Le discours du 13 août, véritable coup de tonnerre ou manœuvre politique ?

Le discours du 13 août, véritable coup de tonnerre ou manœuvre politique ?

 

«  Quoi qu'elle fasse, la femme doit le faire deux fois mieux que l'homme afin qu'on en pense autant de bien. Heureusement, ce n'est pas difficile.»  Charlotte Whitton

Le Président Béji Caîd Essebsi a placé la barre très haut le dimanche 13 août 2017 à l’occasion de la célébration de la fête de la femme, pour tous les partis politiques et surtout Ennahdha en voulant l’égalité dans l’héritage et l’abrogation de la circulaire 1973 interdisant le mariage de la Tunisienne à un non-musulman. Il a frappé fort pour reconquérir le million de voix obtenues en 2014 de l’électorat féminin.  Il est clair que le président trouve que le bon moment est opportun pour changer les règles de l’alliance avec les islamistes, exploitant leurs difficultés à l’échelle internationale depuis l’arrivée du président Trump à la maison blanche.

BCE a déclaré  « Le code du statut personnel est un des textes les plus importants de notre nation. Il a permis la mise en place de nouveaux équilibres sociaux et l’émergence de la dignité. Ceux qui l’ont rédigé ont eu le courage de le faire ! »

Le Président est toujours dans son rôle, celui  que lui confère la Constitution de faire des propositions sur les sujets de société. Avec son discours, il se place au-dessus des partis, au nom d’un Etat civil et où primeraient le droit et le respect de la constitution et des institutions.

Pour rappel, la Tunisie, considérée comme pionnière des droits des femmes dans le monde arabe, musulman et africain a adopté une nouvelle Constitution en 2014, qui stipule que « citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs ».

L’égalité dans l’héritage

En parlant d'égalité dans l’héritage, BCE a déclaré qu'elle concerne avant tout l'héritage. « Il ne faut pas croire que ceci va à l’encontre de la religion. Notre constitution est celle d’un état civil. Cette égalité n’est pas une affaire religieuse mais qui concerne les hommes».

Les propositions ont été faites dans le but d’être soumises à un débat constructif. C’est dans ce cadre qu’une Commission législative a été annoncée,  destinée à élaborer un rapport sur la question des libertés individuelles et de l’égalité homme/femme en Tunisie. Ce comité est présidé par la députée Bochra Belhaj Hmida, féministe progressiste et ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates

A ceux qui demandent que le Mufti se prononce sur le sujet, Saïda Garrach porte-parole de la Présidence de la République répond que « L’égalité homme-femme pour l'héritage ne dépendra pas d'une fatwa »

Distribuer équitablement un héritage, revient tout simplement à respecter la constitution qui met à la disposition de l’état une obligation positive de protéger, promouvoir et améliorer les droits et les acquis de la femme en garantissant les mêmes droits à tous les citoyens dans le cadre d’un état civil.

Le mariage avec un non musulman

Lors de ce discours BCE déclarait que « nos filles ont épousé des étrangers et aujourd’hui, cette circulaire est archaïque ». Il a appelé le ministre de la Justice à retirer la fameuse circulaire de 1973 empêchant le mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans.

En procédant de telle manière, BCE met la pression sur le premier ministre Youssef Chahed afin d’agir le plus vite  surtout que Ennahdha par la voix de son vice-président Abdelfattah Mourou trouve que cette question est une affaire privée et que chacun est libre dans ses choix.

Nous pensons que ce qui a été promulgué par simple circulaire, sera abrogé par simple circulaire  rapidement.

Les réactions : une véritable levée des boucliers

Les dernières initiatives de BCE visent à créer des lignes de démarcation avec Ennahdha, sur  un terrain  où les islamistes sont handicapés et manient à merveille le double langage.

Rached Ghannouchi, ne s’est pas prononcé vu qu’il était en vacances en Turquie. Son bureau s’est limité à dire qu’Ennahdha va participer à ce dialogue. Abdellatif Mekki, député et ex-ministre de la Santé a considéré «dangereuses» de telles déclarations du président de la République parce que «la question est tranchée sur les plans religieux et constitutionnel. Pour Hammadi Jebali ancien chef de gouvernement de la Troïka, le chef de l’Etat appelle à violer l’article 1 de la constitution !

Ali Laârayedh évoque une action de diversion et en même temps il déclare : « je soutiens toute les législations qui protègent les acquis de la femme et permettent leur développement à la lumière de l’évolution de la société tunisienne. Je soutiens les propositions qui vont dans le sens de l’égalité et de la justice. Le respect de l’esprit de la Constitution et de ses textes ainsi que toutes les conventions signées par la Tunisie. La conformité entre la loi divine et les législations est un impératif d’ordre social ».

