son pays et figure respectée du monde musulman et asiatique.

Mahathir Mohamad est resté célèbre pour cette formule saisissante, prononcée lors d’une conférence ministérielle des pays musulmans :
« En Malaisie, pour aller travailler le matin, notre qibla est Tokyo ; le soir, lorsque nous rentrons chez nous pour prier, notre qibla est La Mecque. »
Une leçon de pragmatisme économique, de discipline stratégique et de hiérarchisation des priorités, qui aurait mérité une attention bien plus soutenue.

La visite de Dominique de Villepin en Tunisie rappelle ainsi une évidence trop souvent négligée : savoir recevoir, écouter et anticiper constitue l’un des fondements d’une diplomatie intelligente et efficace. À l’heure des recompositions économiques, politiques et géopolitiques mondiales, la Tunisie gagnerait à institutionnaliser ce type d’ouverture, en misant sur les réseaux d’influence de demain, plutôt que de se limiter aux équilibres figés du présent.

B.O 

 

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