La proclamation de la République racontée par un témoin, Ahmed Mestiri

La proclamation de la République racontée par un témoin, Ahmed Mestiri

 

Ahmed Mestiri était à la fois témoin et « partiellement acteur » de la proclamation de la République, jeudi 25 juillet 1957, comme il l’a écrit dans son livre « Témoignage pour l’histoire »*( pages 123-126). Il était à l’époque ministre de la justice et a travaillé, selon les indications du Néo Destour et les directives de Bourguiba et de Béhi Ladgham » sur un avant projet de Constitution où la forme du régime n’était pas encore venue à l’esprit de quiconque, y compris Bourguiba en personne. En effet, « l’avant projet, dans ses grandes lignes préconisait un régime démocratique pluraliste garantissant les libertés fondamentales ».

Mestiri précisait que « l’Assemblée constituante avait poursuivi ses travaux pendant plus d’une année pour élaborer la Constitution…Mais à partir de mai 1957, certains indices sont apparus annonçant l’intention de Bourguiba de procéder, à brève échéance, à l’abolition de la monarchie beylicale : approbation par le Conseil des Ministres d’un projet de loi supprimant les privilèges reconnus aux princes de la famille beylicale en matière judiciaire et fiscale, aussitôt appliqués par des poursuites exercées contre le fils du Souverain, suivie d’arrestation sur la base d’un dossier de droit commun fabriqué par la police. L’auteur de « Témoignage pour l’histoire » ajoute un autre fait qui aurait amené Bourguiba à dissoudre la monarchie. « Bourguiba avait appris de source sûre que Lamine Bey avait déclaré au représentant de la France qu’il ne reconnaissait que lui comme chef de la police, lui laissant entendre, à mots couverts, qu’il ne devrait pas se hâter à transférer ses pouvoirs au gouvernement tunisien » dirigé par Bourguiba….

« Fin juillet 1957, le scénario tracé par Bourguiba s’est déroulé rapidement et sans encombre…Le bureau politique entérine pratiquement sans discussion la proposition d’abolir la monarchie et charge Jallouli Fares de réunir l’Assemblée Constituante avec un seul point d’ordre du jour : « la forme du régime »…S’ensuivit une séance solennelle, le 25 juillet, « en présence des hautes autorités de l’Etat, du corps diplomatique et des représentants de la presse. Interventions musclées des députés désignés à cet effet par le parti. Pratiquement pas de voix discordantes, excepté celles d’El Materi et Badra, observant timidement qu’il convenait de rappeler le souvenir de Moncef Bey, souverain nationaliste, déposé et exilé par la France et qui ne devrait pas être confondu avec le reste. Discours fleuve de Bourguiba condamnant sans appel la monarchie, la famille husseinite et son dernier représentant Lamine. Clôture de la séance avec vote à mains levées d’une résolution proclamant la république, avec Bourguiba comme Président et chargeant le Bureau de l’Assemblée et le gouvernement de l’exécuter ».

Ahmed Mestiri, en sa qualité de ministre de la justice, faisait partie d’une « délégation dirigée par Ali Belhouane, vice-président de l’Assemblée et comprenant » en plus de lui,  Taieb Mhiri, ministre de l’intérieur et qui a été mandatée pour aller voir Lamine Bey et lui annoncer sa destitution. « Autour du palais », écrit-il, « des unités de l’armée et de la police avait remplacé la garde beylicale. Nous pénétrons, sans tarder, dans la salle du trône, sans nous faire annoncer puisque nous étions attendus ! Lamine Bey, vêtu d’une Jebba et sans coiffure, debout, assez digne, nous avait reçus sans un mot. Belhouane clame de sa voix théâtrale «  Asselamou Alaikom », puis donne lecture de la résolution de l’Assemblée constituante. Un photographe qui nous accompagnait avait voulu opérer, aussitôt lamine Bey est sorti de son silence : « Ah non…pas ça », avec un geste de dénégation de sa main, dernier réflexe d’autorité. Nous n’avons pas voulu démentir et humilier le vieil homme. Puis Ali Belahoaune a tourné les talons après un geste de salut de la main… ». Après l’annonce au Bey de la dissolution de la monarchie, le directeur de la police Driss Guiga, s’est tout de suite présenté pour notifier au Bey « un arrêté d’éloignement du ministre de l’intérieur…C’était terminé. L’action n’a pas duré trois minutes ».

« Témoignage pour l’histoire » avril 2012, Finzi usines graphique

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