Les dirigeants d’Ennahdha sont déroutés par la manœuvre. Leurs députés avaient voté, le 26 juillet dernier, une loi moderniste sur la condamnation des violences contre les femmes pour s’acheter une bonne conscience de modernité. Mais, ils ne savaient pas que c’était  toute une stratégie mise en place par ce vieux renard de BCE pour les entraîner le 13 août  vers un débat plus profond sur les questions égalitaires dans l’héritage. Ainsi le président les pousse à choisir difficilement entre  être un véritable parti civil comme ça était annoncé en mai 2016 lors du dernier congrès ou bien retourner la case départ comme parti religieux obscurantiste adhérent au mouvement des frères musulmans classé mouvement terroriste.

Moncef Marzouki l’ex président provisoire et Président du parti « Harak Tounes Al Irada » a déclaré sur sa page FB que « nous sommes en face d’une opération politicienne par excellence pour la mystification de l’échec insultant pour l’homme et son parti … pour humilier et affaiblir davantage Ennahdha … ». Il a accusé le président Essebsi de « créer un fossé entre les Tunisiens dans un sujet controversé par excellence qui devrait être laissé au temps et pour un dialogue sociétal en profondeur », soulignant que « ces querelles qui divisent doivent être rejetées et rassembler les gens sur des questions cruciales ».  Laissons le temps au temps est synonyme d’immobilisme et d’inaction cher intérimaire et soit disant grand défenseur des droits de l’Homme.

Même Al Azhar la haute autorité religieuse en Egypte a réagi à l’égalité dans l’héritage : c’est un outrage à l’Islam.  « Ces sujet  » ont été qualifié  de contraires à la loi divine, aux préceptes de l’Islam et aux enseignements de son messager. Pour rappel, la femme égyptienne est toujours soumise à la charia. Ainsi la  polygamie est autorisée, l’excision pratiquée sur des millions de femmes égyptiennes qui vivent mutilées de leurs organes génitaux à vie et des petites de 11 ans sont des objets sexuels offertes aux riches du golfe.

Les Tunisiens sont divisés entre conservateurs accrochés à la Charia et républicains progressistes, modernes et éclairés.

Le mérite de BCE pour le moment est bel et bien d’avoir relancé le débat, de faire réagir et  de chercher à provoquer de telles réactions hostiles à l’idée de l’égalité de l’héritage pour dévoiler le vrai visage conservateur et rétrograde d’Ennahdha au peuple et montrer que les islamistes n’ont pas évolué sur les sujets de société et qu’ils sont les champions du double langage. Leur dire et leur faire ne vont pas ensemble et l’harmonie n’est pas belle dans leurs rangs.

Une manœuvre pour se détourner des Vrais problèmes ?

Une question légitime se pose. Cette annonce est-elle utilisée aussi pour détourner le regard des véritables sujets du moment comme la lutte contre le terrorisme et la corruption, la continuité dans la réalisation des réformes, la relance de la croissance économique, l’emploi, la question de développement des régions déshéritées ainsi que les prochaines  élections municipales? Sans doute oui. BCE le vieux briscard de la politique ne laisse rien au hasard et ses actes ne sont pas désintéressés. Derrière ce discours  historique digne d’un grand Bourguiba, se cache une lutte sans merci pour garder le pouvoir, avoir une excellente rampe de lancement pour les prochaines échéances électorales et affaiblir l’allié d’aujourd’hui Ennahdha qu’on lui promet un bel avenir et un succès électoral futur. Espérons que la cause de la Femme n’est pas seulement  qu’une carte électorale mais un vrai projet de société.

Les idées de progrès proposées connaîtront-elles un début de réalisation ou bien seront-elles destinées à rejoindre les nombreux projets mort-nés, repoussés par la majorité morale constituée d’islamistes et de pseudo-modernistes ? Il faut souligner que les soutien aux annonces de BCE restent timides et timorés au-delà des réactions sur les réseaux sociaux. La société tunisienne est mûre pour assimiler des débats de cette envergure  et susciter l’élan pour sa réussite dans le respect de la constitution, des lois et des institutions.

Charlotte Whitton  disait «  Quoi qu'elle fasse, la femme doit le faire deux fois mieux que l'homme, afin qu'on en pense autant de bien. Heureusement, ce n'est pas difficile.». La femme est l’avenir du pays et son combat pour l’égalité des droits et des devoirs est plus que légitime et doit être soutenu massivement par les progressistes qui vivent leur temps.

Là où il y a une mobilisation populaire, là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin.

A.K

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