Proposition de feuille de route pour la nouvelle ministre de la Culture

Proposition de feuille de route pour la nouvelle ministre de la Culture

Après le 14 janvier 2011, six ministres de la Culture se sont succédé à la tête de ce département dont trois, y compris le dernier, sont des musicologues. Au risque de déplaire, c’est un constat, tous les six ont failli à créer un projet culturel viable qui résout les maux de l’état actuel et qui se projette dans l’avenir proche et lointain.

Tous se sont prélassés dans les prééminences du pouvoir, le dernier en date son Excellence Mohamed Zinelabidine, dont la charge a duré presque trois ans, c’est lui qui en a le plus usé et abusé. La fonction de ministre selon ce qu’il n’a jamais cessé de démontrer se limiterait, essentiellement, en des actions protocolaires qui visent à le maintenir au pouvoir, leurs incidences sur la culture ou le patrimoine tunisien, il n’a que cure.

Que faisait notre auguste ministre, il faisait de la marche sur place à la manière d’un planton devant une guérite. Il était pris par la bougeotte, presque chaque jour il se donnait le « devoir » d’inaugurer quelque chose, de présider un petit conseil, de visiter une localité, de donner des décorations, de tenir une conférence de presse, d’accueillir untel ou unetelle… . Toutes ces actions ne dépassaient pas généralement le statut de faits d’annonces.

Du côté humain son excellence se distinguait par deux orientations : changer de chefs de cabinet comme on change de chaussures, pendant son ministère il a battu tous les records en la matière, pas moins de six chefs de cabinet ont travaillé pour lui pendant trois ans. En Procuste, il écimait toute taille qui dépasse ce qu’il délimitait en espace vital pour ses subalternes.

Dans cette vocation, il a démis de leurs fonctions Amel Mousa de la direction du festival de Carthage, Moez Mrabet de la direction du festival de Hammamet, Héla Ouardi de la direction générale du livre et Chiraz Latiri directrice générale du Centre national du cinéma et de l’image. Plus grave, il insinue que ses décisions en la matière sont faites pour lutter contre la corruption, il jette de l’opprobre, sans preuve tangible sur des gens qu’il a démis de leur fonction ; solution de facilité qui peut se retourner contre lui.

Vengeance du sort, la dernière qui a été révoquée injustement, madame Chiraz Latiri est désignée ministre de la Culture et c’est avec elle que Mohamed Zinelabidine va procéder aux passations des pouvoirs en exercice républicain obligé. Pour réussir elle doit faire tout le contraire, alors tout le contraire, de ce que Mohamed Zinelabidine a fait.

Le ministère est en charge de la culture et du patrimoine. Tous les six ministres qui ont précédé à la tête de ce département n’avaient de yeux que pour le spectacle et le cinéma, le patrimoine fut le parent pauvre, il n’avait droit qu’à la portion congrue du budget du ministère. Il faut que cela cesse un renversement de vapeur est attendu de la part de madame Chiraz Latiri, quoiqu’elle ait des affinités avec le cinéma.

Pour propositions concernant ce qu’il serait bénéfique de faire, nous lui suggérons, s'il elle le veut bien, ce qui suit. Vue sa formation, sa personnalité et ses aptitudes avérées nous sommes certains qu’elles trouveront écho chez elle soient-il mince.

Primo, elle doit montrer une équation personnelle équilibrée. Elle est dans l’obligation de bannir tout vain narcissisme ; faire cultiver son égo ne nous intéresse pas. Tout aussi elle doit éviter l’attitude populiste qui ne fait qu’ouvrir les boites à Pandore.

Secundo, la vaine bougeotte, dont Mohamed Zinelabidine a fait un exercice quotidien, n’est que perte du temps qui doit, dans l’urgence, être consacré à la résolution en profondeur des maux de la culture et du patrimoine.

Tertio, il lui serait impératif de changer tout le staff proche du ministre qui est en place depuis une vingtaine d’années ; cela va des secrétaires, des accompagnateurs et même des chauffeurs qui, aguerris, ont développé des aptitudes à envoûter leur supérieur qui sera happé dans des actions puériles, des rencontres à tout-va, des inaugurations futiles, des déplacements inutiles… elle ne va plus trouver le temps de la profonde réflexion ! elle risque de se trouver dans la posture de reine fainéante, elle devient manipulable à souhait. 

