« Il n’a pas honte de le dire » : rétablir la polygamie… mais surtout pas pour lui

En pleine discussion budgétaire au ministère de la Femme, le député Abdessatar Zarai a relancé un débat que l’on croyait enterré : celui de la polygamie et du Code du statut personnel. Défendant son rétablissement comme « remède aux maux de la société », il a aussitôt précisé qu’il n’était « personnellement pas intéressé » par cette pratique. Une déclaration paradoxale qui remet en lumière une controverse récurrente dans la vie politique tunisienne.
« Je n’ai pas honte de le dire, ما نحشمش, je suis pour le rétablissement de la polygamie, un remède contre les maux de la société », ainsi parla le député Abdessatar Zarai lors du débat sur le budget du ministère de la Femme. En une phrase, il a ranimé une polémique stérile et interminable autour de la polygamie et du Code du statut personnel (CSP).
Le député a accusé le CSP — promulgué en 1956 et considéré comme l’une des plus grandes avancées modernes du pays — de « détruire la cellule familiale de l’intérieur ». Il a même vanté les prétendues vertus de la polygamie, affirmant qu’elle est « autorisée par Allah » et pourrait servir de solution à de nombreux problèmes sociaux.
Mais l’un des moments les plus surprenants de son intervention fut son insistance à préciser qu’il n’était pas personnellement intéressé par la polygamie : « mouchou laya né, pas pour moi », a-t-il déclaré, sans doute pour éviter quelques remontrances à la maison. Un détail qui a transformé une prise de position idéologique en scène quasi comique.
Une polémique tenace qui ressurgit à chaque transition politique
Depuis sa promulgation, le CSP est une fierté nationale et un symbole du projet moderniste tunisien. Pourtant, la question de la polygamie revient régulièrement, tel un serpent de mer politique.
Au lendemain de la déposition de Bourguiba en 1987, certaines voix avaient tenté de remettre en cause les acquis du CSP et d’appeler à la réintroduction de la polygamie. Mais ces appels furent rapidement étouffés.
En 1992, Zine el-Abidine Ben Ali choisit non seulement de confirmer les fondements du CSP, mais aussi de renforcer les droits des femmes, notamment en matière de divorce, de garde des enfants et de protection juridique. Le divorce aux torts exclusifs de la femme fut aboli, et des rééquilibrages furent introduits pour corriger plusieurs discriminations.
Après 2011, un retour sans succès
En 2011, l’arrivée des islamistes au pouvoir a ravivé la question. Là encore, quelques voix conservatrices ont timidement tenté de relancer le débat. Mais l’opposition massive des femmes tunisiennes et de la société civile a rapidement mis fin à ces tentatives.
Une sortie isolée vouée à l’oubli
La récente déclaration d’Abdessatar Zarai apparaît ainsi comme un coup d’éclat solitaire, déconnecté des priorités de la société et du cadre juridique solidement établi. Il y a peu de chances qu’elle trouve un écho, ni au Parlement ni dans l’opinion publique.
La polémique retombera sans doute aussi vite qu’elle a surgi.
Mais elle rappelle que, malgré 70 ans de progrès et de textes consolidés, certains fantasmes politiques persistent, prêts à ressurgir au détour d’un discours… même lorsque ceux qui les défendent ne les veulent pas pour eux-mêmes.
B.Oueslati
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