Métlaoui: la bataille de la peur
Les faits de El Métlaoui me rappellent les manifestations de Redeyef, qui me rappellent les révoltes de Gafsa.
Il s’agit d’un triangle patriotique, d’une région qui a toujours exprimé par tous les moyens qu’elle a eu son mécontentement contre l’oppresseur. Ces « hommes » de la Tunisie n’ont jamais demandé l’aumône mais ils ont de tout temps revendiqué leur droit à être reconnus comme hommes honorables, l’honneur chez eux étant aussi l’accès au travail.
Ce sont parmi les rares tunisiens qui ont mis leur vie en péril et sont aussi morts dans les dernières années pour exiger leur droit au travail, à l’honneur, à être hommes.
Depuis quelques jours nous cherchons par les faibles moyens que nous avons à disposition de suivre ces guerres meurtrières entre les tribus et les clans du bassin minier du début juin 2011. Les informations sont rares mais portent une réalité que les tunisiens ont toujours craint : la guerre civile. Ben Ali semble ainsi nous avoir protégé les uns des autres si on va au fond de cette pensée qui se propage comme une traînée de poudre. Ben Ali était donc notre sauveur, car les tunisiens affamés de sang et de tueries n’attendaient que le moment propice pour « s’égorger, éventrer les femmes enceintes, lyncher les enfants » comme rapportent certains témoignages, ou encore pour « tailler les têtes et les accrocher à l’entrée du village ».
Que s’est-il passé au juste ? Pourquoi ces gens du Sud, ceux qui ont forcé la main plus d’une fois à Ben Ali pour dégainer ses fusils et leur tirer dessus en 2008 et 2009, ces personnes qui ont donné le sang de leurs fils pour faire tomber la dictature durant les révoltes qui ont incendié la Tunisie en décembre 2010, se sont soudain découvert assassins féroces et indisciplinés. On nous les peint comme des bandes de tueurs assoiffés de sang qui assassinent au nom des clans et des tribus. Des animaux sauvages qui obéissent à des lois tribales primitives avides de vengeance.
Ce qui est certain c’est que le bilan est de 11 morts et une centaine de blessés selon le Ministère de l’intérieur qui explique les faits, autant que tous les partis politiques qui se sont prononcé à propos, en mettant en première ligne la piste tribale et clanique (?). Les images des morts reportent des faits relatifs à des combats homme à homme, où les victimes sont tombées à la suite de coups de feu de fusils de chasse, de coup de hache et d’autres instruments agricoles.
Les reconstructions des faits relatent de conflits qui sont nés à la suite de l’attribution de contrats de travail à des personnes en excluant d’autres sous le coup du népotisme de certains personnages survivants de l’ancien régime. Nous savons tous comment ont réagi les hommes du bassin minier quand cette même situation a été vécue en 2008, c’est relaté dans les blogs des dissidents de l’époque. Près d’une centaine d’habitants de Redeyef avaient décidé de fuir la ville pour ne plus y subir le harcèlement continu des forces de police « Nous quittons notre ville pour la laisser aux policiers », tel aurait été le mot d’ordre qui aurait guidé cette action et le Comité de Soutien aux Luttes du Bassin Minier de Gafsa sont parvenus à les en dissuader.
Ces mêmes personnes organisées en comités et en manifestants, en marches et en sit-in qui ont défié la police de Ben Ali on voudrait nous les faire passer aujourd’hui pour des primitifs qui exécutent leurs semblables comme dans les contes de Abdelaziz el Aroui mêlés à ceux des mille et une nuit.
Oui il y’a eu des affrontements, oui il y’a eu des combats, oui il y’a eu des morts, oui deux tribus se sont affrontées mais quelle en est la raison ?
La raison plus plausible qui émerge de toutes les informations disponibles et qui me convainc personnellement, et ceci n’engage que moi, n’étant ni journaliste ni politicienne, c’est que ce combat s’est fait entre ceux qui revendiquaient la dignité et la reconnaissance par le droit du travail et ceux qui ne voulaient les laisser faire en perpétrant un modèle pré-14 janvier. Le schéma tribal a été un instrument (oh combien classique) pour utiliser les émotions (on t’a tué ton cousin) pour faire partir les combats. Pour moi, les raisons ne sont pas tribales mais d’épuration.
Un jour j’avais écris « Il ne faut pas oublier que la phase d’épuration est un passage obligatoire, qu’on le veuille ou non. Vous pouvez croire que ça devrait être organisé dans le calme et le droit mais les « vengeances » personnelles ou de groupe seront aussi de la partie. »
J’avais par ailleurs conclu mon discours avec cet appel aux ex du régime déchu « Ne défiez pas le peuple car le peuple tunisien n’aime plus être défié. Quittez la scène jusqu'à ce que la loi judiciaire fasse son cours. Car la loi du peuple n’a pas de juge ni de tribunal et nous ne voulons plus de tributs de sang ».
Aujourd’hui les ex du régime ne reviennent pas seulement pour allumer le feu, ils veulent nous faire croire que le problème est en nous. Tribus contre Clans, Barbus contre Laïques, Intellectuels contre Ignorants. La peur du vide a fait si que beaucoup de tunisiens ont accepté de voir revenir les EX, les VIEUX. Maintenant la peur de l’inconnu nous fait admettre que des ex dirigeants du RCD aient une force politique qui appelle à éliminer la constituante et à instituer un référendum. La peur du sauvage primitif s’ajoute pour nous faire comprendre que nous ne pourrons jamais avoir confiance l’un en l’autre, car l’autre pourrait t’égorger.
Rappelez-vous quand nous avons décidé, un par un, de rallier les manifestations de janvier, nous n’avions qu’une seule certitude : c’est que nous faisions partie d’une Nation unique face aux ordures du régime. Aucun ne pouvait penser que nous nous serions entre-tués. D’ailleurs nous ne l’avons pas fait. Personne ne pourra me faire croire que ces hommes de notre sud, fils de notre désert, porteur de toute une culture d’honneur et de courage s’entre-tuent par « nature ».
Au lieu de nous mettre en garde « contre la gravité du dérapage dans les conflits tribaux et claniques qui menacent l'unité nationale et la font dévier des objectifs de la Révolution pour bâtir une Tunisie nouvelle, libre, solidaire et démocratique » et formules rhétoriques similaires, appelons tous à éradiquer le mal, celui qui est en train de nous ronger TOUS : la présence des ex du RCD partout ou on se tourne. Ils sont encore là, non plus comme des fantômes mais comme des patrons. Ils ne se cachent même plus et tels des paons ils nous rient au nez en nous exhibant leur plus beau plumage. Et vous osez être surpris et scandalisés que certains passent à la violence ?
Par Wejdane Majeri