La famille destourienne décomposée

La famille destourienne décomposée

Les destouriens, ou ce qu’il reste, ont prévu de se rencontrer ce samedi 4 août à Ksar Helal, ville symbole, pour se concerter sur une nouvelle approche de réunification de leurs rangs. Mais à la veille de cette échéance, pourtant préparée de longue date, ils ont renoué avec leurs vieux démons de la division. Un clan a annoncé le report de la rencontre pour plus de concertation, alors que l’autre y a tenu et l’a organisée indépendamment de tout et de tous.

Depuis leur mise au ban de la société après la dissolution de leur parti, le RCD, en mars 2011, les Destoutriens ont laissé passer « l’ouragan révolutionnaire » qui a failli les emporter pour relever doucement la tête. Dans ce climat marqué par une sorte d'inquisition et une volonté de barrer la route au retour de ce qui est communément appelé «les sbires de l'ancien régime», certains militants ont tenté avec beaucoup de courage de rassembler cette «diaspora», dispersée mais très convoitée eu égard à son poids électoral et à son expérience du terrain essentiellement. Les partis destouriens créés sur les décombres de l'ancien parti au pouvoir dont les responsables, à quelque niveau qu'ils soient, ont été frappés par l'interdiction de se présenter aux élections de l'Assemblée nationale constituante, en octobre 2011, n'ont pas réussi à se repositionner sur une scène politique engorgée de partis pour la plupart hostiles au retour des figures de l'ancien régime. Les élections législatives et présidentielle de 2014 ont fini par laminer tous les espoirs. Et c'est Béji Caïd Essebsi et son parti Nidaa Tounès qui ont raflé la mise, parce qu'ils ont réussi un véritable brassage entre quatre courants différents, ralliant plusieurs militants de l'ancien parti dissous et envoyant près d'une trentaines d'anciens « rcédistes recyclés » à la nouvelle Assemblée des représentants du peuple.

Dans le sillage de Nidaa, un autre parti baptisé « Mouvement des destouriens », a été créé par l'ancien Premier ministre et vice-président du RCD, Hamed Karoui. Ce mouvement, qui a réuni en son sein d'anciens hauts dignitaires du régime de Ben Ali, se réclamait, comme le Nidaa de Béji, de l'héritage bourguibien. Karoui estimait, qu'en dépit de toutes les dérives réelles ou supposées, le parti du Destour a réussi à doter le pays d'institutions modernes et à réaliser un modèle de société ouverte et moderniste. Mais le parti a connu un échec cuisant lors des législatives d’octobre 2014. En même temps, trois anciens hauts cadres du RCD se sont présentés à la présidentielle de 2014. Et si Abderrahim Zouari a préféré se retirer au profit de Béji Caid Essebsi, Kamel Morjane et Mondher Zenaidi ont voulu jauger leur poids électoral, ne récoltant en fin de compte que quelques miettes.

Après l’évaluation de la situation, Hamed Karoui qui, pourtant, voulait fédérer la famille destourienne, a dû abdiquer en faveur de Abir Moussi, ancienne secrétaire générale adjoint du RCD. Celle-ci a, au cours du congrès du parti, convaincu ses adhérents de le baptiser « parti destourien libre » en rappel du premier nom du Parti libre destourien créé en 1920 par Abdelaziz Thaalbi, se déclarant opposant irréductible des islamistes. Depuis, elle elle se veut le seul porte drapeau de la famille destourienne. Ce que lui contestent beaucoup d’anciens hauts cadres du RCD, la jugeant même trop prétentieuse et « éradicatrice ».

Aujourd'hui, les destouriens sont dans l’errance. Ils doivent beaucoup à Béji Caid Essebsi et Nidaa Tounes où ils constituent la majorité après le départ de plusieurs de ses anciens fondateurs qui ont créé leurs propres formations où on trouve un bon nombre de destouriens. Mais ils sont, également redevables au mouvement Ennahdha et à son président Rached Ghannouchi qui lui ont évité une deuxième exclusion en 2014 et œuvré à l’adoption de la loi sur la réconciliation administrative qui a amnistié plusieurs hauts cadres accusés de malversation. Et ils ne le cachent pas. D’ailleurs plusieurs d’entre eux se sont mis sous le parapluie de Rached Ghannouchi et prônent pour un front entre Islamistes Destouriens.  Ennahdha a, même, damé le pion à Nidaa Tounes en cooptant plusieurs anciens responsables RCD dans ses listes électorales au cours des dernières municipales. D’autres ont rejoint des mouvements comme Mashrou3 Tounes et Afek Tounes.

Pourtant, eu égard à leur poids réel,   les destouriens pourraient se repositionner au centre d’un paysage politique éclaté. Mais les démons de la division qui les habitent les empêchent de se rassembler. Ils paient le prix de la guerre des égos de leurs anciens dirigeants et l’inféodation de certains d’entre eux à d’autres partis.

B.O

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