Il y a 38 ans, le changement du 7 novembre: ainsi tourne la roue de l'histoire

Trente-huit ans après le “changement” de 1987, la Tunisie continue de débattre de son héritage. Entre espoirs trahis, nostalgies contenues et réécritures successives de l’histoire, le 7 novembre demeure une date à la fois célébrée, maudite et inévitable dans la mémoire nationale.
En ce vendredi 7 novembre 2025, on commémore le trente-huitième anniversaire d’un tournant majeur de notre histoire contemporaine : la destitution du président Habib Bourguiba par son Premier ministre de l’époque, Zine el-Abidine Ben Ali, en application de l’article 57 de la Constitution de juin 1959.
Un événement que certains ont qualifié de « changement béni », tandis que d’autres y ont vu un « coup d’État » contre le « libérateur de la nation et le bâtisseur de son indépendance ».
Habib Bourguiba s’est éteint le 6 avril 2000. Il repose aujourd’hui dans son mausolée de Monastir, sa ville natale qu’il a tant aimée et à laquelle il a beaucoup donné. Sa disparition s’est déroulée dans un silence quasi total, comme si la mémoire officielle avait voulu effacer peu à peu son image.
Près de vingt ans plus tard, le 19 septembre 2019, Zine el-Abidine Ben Ali s’éteignait à son tour, en exil en Arabie saoudite, où il fut inhumé au cimetière d’Al-Baqii dans une discrétion absolue.
Entre ces deux figures s’étend un fil d’histoire dense, tissé de paradoxes et de leçons. Plus de quatorze ans après la chute de Ben Ali, un certain nombre de voix, longtemps étouffées par le tumulte postrévolutionnaire, recommencent à se faire entendre. Ces voix rappellent que « l’ère du changement » ne fut peut-être pas aussi sombre que l’ont décrite les discours triomphants de ce qui est appelée « la révolution » de 2011.
Ces nostalgiques ne sont pas d’anciens privilégiés du régime, mais souvent de simples observateurs, qui n’ont tiré aucun bénéfice personnel de Ben Ali. À l’inverse, nombre de ceux qui avaient bâti leur carrière dans l’ombre du régime — hauts fonctionnaires, cadres du RCD ou proches du cercle présidentiel — furent les premiers à se retourner contre lui, à le traiter de « dictateur » et à qualifier son système de « révolu ».
Certains d’entre eux ont su, depuis 2011, se recycler habilement dans les nouvelles sphères du pouvoir d’Ennahdha. Et parmi eux, on trouve désormais des figures qui se montrent parmi les plus zélées dans leur adhésion au « processus du 25 juillet », comme si l’histoire tunisienne se plaisait à répéter ses cycles de fidélité et de reniement.

Zine el-Abidine Ben Ali, qui régna durant vingt-trois ans — la deuxième plus longue présidence de la Tunisie indépendante après celle de Bourguiba — appartient désormais à la fois à Dieu et à l’Histoire.
Son règne ne fut ni l’enfer absolu décrit par ses détracteurs, ni l’âge d’or vanté par sa propagande. Il laissa des réalisations tangibles dans les infrastructures, l’économie et les services, mais aussi des blessures profondes : celles de la répression, du verrouillage politique et de la peur.
Jugé par contumace, rejeté par les siens et enterré loin de son pays, Ben Ali incarne à lui seul le paradoxe du pouvoir absolu : la gloire d’un règne sans partage et la solitude tragique de sa chute. Car, quelle que soit la gravité de ses fautes, le fait qu’un ancien président de la République ait été inhumé en exil demeure une tache sur la conscience nationale.
Ben Ali aurait pu quitter le pouvoir avec honneur s’il avait respecté la promesse formulée dans son fameux discours du 7 novembre 1987 — celle de ne pas briguer plus de trois mandats. Mais la tentation de l’éternité, la soif de pouvoir, les ambitions familiales et les intrigues de son entourage ont eu raison de toute prudence. Il s’est accroché au trône, ignorant la leçon de l’histoire — celle de Bourguiba, justement, qui avait renversé le bey en 1957 avant d’être lui-même déposé trente ans plus tard, sur la base d’un certificat médical attestant de son incapacité à gouverner.
L’histoire tunisienne, rythmée par ses dates fondatrices — 25 juillet 1957, 7 novembre 1987, 14 janvier 2011, 25 juillet 2021 — continue de se réécrire sans cesse, avec de nouveaux acteurs, mais les mêmes questions : qu’avons-nous appris ? où allons-nous ? et qui écrira la prochaine page ?
« S’il vous atteint une blessure, sachez que d’autres ont subi pareille blessure.
Ainsi faisons-Nous alterner les jours entre les hommes… »
(Coran, sourate Âl Imrân, verset 140)
Le 7 novembre a longtemps été effacé des calendriers officiels, mais il reste gravé dans la mémoire tunisienne comme un miroir de ses contradictions : entre autorité et modernité, entre stabilité et peur, entre espoir et désillusion.
Et si la Tunisie d’aujourd’hui ne sait plus très bien que célébrer ni que condamner, c’est peut-être parce que chaque génération, à son tour, croit incarner la rupture — avant de découvrir qu’elle n’était qu’un nouveau chapitre du même récit.
B.O.
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