Nidaa Tounes à la croisée des chemins

Nidaa Tounes à la croisée des chemins

Par Brahim Oueslati

Nidaa Tounes entrera dans les annales comme étant l’un des rares partis politiques dans le monde, si ce n’est l’unique, à avoir gagné des élections et se trouver au bord de l’implosion. Les veillées d’armes qui ont précédé les élections législatives avec le choix cornélien des listes électorales et l’embrouillamini  qui a caractérisé la démarche suivie pour la formation du gouvernement et, surtout la démission de son Président fondateur Béji Caid Essebsi, ont favorisé l’émergence des divisions au sein du parti.

On a l’impression qu’il « s’avance vers une drôle de guerre larvée où le fracas des destins personnels » risque de ruiner les objectifs collectifs.

Le difficile pari réussi

Quand, le 26 janvier 2012, à peine quelques petites semaines après avoir cédé  la primature à Hamadi Jebali, suite aux élections de l’Assemblée nationale constituante, Béji Caïd Essebsi, a lancé un appel aux Tunisiens, il ne s’attendait, certainement, pas à ce que cette initiative aboutisse à la création d’une formation politique qui, deux ans plus tard, gagnera haut la main les deux scrutins législatif et présidentiel.

Entouré d’un groupe de militants qui lui sont, affectivement et politiquement, proches, comme Taieb Baccouche, Lazhar Akremi, Lazhar Karoui Chebbi,  Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk,  Slim Chaker, Mahmoud Ben Romdhane, Selma Elloumi… et d’autres,  comme Bochra Belhaj Hmida, Mondher Belhaj Ali, Mustapha Ben Ahmed, Kemaies Ksila, Abdelaziz Kotti, Saida Garrach, Abdessatar Messaoudi…qui ont rejoint, plus tard le parti, il a réussi, en peu de temps,  à rassembler dans un même moule des courants  de pensée différents, allant des destouriens à la gauche en passant par les indépendants et les syndicalistes.

Ce nouveau parti, qui se considère comme «un prolongement du mouvement de libération nationale et sociale», a été, dès les premiers jours de sa création, vivement attaqué, vilipendé et diabolisé, essentiellement par la Troïka au pouvoir, l’accusant de puiser dans le réservoir de l’ancien RCD et d’en recycler les militants. Des menaces de mort ont été proférées contre son président et plusieurs de ses dirigeants. Ses meetings ont été perturbés par des éléments « fascistes », plusieurs de ses locaux ont été saccagés et un de ses militants, Lotfi Naguedh, a été tué à Tataouine.

Mais il est arrivé, contre vents et marées, à s’imposer comme un élément incontournable dans l’échiquier politique national, pesant de tout son poids, en compagnie d’autres forces politiques et de la société civile, pour faire aboutir le dialogue national et imposer  un gouvernement de compétences, composé de personnalités indépendantes. Le difficile pari a été réussi.

« L’appétit vient en mangeant »

Et comme « l’appétit vient en mangeant », Nidaa Tounes a vu, grâce à cette nouvelle dynamique,  ses ambitions grandir, de jour en jour, et a commencé par lever plusieurs obstacles pour se préparer aux batailles électorales. 

Comptant sur deux grosses machines, électorale formée essentiellement de destouriens rompus à ce genre de batailles sur le terrain, et médiatique  où des figures de gauche et anciens militants des droits de l’homme, alliant  éloquence et maitrise, ont dominé les débats. Le tout sous l’œil vigilant et scrutateur du grand Chef.

Le spectre des tentations scissionnistes a été évité lors des élections législatives et les militants du parti se sont rassemblés autour de leur candidat à l’élection présidentielle. Le succès dans les deux scrutins, législatif et présidentiel, a aiguisé davantage les ambitions et créé un climat de suspicion et de doute annonciateur déchirement et de fronde.  

Le choix d’un chef de gouvernement en dehors de Nidaa Tounes, ajouté à sa marginalisation lors de la formation du nouveau cabinet, ont aggravé les divisons à l’intérieur du parti et on a assisté à de vifs échanges par voie de médias entre plusieurs de ses dirigeants. Et le parti s’est trouvé menacé d’implosion.  

En l’absence d’institutions élues, c’est le comité constitutif  qui assure la direction du parti. Il est composé de 11 membres auxquels sont venus s’ajouter le vice président Mohamed Enaceur qui prend, désormais, le poste laissé vacant par Béji Caid Essebsi, le responsable des structures Hafedh Caid Essebsi et le président du groupe parlementaire, Fadhel Ben Omrane. De son côté, Boujemaa Remili, membre fondateur a succédé à Ridha Belhaj nommé directeur du cabinet présidentiel,  au poste de directeur exécutif.

Dimanche, Nidaa Tounes réunit son bureau exécutif pour tenter d’éviter la crise  et de retrouver l’unité perdue. Les appels lancés par les uns et les autres, parlementaires, membres du bureau exécutif coordinations régionales, ont été pris a sérieux par le comité constitutif qui a préféré reporter l’élection du bureau politique, la question qui divise et fâche,  à une date ultérieure.

La réunion à laquelle prendront part les députés et les coordinateurs régionaux,  sera consacrée à la discussion des prérogatives de la nouvelle instance du parti qui se composera de 30 membres dont les 14 du comité constitutif. Les 16 autres seront élus, à parts égales,  parmi les députés et les membres du bureau exécutif. Un accord semble avoir  été trouvé pour établir une liste consensuelle, afin d’éviter les dissensions. Une feuille de route devra, également, être établie en vue des prochaines échéances et notamment le congrès du parti.

Toutefois, « exister sans diviser et participer à la vie du parti sans se laisser engluer dans le système », est une vraie gageure. Mohamed Ennaceur et les membres fondateurs ont une obligation de résultat.

B.O.