La violence dans tous ses états : Suffit-il d’appliquer la peine de mort ?
Des actes d’une violence inouïe viennent d’avoir lieu sur tout le territoire tunisien. La loi des séries est encore une fois confirmée. Rahma (23 ans) à El Aouina, Zahy (17 ans) à Kasserine, Haïfa (24 ans) à Haffouz (Kairouan) ont été ces derniers jours les victimes de la violence banalisée ayant revêtu sa forme extrême.
On a ainsi l’impression que la violence est devenue notre quotidien. Elle est verbale dans la rue, sur les réseaux sociaux et partout y compris sous la coupole du Parlement. Elle est physique là où c’est possible, entre les camarades de jeu, à l’école, dans les stades, sur les marchés et partout où des supposés humains coexistent. Elle a pris des proportions alarmantes avec la multiplication d’actes violents tels les braquages et les viols pouvant conduire à l’homicide.
D’aucuns peuvent arguer que la violence, y compris la plus extrême, existe dans toutes les sociétés et que pendant longtemps elle était éludée, voire esquivée dans notre pays surtout du fait que les médias étaient instruits de ne point en parler. Ceci est vrai et les pays les plus développés en souffrent autant que les sociétés les plus arriérées, car la violence fait partie de la nature humaine. N’oublions pas que l’homme est un mammifère et qu’il reproduit les mêmes instincts que les autres animaux de cette espèce. L’idée selon laquelle l’animal ne tue que pour survivre a été d’ailleurs battue en brèche par une étude espagnole récente qui montrait que l’animal est capable de tuer parfois de façon gratuite.
Pour autant, après des millénaires de civilisation avec des hauts et des bas, est-il concevable que la violence humaine reste aussi aigue, qu’elle prend des formes inadmissibles et incompatibles avec les progrès qu’a connus l’humanité surtout au cours des dernières décennies surtout sur le plan éthique et qui ont conduit à ce que la peine de mort pour les crimes de sang, inscrite parfois dans les lois positives soit de moins en moins appliquée.
Il ne fait pas de doute que les actes violents en Tunisie ne datent pas des dernières années et qu’ils ont toujours existé. Néanmoins le phénomène pour ne pas dire le fléau a pris des proportions exceptionnellement graves au cours de la dernière période.
Notre ami Brahim Oueslati vient de nous apprendre en invoquant les statistiques qui sont « têtues » que celles-ci confirment la montée de la criminalité au cours des dernières années. Avec une moyenne annuelle de 200.000 crimes commis au cours des années 2017, 2018 et 2019. Le plus grave dans tout cela c’est que les auteurs de ces crimes sont des jeunes qui représentent actuellement 40% de la population carcérale et 73% d’entre eux ont 18 à 25 ans, selon un rapport de l’ITES dirigé alors par Néji Jalloul. Les villes Tunisiennes les plus frappées par le crime sont, dans l’ordre : Tunis, Sousse, Nabeul et Sfax. La dernière est Tataouine : « Malgré le taux de chômage de 32%, c’est la ville la plus sûre de tout le territoire.
Cette tendance se trouve confirmée par « Numbeo », la plus grande base de données au monde sur les villes et les pays du monde. Elle fournit des informations actuelles et actualisées sur les conditions de vie dans le monde, comprenant le coût de la vie, les indicateurs de logement, les soins de santé, le trafic, la criminalité et la pollution".
Elle indique, dans une mise à jour au mois d’août dernier, que la criminalité a augmenté en Tunisie au cours de ces trois dernières années de 63,78 % et qu’un Tunisien sur deux a peur de marcher seul pendant la nuit, contre près d’un sur cinq pendant la journée. Toujours selon cette même plateforme, les agressions (45,53%), le vol des objets dans la voiture (45,14%), le vandalisme et le vol(42,21%) et le cambriolage de la maison(38,27%) sont les choses qui inquiètent le plus les Tunisiens.
Et notre confrère d’ajouter : « Réputée pour être un pays « sûr » et « stable » depuis des décennies, la Tunisie a changé depuis 2011 et il faut regarder la vérité en face : « Le crime existe depuis toujours. Nous vivons avec. Ce qui interpelle depuis 2011 c’est cette banalisation et normalisation avec la violence sous toutes ses formes » pour reprendre l’ancien directeur général de l’ITES Neji Jalloul qui a qualifié ce phénomène de « terrorisme quotidien ». Certes la Tunisie ne figure pas dans la liste des pays les plus dangereux au monde, mais elle ne fait pas, non plus, partie des pays les plus sûrs, dans le classement du site BestOf.one , un site de référence en listes et classements. Elle est 82ème sur 163 pays classés selon leur dangerosité, sous forme de score de sécurité et du plus dangereux au monde au plus sûr (score le plus élevé au plus bas). Avec un score décroissant de 2,035 points ».
