Les divergences sur la visite de la tombe du prophète
Ibn Taymiyya qui avait une réputation anti-soufie, et avait eu des entretiens avec Ghazali en ce sens avait été emprisonné une dernière fois en 1326 à Damas (alors sous le règne du sultan mamelouk bahrite, Nâsir Muhammad ben Qalâ'ûn qui y commande jusqu’en 1341) pour sa fatwa sur l'interdiction de voyager spécialement pour la visite de la tombe de Mahomet (il affirmait que l'intention doit être d'abord de visiter la mosquée - qui contient la tombe - et non la tombe elle-même). Il y meurt en 1328 emprisonné à Damas. Il est enterré dans un cimetière soufi de Damas.
La Fatwa d’Ibn Taymiyya est intervenue près de 80 ans après la visite de Sidi Belhassen Chedli de la tombe du Prophète à Médine alors qu’il effectuait un pèlerinage à la Mecque mais le fait qu’il soit un saint y change-t-il quelque chose pour Ibn Taymiyya ? Il semble que non…La légende que Sidi Belhassen Chedli ait attendu l’autorisation du Prophète pour entrée dans la Mosquée signifie cependant qu’il ait interprété de la bonne façon la parole de Dieu.
Dans la biographie de l’Imâm Ibn Çabbâgh « Durrat el-asrâr wa tuhfat el-Abrâr » dit dans son livre élaborant la biographie de Sidi Belhassen il est en effet dit : «Quand le Cheikh Ali approcha de Médine - qu’Allah l’augmente en noblesse et en magnificence - il resta debout devant la porte de l’enceinte sacrée (Haram), du début du jour jusqu’à mi-journée, nu-tête, pieds-nus, demandant la permission d’entrer à l’Envoyé d’Allah - qu’Allah prie sur lui et le salue».
Comme on lui demanda pourquoi il agissait ainsi, il répondit : «Jusqu’à ce qu’il m’autorise car Allah a dit "Ô vous qui croyez, n’entrez pas dans les demeures du Prophète sans y avoir été autorisés"».
Alors, il entendit un appel du l’intérieur du Noble Jardin (Rawdah ech-charîfah), émanant de celui qui y demeure -sur lui les meilleures prières et les salutations- : «Ô Alî ! Entre !».
Il se tint alors debout face au Noble jardin et dit :
«Que le Paix sur toi, Ô Prophète, ainsi que la Miséricorde d’Allah et Sa Bénédiction. Qu’Allah prie sur toi, Ô Envoyé d’Allah, la meilleure, la plus pure, la plus sublime, et la plus élevée prière qu’Il ait prié sur quelqu’un d’entre ses Envoyés et ses plus Purs. Je témoigne, Ô Envoyé d’Allah, que tu as transmis ce avec quoi tu as été envoyé, que tu as conseillé ta communauté, que tu as servi ton Seigneur jusqu’à ce que te vienne la certitude et que tu sois tel qu’Allah le décris dans Son Livre» : «Un Envoyé est venu à vous d'entre les vôtres. Vos épreuves lui pèsent. Il est avide de votre bien. Il est compatissant et clément envers les croyants».
«Que les prières d’Allah, de Ses Anges, de Ses Envoyés, de Ses Prophètes, et de toutes Ses créatures peuplant Ses Cieux et Sa Terre soient sur Toi, Ô Envoyé d’Allah !»
«Que la Paix soit sur vous deux, Compagnons de l’Envoyé d’Allah -qu’Allah prie sur lui et le salue-, Ô Abû Bakr et ‘Omar, ainsi que Sa Miséricorde et Sa Bénédiction. Qu’Allah vous gratifie, de la part de l’Islam et de ses gens, de la plus excellente récompense qu’Il ait jamais accordé pendant sa vie (du Prophète ?), ainsi que pour l’excellence de lui avoir succédé à la tête de sa communauté après sa mort. Car en vérité, vous étiez tous deux pour Mohammed - qu’Allah prie sur lui et le salue - de fidèles ministres pendant sa vie, et vous lui avez succédé avec équité et bienfaisance vis-à-vis des gens de sa communauté après sa mort. Qu’Allah vous récompense tous deux pour cela par Sa Compagnie dans le Paradis (Jannah), et nous avec vous, par Sa Miséricorde. Il est le plus Miséricordieux des miséricordieux.»
