Elections municipales : et si la communication a fait toute la différence !

 Elections municipales : et si la communication a fait toute la différence !

 

On peut disserter à longueur de colonnes et en long et en large sur les plateaux radio et télévision sur les raisons de la désaffection des Tunisiens pour les élections municipales, leur désintérêt pour un monde politique auquel ils ne s’identifient guère, rien ne pourra éluder le fait que c’est un message fort qu’ils ont adressé, à l’occasion des élections municipales du 6 mai, aux partis politiques d’abord et à la classe politique ensuite et surtout, sans faire la distinction entre la majorité au pouvoir et l’opposition.

La montée en flèche des listes indépendantes qui ont créé la surprise et pris la tête dans l’ensemble des votes est un sérieux indicateur que les Tunisiens ne se reconnaissent plus dans les mouvements politiques sensés leur servir d’élite.

Ce triomphe de l’antisystème est-il dangereux ? Si ce n’est pas le cas car le peuple souverain a toujours raison, il doit interpeller sérieusement les partis politiques qui ne semblent pas donner à ce changement radical l’intérêt qu’il mérite ?

Certes, un scrutin local donne l’occasion à des notabilités, dans le sens noble du terme, bien ancrées dans leurs régions de briller et d’attirer l’électorat, leur donnant ainsi une double prime à la proximité et à la notoriété, mais quand la victoire devient triomphe et que cela fait tâche d’huile jusqu’à devenir un phénomène d’ordre national, il ne peut que traduire une attente voire même un souhait.

Ces listes indépendantes sauraient-elles s’agréger pour former la plateforme d’une nouvelle configuration politique dans le pays ? Même s’il est irréaliste et irréalisable, c’est le souhait formé par un grand nombre de Tunisiens.

Sous d’autres cieux cela a été possible mais là-bas il y a une longue histoire démocratique et la rencontre avec un leader charismatique qui a su faire de désirs épars un mouvement politique. Ici je veux parler d’Emmanuel Macron et de son mouvement « la République En Marche » qui lancée en 2016 a permis à l’actuel chef de l’Etat français d’occuper l’Elysée et de se donner une confortable majorité à l’Assemblée nationale, du jamais vu dans l’histoire de France. Mais là est une autre histoire.

En revanche, si les forces politiques en présence chez nous ont paru sortir laminés de ce scrutin puisque les deux grands partis, Nidaa Tounés et Ennahdha ont perdu respectivement les deux tiers et la moitié des effectifs qu’ils ont pu engranger au cours des dernières élections législatives, il ne fait pas de doute que le mouvement islamiste a limité les dégâts, car tout compte fait il a gardé le cœur de sa cible.

Le noyau dur de l’électorat islamiste n’a pas fait défaut. Ce qui est le propre des partis idéologiques. Traversé lui-aussi par les difficultés dues au mécontentement d’une partie de sa base qui ne se reconnaît pas dans les choix de sa direction, Ennahdha a maintenu les plus disciplinés de ses partisans. Il a aussi séduit à sa marge comme le montre la présence parmi ses candidats de personnes non estampillées islamistes ni dans leur mode vestimentaire ni dans leur état d’esprit.

Il faut dire que le parti islamiste a mis à contribution une communication moderne menée tambour battant au cours de la campagne électorale et à l’issue du scrutin. Le président du mouvement Rached Ghannouchi a été à la tête de ses troupes ne lésinant pas sur les efforts pour faire passer le message de son parti.

Même si certains slogans ont paru populistes et parfois naïfs, ils ont porté auprès de certaines franges de l’électorat, car ils ont été en adéquation avec certaines attentes. Dans tous les cas la perception qu’on avait d’un parti confortablement installé dans le paysage politique, actif sinon hyperactif a été positive et payante.

Ce qui n’a pas été le cas de Nidaa Tounes qui est paru lui par contre lent à la détente. Sa direction n’a pas été mise à contribution comme l’aurait souhaité sa base. En tout cas elle ne s’est pas mobilisée comme il se devait. Par manque de réflexe ou par la distance maintenue depuis longtemps entre la direction et la base.

On n’a pas beaucoup entendu le directeur exécutif Hafedh Caïd Essebsi dans les meetings électoraux. Les ministres nidaïstes n’ont pas été audibles non plus car ils étaient tiraillés entre leurs fonctions administratives qui impliquaient une inévitable neutralité et leurs missions politiques qui les en dispensaient. Mais l’équilibre était difficile à réaliser.

Le président de la République et le Chef du gouvernement dont tout le monde sait qu’ils sont nidaïstes ont tenté de remplir le vide, mais ils ne pouvaient s’engager que timidement dans cette voie pour ne pas sortir de leur rôle fédérateur.

De plus, les recrues du Nidaa à qui on a confié la tâche de conduire sa communication ont lamentablement échoué. Alors que leur mission était d’expliquer, de convaincre et de séduire, ce qui est la règle élémentaire de la communication politique, Borhen Bsaies et Wassim Saïdi, les communicateurs patentés de Nidaa Tounés ont brillé par leur arrogance, leur agressivité et une certaine suffisance se permettant même d’entrer en conflit avec leurs interviewers, ce qui est dans tous les cas inacceptable, pour ne pas dire intolérable car l’auditeur s’identifie plus avec le journaliste qu’avec son invité.

Sans parler des fautes en communication comme celles que vient de commettre Foued Bouslema qui se présente comme le chargé de la communication au sein de Nidaa Tounés et qui, commentant l'éventualité pour la tête de liste d’Ennahdha Souad Abderrahim de devenir maire de Tunis, avait cru devoir dire « qu’une femme ne peut pas occuper le poste de maire de Tunis car cela s’oppose à nos traditions religieuses. »

Même si Nidaa Tounés a désavoué ses propos en affirmant que ses positions n’engagent que lui et ne représentent pas la position officielle du parti, le mal est fait et il peut être irréparable. Il ne fait pas de doute que le recul de Nidaa Tounés est dû aussi à d’autres facteurs, mais il est certain que sans une prise de conscience des lacunes de ce parti, il s’engage dans une voie qui ne peut mener qu’à sa perte.

Ce qu’on ne peut que regretter car personne ne peut mettre en doute le fait avéré que ce parti a permis le rééquilibrage du paysage politique. De plus des partis politiques forts et structurés sont une garantie certaine pour la démocratie naissante que la Tunisie est en train de bâtir contre vents et marées.

Sans examen minutieux des causes de la désaffection de l’électorat et sans décisions sérieuses et peut être douloureuses, si nécessaire, pour corriger la trajectoire, Nidaa Tounes, et à un degré moindre Ennahdha, ainsi que les autres formations politiques auront du mal à être en adéquation avec les Tunisiens dans la perspective des échéances autrement plus décisives que sont les législatives et la présidentielle de 2019.

Si le monde politique ne tire pas les leçons, le divorce avec les Tunisiens risque d’être irrévocable. Et comme la nature a horreur du vide, les « indépendants » seront en mesure d’occuper l’espace pour peu qu’ils le veuillent bien.

RBR

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