Gouvernement Fakhfakh : la pire décision ou un moindre mal

 Gouvernement Fakhfakh : la pire décision ou un moindre mal

 

Depuis le milieu de l’après-midi de ce samedi 15 février tout le monde savait que le Mouvement Ennahdha par le truchement de son conseil de la Choura pris une décision lourde de conséquences. Il tranche dans le vif en décidant de se retirer du gouvernement d’Elyès Fakhfakh et de ne pas lui accorder sa confiance s’il venait à la solliciter au Parlement.

Dès lors la rencontre prévue en début de soirée entre le président de la République Kaïs Saïed et Fakhfakh au cours de laquelle ce dernier devait présenter la composition de son équipe n’avait plus de sens. Pourtant elle est maintenue. Elle est d’ailleurs plus longue que prévue. Les deux hommes, alliés pour le meilleur et cette fois pour le pire voulaient peaufiner leur réponse à la décision du mouvement Ennahdha qui semble les avoir pris de court.

En effet un jour auparavant et suite à un entretien avec Kaïs Saïed, le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi assurait que son Mouvement accorderait sa confiance au gouvernement Fakhfakh quelle que soit sa configuration, car ajoute-t-il, le chef de l’Etat marquait son impatience devant les atermoiements de la classe politique. Le porte-parole d’Ennahdha Imed Khemiri se montrait plus rassurant. Le Mouvement accordera sa confiance même s’il ne fait pas partie du gouvernement.

Dès lors la décision prise en couperet- puisqu’elle se veut irréversible- a surpris et mis dans l’embarras le couple Saïed-Fakhfakh et il lui fallait imaginer la réplique. Fallait-il que le chef du gouvernement désigné jette l’éponge et rende son tablier au président de la République qui l’a choisi comme « la personnalité la plus apte » à former le gouvernement.

L’a-t-il envisagé que le président de la République le lui aurait déconseillé. Car pour l’un comme pour l’autre c’est un cinglant désaveu. Ils n’ont d’ailleurs pas oublié que Ghannouchi avait qualifié le choix de Fakhfakh de « mauvais ».

S’ils balaient d’un revers de main cette éventualité, que leur reste-t-il comme possibilités. La première a été conseillée par le secrétaire général du Courant démocrate Mohamed Abbou. Elle consisterait à changer au pied levé les ministres proposés par Ennahdha par des personnalités indépendantes et à adresser la liste au Parlement pour qu’il fixe une date pour la séance de vote de confiance.

La chose est possible, puisqu’il suffit à Fakhfakh de puiser dans la liste des ministrables qu’il s’est constitué. Il s’agit ni plus ni que d’un passage en force, tout à fait possible. Ennahdha sera dès lors mis devant ses responsabilités. Si le gouvernement n’obtient pas la confiance du Parlement ce sera de sa faute. Le Mouvement de Rached Ghannouchi en sera pour ses frais. Ce sera un argument qui devrait être utilisé contre lui pour la campagne électorale qui devrait précéder les élections législatives anticipées devenues incontournables.

Mais le passage en force ne manque pas de risques car il crisperait l’atmosphère politique déjà largement assombrie. Surtout qu’il porterait sur la place publique le conflit latent et encore larvé entre le président de la République et le président du Parlement. Kaïs Saïed voudrait-il en prendre le risque.

La seconde a été celle qui a été retenue. Elle consiste à prendre l’opinion publique à témoin en dévoilant la liste à laquelle le chef du gouvernement désigné est parvenu en insistant sur l’appartenance politique de chaque membre. Pour montrer que le parti Ennahdha qualifié de « partenaire principal » dispose dans son équipe de la part du lion. De quoi rendre inopérant l’argument selon lequel le parti de Ghannouchi n’a pas obtenu la part compatible avec son poids au sein du Parlement.

Il s’agit ensuite de mettre en évidence que le retrait « une heure avant l’annonce de la composition du gouvernement » du Mouvement Ennahdha est motivée par « la non association du parti Qalb Tounes à la coalition gouvernementale ». Si c’est lui qui le dit c’est que c’est vrai. Une manière aussi de mettre dos à dos les deux premiers partis à l’ARP.

Enfin, Fakhfakh de concert avec Saïed veut tempérer en laissant le temps au temps selon la fameuse formule prêtée à un ancien président français. « L’option d’Ennahdha ayant mis le pays face à une situation difficile qui nécessite d'examiner les choix constitutionnels, juridiques et politiques disponibles », la décision prise « en signe de responsabilité » consisté à profiter des délais constitutionnels restants pour choisir l'option appropriée d'une manière qui sert l'intérêt supérieur du pays ».

Le Mouvement Ennahdha est placé dans une position inconfortable. Comment pourrait-il en sortir aux moindres frais. La balle est désormais dans son camp. C’est du moins ce que cherche à faire peser sur lui le couple Saïed-Fakhfakh.

Le temps est compté aux uns et aux autres, car la date limite expire le 19 février 2020.

RBR

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