«Allahoumma, je Te prends à témoin, je prends à témoin Ton Envoyé, je prends à témoins Abû Bakr et ‘Omar, je prends à témoins les Anges descendus dans ce Noble Jardin (Rawdah) et qui s’y tiennent avec assiduité, que je témoigne qu’Il n’y a de dieu qu’Allah Seul, sans associés et je témoigne que Mohammed est Son serviteur et son Envoyé, le Sceau des Prophètes et le Chef des Envoyés. Je témoigne que tout ordre, interdiction ou information concernant le passé et le futur qu’il a apporté est vraie, et ne contient ni incertitude ni doute.»
«Je reconnais devant Toi, les délits et les désobéissances de ma pensée de ma réflexion, de ma volonté et ma négligence.»
«Quoi que Tu aies préféré pour moi, une chose pour laquelle Tu punis, si Tu veux, ou bien une chose pour laquelle Tu pardonnes, si Tu veux, ou quoi que ce soit qui inclut l’incroyance, l’hypocrisie, la mauvaise innovation, l’errance, la désobéissance ou le mauvais comportement envers Toi, ou avec Ton Envoyé, ou avec Tes Prophètes, ou Tes Saints d’entre les Anges, les Hommes et les Djinns, et de ce que tu as élu en quoi que ce soit en Ton Royaume. Je me suis nuis à moi-même en tout cela, Sois Bienveillant envers moi avec ce par quoi Tu as été bienveillant envers Tes Saints, car Tu es Allah, le Roi, Le Bienveillant, le Généreux, Le Pardonneur, le Très Miséricordieux.».
Les Wahhabites qui s’inspirèrent après d’ibn Tumart, des Almohades dont Abdemoumen et plus tard d’Ibn Ibn Taymiyya tirèrent du rigorisme de l’interprétation du Coran et de sunna développée par leurs inspirateurs d’autres conclusions en combattant les bidâa ou innovations.
Il faut également savoir que c’est le 6ème Calife Omayyade (668-715) Al Walid 1er qui avait ordonné au gouverneur de Médine d'annexer à la mosquée l'enclos des Mères des croyants jusqu'à obtenir une superficie de 200 coudées sur 200 coudées. Il avait demandé à l'empereur byzantin de lui fournir 100 000 miṯqāl d'or, 100 artisans et quarante charges de mosaïque pour rénover et agrandir la Mosquée du Prophète. ( Ibn Khaldûn (trad. Abdesselam Cheddadi) (1). Sur cette extension et l’interdiction d’idolâtrer la tombe du Prophète (2).
Par conséquent si Sidi Belhassen a pu visiter le tombeau du prophète après l’autorisation de ce dernier C’est une forme de karamet ou miracles dont seuls les Saints sont seuls capables, autrement comment prouver l’intention de visiter le prophète lui-même ou la mosquée qui abrite sa tombe ?...Ce qui rend cette fatwa discutable et contestable…
D’ailleurs pour la visite des tombes par des femmes, même celle du Prophète, il existe des divergences (3).
Selon l'avis d'une grande partie des savants, si une femme est en mesure de se contenir et il n'y a pas de risque qu'elle se laisse aller à des choses réprouvées (plaintes etc...), dans ce cas, il lui est permis de façon occasionnelle de visiter les tombes. D'autres savants sont d'avis que même dans ce cas la visite est déconseillée, mais pas interdite. Ces savants présentent comme principaux arguments les éléments suivants: Aïcha relate qu'elle demanda au Prophète Mouhammad: "Que dois-je dire, O Messager d'Allah, quand je visite les tombes ?" Le Prophète Mouhammad lui répondit en lui indiquant une formule de salutation. (Mouslim). L'autorisation de visiter les tombes pour la femme ressort clairement de ce Hadith.
