L’école des pauvres

L’école des pauvres

Dans une interview accordée à la chaine nationale et diffusée en début de soirée de dimanche 4 mars, le ministre de l’éducation Hatem Ben Salem a fait un constat affligeant de notre système éducatif. Deux ou trois chiffres qu’il a annoncés font froid au dos et prouvent, si besoin est, à quel point l’école tunisienne est descendue si bas. Lors du dernier concours d’entrée aux collèges pilotes, au mois de juin 2017, on a recensé 14.000 zéros en calcul. Après les 12.000 zéros en langues au bac(7.000 en français et 5.000 en anglais), voici que les petits sont tombés dans le piège du calcul. Nos élèves ont de sérieux handicaps de langues, et cela est valable aussi bien pour la langue arabe que pour les deux langues étrangères, le français et l’anglais. Leurs résultats dans les matières scientifiques, les mathématiques et la physique, ne sont pas du reste. Les différents rapports d’évaluation réalisés au cours des dernières années sont unanimes dans ce sens. Une « Analyse du système éducatif tunisien », réalisée par l’Organisation internationale du travail en 2013, a montré que « les élèves tunisiens manifestent des faiblesses évidentes dans le domaine des langues et des mathématiques que traduisent les difficultés qu’ils éprouvent à communiquer, à rédiger, à résoudre des problèmes».

Un système inégalitaire

On le sait déjà, les maux de l’école ne datent pas d’aujourd’hui, même s’ils se sont accentués au cours des dernières années. Ils sont connus de tous les intervenants, parents, élèves, enseignants, directeurs des établissements scolaires, syndicats et bien entendu ministère de l’éducation qui s’en plaignent tout le temps. On dirait qu’un plan sournois a été établi pour détruite l’école publique et abrutir nos enfants.   

Les trois réformes initiées depuis l’indépendance (1958, 1991 et 2002) ont donné des résultats parfois mitigés. Inutile de rappeler les remèdes thérapeutiques qui ont, jusque-là, été appliqués, mais qui n’ont fait qu’empirer la situation ni les improvisations qui n’ont fait que pourrir le climat autour de l’école. L’école tunisienne est devenue comme un laboratoire et les élèves des cobayes sur qui on a réalisé plusieurs expériences sans succès. On ne change pas l’école à la pièce pour « satisfaire les geignards du moment », car cela pourrait la faire dévier de sa mission principale « d’instruire, de socialiser et de qualifier ».

Notre système éducatif s’est avéré au fil des ans, un système inégalitaire.  Deux données relevées dans le document du « plan stratégique 2016-2020 » élaboré par l’ancien ministre de l’éducation Néji Jalloul, montrent que les inégalités se creusent davantage entre les régions. Au niveau de l’enseignement préscolaire, où le taux de couverture moyen est de 45.6% seulement, c’est le grand écart entre les gouvernorats dits nantis et les autres. A Tunis 2, il est de 96.8%, alors qu’à Kasserine, il est de 44.2% seulement. Il en est de même du rendement interne dans l’enseignement primaire où le taux moyen de passage de classes est de 91.5% et c’est encore Tunis 2 qui se trouve en tête avec 96.7% contre 85.3% pour Kasserine qui clôt le classement derrière Kairouan avec 85.9% et Tataouine avec 87.7%. Mais c’est au niveau des résultats au baccalauréat que ces inégalités deviennent plus criardes. 14 régions se situent au-dessous de la moyenne nationale qui est de 57.5%. Entre Sfax 2 et Sfax 1 avec respectivement 73.7% et 72% en 2015 et Jendouba, 43.1% et Gafsa, 43.8 %, il n’y a pas photo.

Comme on le constate, les chiffres sont têtus et parlent d’eux-mêmes. Les disparités sont perceptibles et « prennent leur source dans les cycles inférieurs, à savoir l’école de base et le secondaire, et se révèlent clairement au niveau des résultats du baccalauréat ». La scolarisation massive n’a pas suffi à réduire les inégalités avec les régions qui sont, en fait, mal nanties en matière d’infrastructures et de moyens de transport, surtout quand on sait que 60% des écoles primaires se trouvent dans des zones rurales et que la plupart d’entre elles sont dépourvues d’eau potable. On a vu des élèves parcourir des kilomètres pour parvenir à leur école, bravant tous les dangers mais avec l’espoir de réussir dans leurs études. Seulement 7 gouvernorats sur les 24 ont un taux d’adduction de 100%, alors que d’autres comme Kasserine avec 61.1% et Kairouan avec 62.9% doivent attendre encore des années pour être complètement desservis.

Véritable mammouth

 Quand le ministre de l’éducation annonce que 549 établissements scolaires qui ont plus de cinquante ans, doivent être réhabilités d’urgence parce que menaçant ruine et que des internats sont en piteux état, on comprend l’énormité de la tâche qui attend les responsables de l’éducation.  Son prédécesseur Néji Jalloul, a lancé le mois de l’école, une opération pour rénover les établissements en mobilisant des mécènes. A lui seul le ministère de tutelle, malgré un important budget, n’arrivera jamais à réaliser tous les travaux de rénovation, réparation, entretien et maintenance. Sans l’engagement et la participation de tous les intervenants dans la vie scolaire, directeurs d’établissements, enseignants, parents d’élèves, société civile, hommes d’affaires…

Véritable mammouth, l’éducation a de tout temps bénéficié d’un budget important mais dont 97% va aux salaires. Que reste-t-il pour la maintenance et les nouvelles constructions? Des miettes seulement.

Aujourd’hui, ministère et syndicats de l’enseignement s’accordent sur le constat. Ils ont à cœur de sauver l’école et de réformer le système éducatif. Mais ils ne parlent pas le même langage, d’où ce blocage fortement préjudiciable. Entre temps, l’école s’enfonce dans la crise et n’accueille plus que les enfants pauvres. Elle ne fonctionne plus comme ascenseur social. Et c’est toute la société qui s’en ressent.

B.O

 

 

 

 

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