Pourquoi les Tunisiens refusent le port systématique des masques ?

Pourquoi les Tunisiens refusent le port systématique des masques ?

Par Dr Mahjoub Lotfi Belhedi

Alors que nos prestigieux scientifiques ne ratent pas la moindre montée sur scène médiatique à  culpabiliser le comportemental des tunisiens en termes de port de masque et de distanciation physique, il est aussi facile á constater qu’aucun article ou publication  empirique  fiable portant sur les contours  psychologiques et anthropologiques du Covid-19 n’a été signalé dans un contexte tunisien hautement spécifique où se croise tous les démons Covidiens (sanitaire, social, économique et politico-politique)…

Aussi, bien que l'intégration d'un sociologue et surtout d’un anthropologue au sein de « la commission scientifique » constitue une opportunité unique pour pouvoir rebondir  sur les questions de port de masque et de distanciation physique par voie d’un décryptage profond, non accusateur  du phénomène, la tyrannie des porteurs de blouses blanches sur les travaux de cette commission persiste encore via l'incarnation parfaite du rôle des pompes funèbres…

A juste titre, le phénomène de réticence, voir de rejet du port des bavettes par une grande partie de la population n’est en fait que la  résultante d'interaction de plusieurs facteurs impactant le comportement des tunisiens :

1- Une gestion hasardeuse et opaque de la pandémie !

Dans des articles précédents (dont l'un à fait l'objet d'une publication auprès d'un grand think-tank européen), j'ai passé en revue les principales carences afférentes au  management de la pandémie !

En ce qui concerne le port des masques :

On se souvient des propos tenus par  nombreux de nos scientifiques au début de la pandémie que «  L’usage des masques par des personnes en bonne santé ne sert à rien”, 

Puis après, les tunisiens ont suivi avec beacoup d’amértume l'éclatement d’un scandale d’Etat  sur la fabrication  des bavettes,  avant de se trouver  brutalement larguer sur un marché parallèle de masques  made in « Boumendil ».
Ce  faux départ a contribué largement á  l'effondrement du capital-confiance  auprès du grand public, aggravé, ces jours-ci, par une gestion désastreuse de la chaine logistique des vaccins…

2/ Une communication patriarcale á la sauce tunisienne !

Au lieu d'observer une attitude communicationnelle  responsable et mesurée par la mise en place de structures de proximité d'écoute et de sensibilisation sur la question de port des masques, la plupart des médias ont  opté, dés l’avènement de la pandémie, pour une stratégie  d'infantilisation et de culpabilisation du grand public, et  pour que la sauce paternaliste soit bien pimentée, on ajoute, souvent,  á la marmite du poivre au saveur de peur et de panique…
En conséquence, la politique communicationnelle sanitaire continue à inventer les alibis les plus faciles et simplistes á évoquer  et á chercher sur son passage une file de bouc-émissaires !

Cet acharnement communicationnel n'a  fait qu'aggraver la frustration auprès de la population surtout parmi les  jeunes qui ne croient plus aux recettes magiques des séniors …

3/ Une réticence  d’ordre culturel !

Il va de soi - au moins pour les anthropologues - que le port de masques est un legs humain largement partagé par plusieurs civilisations dont les représentations varient  d’un corpus culturel á un autre.

En Asie, le port des masques est perçue, surtout durant les crises sanitaires, comme étant une singularité culturelle, alors qu’en Afrique, les  masques s’apparente  á un rituel,  un moment   de  glorification  d'un être divin tout puissant !

Chez nous,  la réticence du port des masques pourra s'expliquer, entre autres,  par 

- L'attachement d’une grande partie de la population  á une lecture fataliste de l'héritage religieux selon laquelle la Covid-19 á un caractère inéluctable dont on ne peut rien faire ! 

- La synergie  entre tunisiens s'accomplit par le déploiement simultané et intensif des mains et des paroles (caractère typiquement méditérannéen), et le port de masque entrave cette communication mixte et la rend inopérante ! 

- La propagation durant cette décennie d’un fléau protestataire sans équivalent dans les quatre coins du pays  se manifestant par le rejet bavlovien de tout ce qui émane des pouvoirs publics.

Et comme « la mise en sourdine » est devenue un sport national, je continue á taper fort, par mes écrits,  la porte du royaume des sourds dans l'espoir d'un retour miraculeux  du sens auditif des uns et des autres !

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