Anas rapporte qu'une fois le Prophète Mouhammad passa auprès d'une femme qui était en train de pleurer sur la tombe de son enfant qui venait de mourir. Le Prophète Mouhammad lui dit: "Crains Allah et montre toi patiente." Elle répondit (sans savoir qui était en train de lui parler): "Que sais-tu de ma détresse ?" Lorsque le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) fut parti, il lui fut dit: "C'était le Prophète Mouhammad." (En entendant cela,) C'était comme si la mort s'était abattu sur elle; elle alla chez lui (...) et lui dit en ce sens: "O Envoyé d'Allah, je ne t'avais pas reconnu." Le Prophète Mouhammad lui dit:"La patience s'exprime lors de la première tristesse." (Boukhâri et Mouslim) Les savants relèvent de ce Hadith que le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) a vu cette femme auprès de la tombe de son fils et ne lui a pas reproché cela.
Oummé Attiyah (radhia Allâhou anha) relate: "Le Prophète Mouhammad nous a empêché de suivre le convoi mortuaire, mais il n'a pas fait preuve de fermeté à notre égard (à ce sujet)." (Mouslim)
Les savants déduisent de ce Hadith que le fait de prendre part au convoi mortuaire, et par extension la visite des tombes, pour la femme, quoique déconseillée, n'est cependant pas complètement interdite.
Il est à noter cependant qu'il y a un Hadith, rapporté par Ibné Mâdja, Ahmad et Tirmdihi, dans lequel il est dit que "le Prophète Mouhammad a maudit les femmes qui visitent les tombes"... On pourrait interpréter ce Hadith comme une preuve que la visite des tombes est strictement interdite aux femmes. Mais selon l'Imâm Qourtoubi r.a., ce Hadith n'a pas une portée générale et absolue; il concerne les femmes qui vont très souvent au cimetière. D'ailleurs le mot arabe qui y est employé ("Zouwwârât") exprime bien ce sens d'exagération. Sinon, si une femme visite les tombes de façon occasionnelle et qu'elle ne se laisse pas aller jusqu'à des pratiques illicites dans l'expression de ses sentiments, cela est permis: En effet, la nécessité de méditer et de se rappeler de la mort (dont l'un des meilleurs moyens est la visite des tombes) concerne aussi bien les hommes que les femmes. L'Imâm Chawkâni r.a. , commentant les propos de Al Qourtoubi r.a. écrit: "C'est cet avis qui doit être pris en considération, et ce, afin de concilier des Hadiths qui semblent en apparence contradictoires." (Réf: "Fiqh ous Sounnah" - Volume 1 / Pages 441 et 442).
En fin de compte aujourd’hui toutes ces divergences relatives aux visites par les femmes des tombes sont dépassées car après tout qu’est ce qui fait qu’une femme soit plus sensible qu’un homme et vice-versa ? Un homme n’est-il pas capable de pleurer devant une tombe ?
Par interprétation large à mon avis, les femmes devraient avoir droit de visiter les tombes aussi bien les hommes, y compris la tombe du Prophète (SWS).
Par Hatem Karoui, écrivain
(1) Le Livre des Exemples [« ديوان المبتدأ والخبر في تاريخ العرب والبربر ومن عاصرهم من ذوي الشأن الأكبر (Dīwān al-mubtadaʾ wal-ḫabar fī Tārīḫ Al-ʿArab wal-Barbar waman ʿāṣarahum min ḏawī aš-šaʾn al-ʾakbar) »], t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 20 novembre 2002 (ISBN 2070114252)). Le Livre des exemples La révolutionnaire pensée d’Ibn Khaldoun dans sa Muqaddima a parfois relégué dans l’ombre le Kitab al-ibar (le Livre des exemples ou Livre des considérations sur l’histoire des Arabes, des Persans et des Berbères, 1375-1379).Partiellement découvert en Europe au XIXe siècle, le texte du Kitab al-ibar — inestimable guide de l’histoire des musulmans d’Afrique du Nord et des Berbères — a recouvré ses lettres de noblesse et bénéficié d’une traduction complète en 2002, traduit en français sous le titre de Livre des exemples
(2) Voir http://www.dailymotion.com/video/xqa4lv_la-mosquee-du-prophete-aleyi-sal...
(3) Voir http://www.dailymotion.com/video/xs6eqh_est-il-permis-aux-femmes-de-visi...