Lettre ouverte d'un avocat au Barreau de Paris à Mme Ichraf Chebil

Lettre ouverte d'un avocat au Barreau de Paris à Mme Ichraf Chebil

Maitre Hatem Chelly Avocat au Barreau de Paris a adressé une lettre ouverte à Madame la Première Dame de la République tunisienne Ichraf Chebil au sujet des deux avocates Abir Moussi et Sonia Dahmani dont voici la teneur:

"Je me permets de m’adresser à vous, en tant qu’avocat, mais surtout en tant que citoyen préoccupé par l’état de droit dans notre pays, pour attirer votre attention sur la situation dramatique de deux consœurs aujourd’hui incarcérées : Maîtres Abir Moussi et Sonia Dahmeni.

Madame Abir Moussi a été innocentée par le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies (GTDA), relevant du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (UNCHR), à l’issue d’un examen rigoureux et contradictoire de son dossier. Malgré cela, et bien que la Tunisie soit signataire du Protocole additionnel depuis 2011, les autorités compétentes ont choisi de ne pas répondre aux allégations d’irrégularités soulevées. Ce silence est inquiétant, et semble traduire un désengagement volontaire de la responsabilité administrative.

L’avis du GTDA, aujourd’hui ignoré, sera publié dans le rapport annuel des Nations Unies. Il qualifie explicitement la détention de Madame Moussi d’arbitraire. La forclusion étant désormais acquise, le non-respect de cet avis expose notre pays à une mise en cause sur la scène internationale.

Quant à Maître Sonia Dahmeni, elle est aussi détenue pour avoir exprimé une opinion critique sur la situation des migrants en Tunisie — une parole qui, bien qu’acerbe, s’inscrit dans le cadre des libertés fondamentales garanties par notre propre Constitution.

L’article 37 de la Constitution de 2022 est clair :

« Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties. Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés. »

Dans ce contexte, le décret-loi n°54, qui restreint la liberté d’expression, apparaît comme non conforme à la Constitution, et doit être écarté en tant que norme inférieure.

Madame, où sont les droits fondamentaux dans ces affaires ?

Quel est le sens de la peine infligée à des citoyennes et avocates , qui n’ont jamais fait l’objet de condamnations antérieures ?

Quelle place notre pays peut-il encore revendiquer au sein de la communauté internationale si les avis des instances onusiennes sont ignorés ?

Je m’adresse à vous, en tant que femme de loi, connue pour votre rigueur et votre intégrité, mais aussi en tant que mère et Première Dame. Je fais appel à votre humanité, à votre foi et à votre sens profond de la justice, afin que ces dérives soient endiguées — avant qu’il ne soit trop tard.

La Tunisie, j’en suis convaincu, reste un pays où la justice a sa place, et où la volonté de faire triompher le droit peut encore s’exprimer.

Je forme le vœu que vous puissiez sensibiliser Monsieur le Président de la République à la nécessité d’un geste fort, courageux, et juste : la libération de deux avocates, mères de famille, aujourd’hui privées de leur liberté et de leurs enfants.

Je vous remercie sincèrement pour l’attention que vous porterez à cette requête, au nom de la justice, de la dignité humaine, et des droits de la femme.

Votre bien dévoué

Hatem Chelly

Avocat au Barreau de Paris ».

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