Il aura divisé le Soudan

Il aura divisé le Soudan

Par JAMEL HENI

Selon Reuters  le président Soudanais Béchir aurait démissionné ce matin. Il serait assigné à résidence. L’armée pourrait l’annoncer incessamment, au moment où ces lignes sont publiées. Si cette information est confirmée, les trente ans au pouvoir du Congrès national, à la faveur d’un putsch militaire en 1989, n’auraient pas tenu face à trois mois de grogne.  

Derrière l’égérie soudanaise devenue célèbre pour son hymne à la liberté, derrière le regard sensuel de la communauté internationale, se cache un soudan meurtri et divisé. Le régime militaire d’obédience islamiste de Béchir, avait progressivement instauré un régime de terreur, avant de céder le Sud au terme d’une guerre civile sanglante. 

Après cinq ans de transition militaire le Congrès national, prend le pouvoir en 1993 pour y rester 25 ans.  Une transition plutôt cosmétique, puisque les couteaux seront rapidement tirés. Qui pour faire du nettoyage interne, qui contre une rébellion, au  Darfour. Bilan : des liquidations militaires dans l’entourage du président et de son parti, des procès sommaires contre ses frères de lutte, près de 30000 morts venaient s’ajouter à la comptabilité macabre d’une guerre Nord-Sud des plus meurtrières ( plus de 2  millions de morts déjà en 1983). 

Les filiations ethniques déjà marquées, étaient renforcées entre les tribus arabes Jajawids et les tribus noires non arabophones. Voilà donc debout l’infrastructure d’une énième guerre du pétrole, dont rêvaient les marchands de l’or noir. 

Le Sud autonome, qui recèle la troisième réserve pétrolière africaine, allait devenir indépendant en 2011 après 50 ans d’hostilités. Le Soudan sera divisé et le Nord islamiste privé de terre, d’habitants et de revenus pétrolier à la fois. La guerre racio-culturelle, n’était qu’un traquenard, et Béchir était tombé dedans, les yeux bandés, la canne en l’air. 
  
Le Soudan islamiste ne trouvera grâce aux yeux de l’Occident, après l’arrestation de Carlos en 1994 puis l’extradition de Ben Laden en 1996. Il il figurera en 1997 sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme et choisira l’autarcie. Béchir partira à  reconquête du Sud avant de rallier le camp des boycottés. 

L’embargo imposé en 1997 et le risque de perdre les réserves pétrolières vont jeter Béchir dans les bras de la Corée du Nord, et la Syrie. Des accords de défense vont le lier à Pyongyang ( on le saura lorsqu’ils  seront annulés en 2018). En 2004 le journal allemand Die Welt avait révélé l’usage expérimental d’armes chimiques syriennes au Darfour. « Des officiers syriens se sont entretenus en mai dans la banlieue de Khartoum avec des dirigeants de l'armée soudanaise sur les possibilités d'étendre la coopération militaire entre les deux pays » précise le journal ». 
 
En 2011, Béchir a perdu la guerre et sa crédibilité. Il est visé par deux mandats d’arrêt du CPI. Selon toute rigueur stratégique, est-il prêt à toutes les compromissions. En 2015, il se rapproche de l’Arabie Saoudite, rejoint l’alliance arabe contre les Houthis. Quelques mois plus tard, rompt-il les relations diplomatiques avec l’Iran et semble  s’inquiéter du sort des civils syriens.  Récompene. Il obtiendra la fin de l’embargo en 2017, mais restera sur la liste de pays soutenant le terrorisme. 

Coup de théâtre, Béchir s’envole en novembre  2017 à Moscou, puis en décembre 2018 à bord d’un avion russe à Damas. Deux visites, préparées par la diplomatie russe, qui fait désormais  de Khartoum son principal allié africain.  « De son côté, la Russie ne cesse elle aussi de renforcer ses liens avec Khartoum : accord sur le nucléaire civil, cartographie des réserves de métaux et d’uranium, dont le pays possède la troisième plus grande réserve au monde – notamment dans les Darfour et les Kordofan, où les conflits armés se poursuivent. Comme en Centrafrique, les sociétés de sécurité privées, liées au complexe militaro-industriel russe, prennent pied sur le terrain. Evguéni Prigojine, un homme d’affaires qui détient le quasi-monopole dans les marchés d’approvisionnements de l’armée et qui est réputé être derrière la société de sécurité Wagner, est un visiteur régulier du Soudan » révèle le journal le Monde. »

Danse du vilain petit canard ! N’ayant pas réussi à ménager la chèvre, Béchir s’est-il concilié le chou ?! Il s’en croira en tout cas  protégé. Dernière fuite en avant. Le président-danseur se porte candidat à sa propre succession au mépris de la législation, triple le prix du pain, écrase une première vague de protestations dans le sang. Quarante neuf mort. La goute fait déborder le vase. 

L’aveuglement d’un lugubre chef militaire rattrapé par ses crimes et trahisons, le perdra. LA solidarité entre tyrans n’y fera rien. Ni le soutien de Moscou, ni celui de Damas, ni même celui de Pyangang ne l’aura sauvé!

L’islamisme n’aura pas réussi en Iran, au Liban et au Soudan, là où ses ennemis avaient échoué…. « En ayant une religion, ils se croient dispensés d’avoir une morale » , disait Amine Maalouf….

J.H.

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