Pourquoi bloquer la démocratisation de l’université tunisienne ?

Pourquoi bloquer la démocratisation de l’université tunisienne ?

 

Depuis la révolution tunisienne, les chefs d’établissements universitaires sont élus tous les trois ans, grâce au vote du conseil scientifique composé d’enseignants-chercheurs (quatre enseignants du corps A et quatre enseignants du corps B ).

La seule condition pour qu’un enseignant-chercheur soit candidat au poste de chef d’un établissement universitaire est que celui-ci soit du corps A (Professeur ou Maitre de Conférence).

Or l’expérience a montré que ce mode d’élection présente de nombreuses failles. Tout d’abord, ces élections se font uniquement sur la base de l’appartenance du candidat à un grade précis (corps A) et non sur l’intérêt que porte ce candidat sur l’institution et sur l’ensemble du corps enseignant. De plus, ce mode de vote (indirect) permet au directeur d’être élu par « copinage », lésant ainsi la plupart des enseignants et particulièrement les enseignants du corps B. Le chef d’un établissement universitaire, durant les trois à six années de son mandat, se devra de servir les intérêts de son cercle bien précis mettant de côté l’institution et les enseignants-chercheurs du corps B.

C’est dans cet esprit que la réforme proposée par le ministère de l’enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a fait de la démocratisation de l’université tunisienne une de ses principales préoccupations. Cette réforme propose d’élargir la masse électorale en impliquant les enseignants du corps B dans le processus électoral d’une part et, de conditionner les candidatures sur des critères précis d’autre part.

A ce titre, le projet d'amendement du décret-loi relatif à l'organisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de la recherche scientifique édité par le conseil des universités le 15 mars 2017, propose de démocratiser le mode d'élection des chefs d'établissements en offrant deux options de vote différentes. La première option, très démocratique, permet un vote direct par tous les enseignants permanents, la seconde option, un vote indirect des enseignants permanents par les membres élus des conseils scientifiques mais en imposant certains critères au candidat du corps A. Toujours, dans un souci de transparence et de démocratisation, le conseil des Université a invité tous les enseignants à émettre leur choix concernant les deux options de cette nouvelle réforme à travers leurs représentants, les conseils scientifiques et les conseils des universités.

A notre connaissance et sans grand étonnement, il existe une grande réticence de la plupart des chefs d’établissements, des présidents d’université ainsi que le syndicat des enseignants de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, tous du corps A bien sûre. Ces derniers évoquent des raisons non justifiées afin de rejeter et de pouvoir encore servir leurs propres intérêts et d’exercer leur pouvoir.

Ce refus catégorique de la démocratisation a mis en otage les enseignants chercheurs qui n’ont pas pu faire entendre leurs avis.

Malgré ce blocage, un petit groupe d’enseignants universitaires volontaires de l’Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis (ESSECT), a spontanément pris l’initiative de réaliser un sondage informel permettant aux enseignants permanents de l’ESSECT d’émettre leur avis concernant la réforme sur la démocratisation de l’université tunisienne. Ce sondage réalisé sur la page officielle et privée des enseignants-chercheurs de l’ESSECT, a permis aux enseignants qui le souhaitaient de choisir entre les deux options proposées. Il a également été envoyé par mail aux enseignants qui n’ont pas facebook leur permettant ainsi de participer au vote. Contrairement au refus catégorique émis par les différentes parties, cette belle démarche a montré une grande volonté des enseignants chercheurs de l’ESSECT à migrer vers la démocratisation de l’université tunisienne. Ce sondage a montré une large participation des enseignants de l’ESSECT, ainsi qu’une vaste tendance vers l’option du vote direct. Belle image de démocratie apportée par ce groupe d’enseignants ! Un exemple à suivre par les autres institutions…

 

Talel Ladhari
(Professeur des universités:
- College of Business Um Al-Qura University
- Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales)

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