L'abandon scolaire, fatalité ou mal récurrent?

L'abandon scolaire, fatalité ou mal récurrent?

 

Le ministre de l’Education Néji Jalloul a annoncé que plus de 100 mille cas d'abandons scolaires par an sont enregistrés en Tunisie. En effet, bon mal an,  près de 100.000 jeunes quittent, volontairement ou involontairement, les bancs de l'école ou du lycée pour se retrouver, la plupart du temps, dans la rue.  Signe que notre école va de plus en plus mal et qu’elle s’est enlisée dans une situation difficile à cause de l’inconstance des options et la contradiction des décisions successives. L’abandon ou le décrochage scolaire est le résultat d’une série d’échecs que vit l’élève sur les plans familial, scolaire et social. Il n’est pas un phénomène nouveau ni spécifique à un pays, il est plutôt  international, chaque pays a une approche et des politiques qui lui sont propres.

Les raisons du décrochage scolaire

L’abandon ou décrochage scolaire sont deux termes qui désignent « l’interruption temporaire ou définitive des études avant l’obtention d’une reconnaissance des acquis (diplôme, certificat, attestation d’études,…) de la part d’une institution d’enseignement. Le décrochage scolaire est généralement utilisé dans le contexte d’un abandon à l’ordre d’enseignement secondaire alors que l’abandon scolaire est un terme global qui est utilisé à la fois pour le secondaire, le collégial et l’universitaire ». Véritable « maladie nosocomiale de l’école » d’après certains pédagogues, le décrochage « recouvre de multiples réalités allant de l’ennui sporadique en classe, à la phobie scolaire, en passant par l’absentéisme». Des études réalisées dans les pays de l’Ocde mais aussi au Québec ont montré que ce phénomène, apparu au début des années soixante-dix du siècle dernier, est la conséquence de « la détérioration des liens entre l’enfant, l’école et la société ». Il est le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs ayant trait,  essentiellement, aux difficultés d’apprentissage et aux problèmes de comportement qui se trouvent «amplifiés par des facteurs liés tant à l’école qu’à la famille ». La famille joue, en effet, un rôle de premier plan dans la réussite ou l’échec scolaire de l’enfant. Il est évident que l’enfant qui vit dans une famille déchirée (divorce,  orphelinat, violence conjugale, disputes…), souffrant d’un manque d’affection et de tendresse, ne peut pas s’épanouir dans le milieu scolaire. Il en est de même des enfants souffrant d’un handicap physique, mental ou de dyslexie et qui ne sont pas pris en charge par des pédagogues formés pour. Mais les causes sont encore plus complexes et plus profondes. Elles sont inhérentes au mode de fonctionnement même de l’école et à sa capacité d’adapter ses méthodes aux besoins des élèves, à la qualité des équipements pédagogiques et ludiques et bien entendu à la qualité des enseignants. Les causes du décrochage scolaire peuvent, également, être liées à l’environnement social. « Les jeunes en décrochage scolaire appartiennent plus souvent à un milieu socioéconomique faible ou à un groupe social vulnérable; en moyenne, le taux de décrochage scolaire en Europe est deux fois plus élevé chez les jeunes issus de l’immigration que chez les jeunes autochtones; en outre, les garçons y sont plus exposés ».

D’ailleurs en Europe, le taux moyen du décrochage scolaire (du primaire au secondaire) est de l’ordre de 13.5%, d’après les statistiques de 2012, avec des pics de 30% à Malte, 20 % en Espagne et au Portugal. En France, le taux  se situe autour de 12% contre 17.5% en Italie. Dans les pays de l’Europe du Nord, le taux est bien plus bas et se situe entre 4 et 6% seulement.

Plus près de chez nous en Algérie, on enregistre entre 500.000 et 560.000 déperditions par an dans les cycles primaire et secondaires (8). Au Maroc, la situation n’est guère meilleure puisque, chaque année, plus de 400.000 enfants quittent le système scolaire.

Ces statistiques qui inquiètent

L’abandon scolaire est-il devenu une fatalité ? Il faut dire que les chiffres sont inquiétants et nous interpellent tous. Selon les statistiques publiées par le ministère de l’Education, au total, 99.647 jeunes ont quitté les bancs de l’école en 2011-2012.  