Que faire devant cette montée vertigineuse de la violence sous ses formes les plus extrêmes. Pour certains, et ils sont les plus nombreux, il suffit d’appliquer la peine de mort pour que les meurtres, les viols et autres attentats à la vie ou à la dignité humaines soient arrêtés ou drastiquement diminués.
Dès la nuit des temps, l’homme a inventé la loi du talion qui consiste en la réciprocité du crime et de la peine qui lui est infligée. Elle est symbolisée par l’expression « œil pour œil, dent pour dent » qui existe d’ailleurs dans le Coran. Le meurtrier, le violeur et le trafiquant de drogue (qui vend la mort) sont dans un nombre de pays passibles de la peine de mort, laquelle est parfois appliquée, comme en Arabie Saoudite sur la place publique et par décapitation à coup de sabre. Dans d’autres pays elle est exécutée par pendaison, par arme à feu, par chaise électrique ou par injection létale.
Cependant quand bien même, l'application de la peine de mort dans le monde est présente sur tous les continents, mais depuis plusieurs décennies nombre de pays ont aboli la peine capitale. 105 pays l'ont supprimée pour tous les crimes, 8 seulement pour les crimes de droit commun et 28 n'y ont pas eu recours depuis au moins dix ans et semblent avoir pour pratique officielle ou officieuse de s'abstenir de procéder à une exécution, même si elle reste en vigueur. En 2019, au moins 20 États ont procédé à des exécutions tandis que 56 pays au total ont prononcé des condamnations à mort.
Chaque fois que des actes violents comme des meurtres surtout lorsqu’ils concernent des mineurs ou des filles sont perpétrés, le débat récurrent sur la peine de mort revient sur la sellette. Bien qu’aucune étude sérieuse n’ait jamais démontré que la peine de mort ait été dissuasive et qu’elle ait le moindre effet sur la répétition des meurtres, braquages ayant mal tourné ou viols entrainant la mort, il ne fait pas de doute que le prononcé de cette peine capitale et son exécution vont permettre d’alléger la souffrance et la peine indicible des parents et des proches de ou des victimes. Mais la société doit-elle pour autant avoir pour finalité d’assouvir le désir de vengeance qui est attaché à ce genre de peine extrême. La question reste en débat mais celui-ci doit se dérouler dans un climat apaisé et loin des surenchères populaires et populistes comme c’est le cas actuellement en Tunisie.
Mais l’application de la peine capitale suffira-t-elle pour endiguer la violence sous toutes ses formes. Il faut une stratégie multidisciplinaire pour y réussir où l’aspect éducationnel doit se conjuguer avec d’autres éléments non moins importants comme la lutte contre la pauvreté, la marginalisation et l’exclusion. La société est-elle capable d’assurer un emploi pour le plus grand nombre et les conditions d’une vie décente pour tous ? la solution sécuritaire ne peut être que l’adjuvant, comme d’ailleurs la solution judiciaire.
Le président de la République Kaïs Saïed s’est dit favorable à l’application de la peine de mort dans des crimes du genre de celui dont a été victime la jeune Rahma. Mais il ne suffit de le dire pour que la peine de mort redevienne exécutoire. En décembre 2012, sous le premier gouvernement de la Troïka, la Tunisie a signé à l’Assemblée générale de l’ONU un moratoire sur les exécutions de la peine de mort, ce qui a été salué comme « un pas de géant franchi en faveur des droits humains ». Aucune peine capitale n’a d’ailleurs été appliquée depuis 1991.
Cette peine existe toujours dans le droit tunisien mais elle n’est plus appliquée. L’ancien président Moncef Marzouki a commué des peines capitales en prison à vie, alors que son successeur, Béji Caïd Essebsi a éludé la question.
Si Kaïs Saïed veut être effectivement favorable à la peine de mort, il n’a qu’à instruire la diplomatie dont il est le chef à se retirer du moratoire et à donner son feu vert à l’application de cette peine quand elle sera soumise à son appréciation.
Mais le pourra-t-il ? Le quotidien français Libération s’est empressé de parler d’un « grand bond en arrière » en ajoutant : « Bien que diffusés sur Facebook, les propos tenus lundi dans la soirée par Kaïs Saïed, le président de la République tunisienne, sur la peine de mort fleurent bon le début des années 90 quand la répression du régime de Ben Ali était à son apogée ». A méditer.
RBR
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