Quarto, elle est dans l’obligation de tout numériser. Tout, via le Net, doit être accessible à tout demandeur. Chaque projet subventionné, devenu propriété de l’Etat, doit laisser une trace numérique : film, pièce de théâtre, tableau, spectacle, festivité de rue, etc. La ministre est tenue d’être capable de contrôler depuis son ordinateur la présence d’un tableau dans un musée, de voir une scène enregistrée d’un spectacle, de connaitre le nombre de copies d’un livre dans une bibliothèque… A jamais l’Etat doit bannir les subventions de projets sans traces. Tout projet sans trace est inexistant, lui accorder une subvention, c’est violer les deniers publics.

Quinto, faire impérativement un audit à propos les projets coquilles vides institués par Mohamed Zinelabidine qui ont drainé des sommes colossales, alors que leur résultat est presque nul, ce sont les projets dits Cités des cultures et consorts ; ils ont englouti selon les chiffres du ministère 287 675 000 de dinars ; alors qu’aucun n’a vraiment une visibilité, soit-elle brumeuse, sur leur justification ; un audit approfondi sur la question n’est pas une option facultative, mais une obligation impérative. L’avis des commissions régionales de la culture et du patrimoine s’y rapportant serait judicieux, elles savent démêler l’ivraie de la bonne graine. Qui vivra verra, ici, entendra.

Sexto, donner plus de moyens aux commissions régionales de la culture et du patrimoine qui ont accumulé des savoir-faire hérités depuis des décennies. Les budgets décidés en centrale selon les lubies des ministres devront être définitivement écartés ; il faut les dispatcher aux besoins des régions selon des dossiers bien ficelés dont les commissaires régionaux seront responsables administrativement et judiciairement.   

Septimo, remuer les dossiers ostracisés par Mohamed Zinelabidine, tel celui du site Ibn Khaldoun ou de la bibliothèque dite numérique de Sfax. Rien n’entrave d’écouter les doléances des honnis par ce ministre qui sont en majorité d’excellents agitateurs culturels.

Octavo, écouter les directeurs au sein du ministère qui ont fait leurs preuves, tout le ministère les connait, nous aussi nous les connaissons. Ce sont des messieurs et des dames honorables. Tout aussi, sans esprit de revanche, faire le bilan de ceux, proches de Mohamed Zinelabidine qui ont connu une ascension fulgurante que rien de professionnel ne justifie.

Nono, écouter les six chefs de cabinets qui ont secondé Mohamed Zinelabidine, ils vont faire ressortir des perles, des anguilles sous roches et des vertes et des pas mures. Leurs courtes expériences, soient-elles, seraient pleines d’enseignements dont tout nouveau ministre de la Culture peut en tirer parti.

Decimo, instituer des commissions, de tri, de suivi et d’évaluation des projets subventionnés par le ministère de la Culture dont les membres seront nouveaux n’ayant aucune accointance vénale avec qui que ce soit. Ils devront être payés convenablement ; ils vont fournir des efforts dont il sera légitime de rétribuer.

Undecimo, faire un audit des subventions qui ont été allouées, dès le début, à chaque personne physique ou personne morale pour mesurer la somme totale qu’aie reçue de l’argent public un tel cinéaste, un tel musicien, une telle cheftaine de troupe de dance, un tel peintre … et faire les comparaisons nécessaires entre ce qu’il a reçu et ce que la société en a réellement bénéficié. Sûrement que cet audit va faire éclater en plein jour et les noms des barons de la subvention culturelle et le système de copinage dont ils s’y sont immergés.

Duodecimo, dispatcher le budget du ministère consacré aux interventions directes à hauteur de 60 % pour le patrimoine, en fait à notre trésor culturel collectif, tenu pour parent pauvre sans défenseurs patentés et à 40 % pour l’art du spectacle et du cinéma qui se sont arrogé le plus gros lot pour des résultats mitigés, certaines ouvres cinématographiques traitant des tourments psychologiques de leurs initiateurs n’ont pas été vus même par des acteurs qui y ont figuré.

La nouvelle ministre n’a pas vraiment le choix. De deux choses, l’une, elle va se prélasser dans les ors de la République, continuité avec les prédécesseurs oblige, et elle sera l’énième ministre looser de la Culture ; l’autre, elle va couper le cordon ombilical avec les tares du passé, là elle sera sur la bonne voie. C’est à elle de prouver ses qualités de meneuse d’hommes et de femmes, de ministre à projets. Elle part auréolée d’un préjugé favorable, nous lui souhaitons pleine réussite, elle en est capable.

 

Ali Bouaziz

Directeur du site Ibn Khaldoun

https://sites.google.com/site/ibnkhaldun21/

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