Une simple lecture des données statistiques fait ressortir que c’est au niveau des premières années du cycle préparatoire et du cycle secondaire que l’on enregistre les plus forts taux de décrochage avec 12.7% en 7ème année de l’enseignement de base, soit 24.910 élèves et 14.1%  en première année secondaire, soit 20.575. Cela signifie, tout simplement, que les enfants vivent mal le passage d’un niveau à un autre. Les taux de redoublement confirment cette tendance et qui sont respectivement de 22.8% en 7ème année de base et de 19.0% en première année secondaire, alors que les taux moyens sont de 17.6% et de 15.5%.

Pour savoir si les taux d’abandon ont tendance à baisser ou le contraire au cours des dernières années, on doit prendre deux années de référence, celle de 1989-1990 qui a vu l’introduction pour la première fois de l’enseignement de base et  celle de 1994-1995 qui a coïncidé avec la première promotion du cycle primaire dans sa nouvelle formule. On constate que le taux d’abandon au niveau de l’enseignement primaire a sensiblement baissé, passant de 7.0% à 4.4%. Cette baisse s’est confirmée au cours des années suivantes, descendant pour la première fois sous la barre de 2.0% en 2004-2005, année qui a enregistré un taux de 1.7%, pour tomber à 1.0% en 2010-2011 et en 2011-2012. Avec une légère hausse en 2012-2013 au cours de laquelle on a enregistré 1.1%(1).

Dans le rapport de l'éducation, c'est dans les gouvernorats de Kasserine(2.6%), Kairouan(2.2%), Sidi Bouzid(1.6%) et Siliana(1.6%) qu'on enregistre le plus forts taux d'abandon en primaire. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraitre c'est, pratiquement  dans ces gouvernorats où l'on enregistre les meilleurs taux d'mission dans les écoles pilotes(1). Alors que la moyenne nationale est de 8.6%, Sidi Bouzid se classe premier en 2012-2013 avec un taux de 16.7% suivi de Kasserine(14.00%), Siliana(13.9%), Gafsa(13 %) et le Kef(12.6%). Mais ce n'est que l'arbre qui cache la forêt.

Un problème qui touche au fond du système éducatif

Quand des milliers de jeunes quittent chaque année l’école sans aucune qualification et que des milliers d’autres trébuchent au cours de leur scolarité, c’est qu’il y a problème. Un problème touchant au fond même du système éducatif et à toutes les composantes de la vie scolaire, à savoir les parents, les enseignants et l’administration. L’école est un tout qui gravite autour d’un élément central qui est l’élève. Le manque d’équipements, le peu d’encadrement, l’absence d’activités ludiques, la non-implication de la famille et de la société civile dans la vie scolaire, ne favorisent pas un climat propice à la réussite.  Toute défaillance se répercute inexorablement sur les résultats des élèves. En dépit des réflexions engagées depuis le début des années 1970 sur le phénomène de l’abandon scolaire et malgré la multitude des mesures prises pour en réduire les taux, les résultats sont là qui confirment les défaillances d’un système incapable d’apporter des remèdes aux maux de l’école. Que de consultations ont été réalisées et que de séminaires et ateliers ont été organisés et dont les recommandations sont restées sans aucun suivi. A tout cela, il faudrait ajouter l’état lamentable de  l’infrastructure, surtout quand on sait que 60% des écoles primaires se trouvent dans des zones rurales et que la plupart d’entre elles sont dépourvues d’eau potable. Seulement 7 gouvernorats sur les 24 ont un taux d’adduction de 100%, alors que d’autres comme Kasserine avec 61.1% et Kairouan avec 62.9% doivent attendre encore des années pour être complètement desservis.

Pas de solution miracle

Certes, et il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas de solution miracle à l’abandon scolaire. Des pays mieux nantis que le nôtre n’ont pas réussi à juguler ce phénomène. Par contre, ils sont arrivés à trouver des solutions pour les décrocheurs, à travers la multiplication des filières de l’enseignement professionnel et sa valorisation. Ils ont mis en place des politiques portant de manière cohérente à la fois sur les différents types d’enseignement, le primaire, le secondaire, le professionnel et le supérieur, et engagé les fonds importants pour réduire au maximum, les taux d’échec et d’abandon scolaires et créer les structures d’accueil nécessaires pour éviter que les décrocheurs ne se volatilisent dans la nature. Des politiques qui, en s’attaquant aux causes du décrochage, ont pris en considération tous les aspects liés aux problèmes et aux préoccupations des jeunes, qu’ils soient de santé comme la consommation des stupéfiants et de l’alcool, ou des problèmes de violence et de délinquance ou encore la question pertinente du chômage. Pour éviter que l’école ne devienne une fabrique de chômage et de criminalité.

Brahim OUESLATI