La République en panne

La République en panne

Aujourd'hui, la Tunisie célèbre le 62ème anniversaire de la fête de la République, sur fond de crise constitutionnelle grave consécutive à la maladie du président de la république Béji Caid Essebsi et à son refus de promulguer la loi électorale amendée et adoptée par l’Assemblée des représentants du peuple. Une situation inédite marquée par des bourdes politiciennes et des erreurs de gouvernance qui ont mis à rude épreuve la confiance du pays. A quelques petites semaines des échéances électorales, les Tunisiens semblent peu à peu sortir de l'illusion que cette deuxième république, annoncée à l’aube d’un certain 27 janvier 2014 après l’adoption d’une nouvelle Constitution, serait meilleure que la précédente. Les antagonismes ont fait jour au sein même de la majorité gouvernementale avec pour enjeux la conquête ou la reconquête du pouvoir et la distribution des honneurs et des prébendes aux proches et aux affidés.

La transhumance partisane a infecté le climat général

Alors que la législature tire à sa fin, nos « honorables députés » ont lamentablement échoué dans la mise en place des instances constitutionnelle et l’installation de la Cour constitutionnelle censée arbitrer la crise au sommet de l’Etat. Un échec patent qui a mis à nu l’incurie de beaucoup d’entre eux et l’incompétence d’autres. Avec l’apparition du phénomène de la transhumance partisane. De nombreux députés élus sur des listes d’un parti, l’ont quitté avec armes et bagages, pour en rejoindre un autre, tout en se réservant la possibilité, au gré des circonstances, de revenir dans leur parti d’origine. Ou de créer un nouveau mouvement pouvant servir de rampe de lancement. On  a vu des députés changer plus d’une fois de groupes parlementaires, d’autres démissionner de leur parti pour rejoindre la mouvance gouvernementale dans l’espoir de bénéficier de quelques avantages ou d’une investiture à la tête de liste dans une circonscription électorale. Ce phénomène de transhumance ou du nomadisme politique, marqué par des reniements, des revirements, des ralliements a impacté le paysage politique, maintes fois chamboulé, et lourdement infecté le climat général. Et imposé de nouvelles mœurs politiques.  Au point où l’on ne sait plus qui gouverne et qui s’oppose.

Un système hybride

Cette crise a pour origine « des imperfections d’ordre institutionnel ou constitutionnel ». Elle pose, en effet, la question du régime politique imposé par des constituants peu prévoyants. Un régime hybride qui, selon plusieurs constitutionnalistes voire politiques, ne convient pas à une jeune démocratie. La constitution de janvier 2014, qui a instauré un régime semi parlementaire a, considérablement, rogné les compétences du président de la république, pourtant élu au suffrage universel. Placé à un poste prestigieux mais honorifique, il ne dispose pas de vrais pouvoirs pour agir sur le cours des événements. Il se trouve, des fois, confiné à inaugurer les chrysanthèmes. Par contre, elle accorde au chef du gouvernement des compétences plus élargies. Même s’il reste, l’otage du parlement, lequel, en plus de contrôler son action, le contraint à revenir vers lui pour toute modification de son équipe, ne serait-ce que pour remplacer un secrétaire d’État. Il est pratiquement devenu « un simple courtier politique sous haute surveillance parlementaire ».

Ce régime est aussi le produit d’un code électoral qui a instauré le mode de scrutin proportionnel au plus fort reste, lequel, même s’il fait apparaître « une meilleure représentation des électeurs », participe à l’éparpillement des voix et, par là même, à celle des sièges lors de leur répartition. Aujourd’hui, une vingtaine de partis sont représentés au Parlement, dont huit ont un seul député. Cette loi électorale ne permet à aucune formation politique d’obtenir la majorité absolue. Fruit de conciliabules entre des partis se méfiant les uns des autres, il empêche qu’un seul parti puisse véritablement gouverner seul. Depuis le 17 janvier 2011, date de la formation du premier gouvernement de transition de Mohamed Ghannouchi, se sont succédé sept Premiers ministres et une dizaine d’équipes gouvernementales, soit une tous les dix mois. C’est un « scrutin de non-gouvernabilité » conduisant « à une situation de non-gouvernance », comme le disait le constitutionnaliste Amine Mahfoudh.

Aujourd’hui les Tunisiens sont épuisés par cette ébullition, excédés par ces querelles de clochers, dégoutés par ces débats politiques interminables, fatigués par cette expectative qui n’a que trop duré, et angoissés face à un avenir qui ne s’annonce pas sous de bons auspices. Tous les sondages sont unanimes à dire qu’ils n’ont pas confiance dans la politique ni dans ceux et celles qui la font. La crainte d’une forte abstention au cours de prochaines élections est réelle. La montée des extrêmes et des antisystèmes est perceptible. Comment les motiver pour aller voter s’ils veulent le changement ?

C’est la grande menace qui pourrait peser sur cette deuxième république, déjà en panne.

 B.O

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