Le Xème Congrès d’Ennahdha : rassurer tout le monde et son père

Le Xème Congrès d’Ennahdha : rassurer tout le monde et son père

 

Le 10ème Congrès d’Ennahdha débutera ses travaux vendredi 20 mai par un grand show d’ouverture qui aura lieu à la Salle Omnisports de Radès. Douze mille personnes occuperont les chaises installées sur le parterre, alors que les délégués, plus de 1200 seront assis sur les gradins. Dans les premiers rangs on trouvera les invités, tunisiens et étrangers qui seront plus de mille, représentants des partis des pays frères et amis, des formations politiques et de la société civile nationales ainsi que des observateurs, plus de 200 venus de tous les horizons.

Ce congrès pour exceptionnel qu’il puisse paraitre, de par les décisions et les orientations qui seront prises ne veut pas pour autant donner l’image d’un parti politique arrogant et dominateur. Au contraire, il veut conjuguer avec harmonie la force qu’il tient de son histoire avec la sérénité qu’il s’impose en tant que composante de la société tunisienne. L’exercice ne sera pas aisé mais il s’est donné les moyens de le réussir en prenant une ligne politique où il s’agit d’abord et avant tout de rassurer pour pouvoir avancer.

Le Congrès entamera ses travaux vendredi après la prière Al-Asr (milieu d’après-midi) tient-on à préciser. Ce n’est d’ailleurs pas fortuit. C’est un message clair à ses 100.000 adhérents que le parti Ennahdha maintient ses liens avec l’identité arabo-musulmane de la Tunisie. Rien ne sera fait pendant le congrès pour heurter cette base qui est le socle sur lequel le parti repose. Un parti politique ordinaire soit ! Mais de référence islamique.

L’attachement à son identité propre ne sera remis en question à aucun prix. Ainsi rien ne sera imposé quant à la tenue des hommes et des femmes. Le hijab sera peut être dominant mais le niqab ne sera pas exclu. C’est une liberté de chacun de se vêtir comme il veut. Ennahdha portant un discours protestataire en symbiose avec une certaine époque c’est fini. Ennahdha nouveau, parti de gouvernement et de pouvoir, c’est ce qu’on veut faire ancrer dans les esprits et cela a un prix. Quitter un discours de combat pour en arborer un autre de rassemblement et de cohésion.

Un message rassurant sera envoyé également au million de Tunisiens qui ont voté Ennhdha aux dernières élections législatives et dont une large part a formé le gros bataillon des votants en faveur de Moncef Marzouki. Ceux-là, on ne veut pas les perdre à aucun prix car sans eux, le parti ne vaudra pas beaucoup électoralement. Recrutés parmi les catégories démunies et les classes moyennes ainsi que parmi les musulmans fervents, ceux-là, on pense les garder en prônant des programmes économiques, sociaux et éducatifs qui leur sont favorables tout en étant d’essence islamique comme les règles morales strictes ou la finance islamique.

Dans le même esprit on s’adressera aux deux millions de Tunisiens qui n’ont pas voté ni en 2011 ni en 2014 et qui sont peut être les déçus des politiciens de tous bords et les désabusés de la politique. Il faut que ceux-là, qui sont dans leur grande majorité des jeunes qui n’ont pas trouvé leur voie dans le monde politique, s’aperçoivent que l’on s’intéresse à eux et que leurs préoccupations, l’emploi, le formation et l’accès au marché du travail sont prises en compte. Il ne s’agit pas de les attirer pour en faire des islamistes purs et durs, mais de ne pas les effaroucher. Il n’est pas question de ne s’intéresser qu’aux gens de son bord, quand bien même cela est d’une importance capitale.

Le Congrès tient aussi à adresser un message rassurant aux anti-islamistes. Pour leur dire que le parti Ennahdha ne fait pas des changements de façade, mais qu’il engage une véritable mue pour devenir un parti tunisien ancré dans les racines du pays. Il veut enlever aux Tunisiens qui ne lui sont favorables et surtout aux Tunisiennes qui s’étaient mobilisées par million contre lui le sentiment de peur qui a été le substrat de leur réaction presqu’épidermique. On évitera le triomphalisme comme les démonstrations de force qui peuvent ajouter à la crainte.

Le congrès veut enfin envoyer des messages rassurants à l’extérieur. Aux pays arabes frères, traumatisés par l’expérience égyptienne ou les années noires en Algérie, il tient à dire que le modèle tunisien est propre à la Tunisie et qu’il n’est pas exportable. Ennahdha cherche à imposer l’image d’un parti islamique tunisien qui n’a rien à voir avec la confrérie des Frères musulmans. Il veut démontrer son enracinement dans le mouvement réformiste tunisien depuis ses origines à la seconde moitié du XIXème siècle.

La Zitouna comme Sadiki ont nourri ce mouvement réformateur tunisien qui s’est poursuivi pendant le XXème siècle. A l’occident son message est simple, l’Islam peut se marier harmonieusement avec la démocratie. L’exercice auquel veut s’adonner le parti Ennahdha n’est pas aisé comme on l’a dit mais il ne sera pas impossible. De grandes orientations rassurantes doivent sortir de ce congrès pour que l’on ne se sente pas floués par des changements cosmétiques qui créeront un fossé encore plus grand entre les Nahdhaouis pur jus et les autres Tunisiens. Il dépend de la démarche qui sera suivie par ce congrès de rassurer l’ensemble des Tunisiens et de faire qu’Ennahdha devienne pour de longues années dans le futur une composante de la vie politique tunisienne et du patrimoine de la Tunisie.

Raouf Ben Rejeb

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