Quand la radio tunisienne RM FM diffuse des jingles d’une radio polonaise sans son autorisation ! 

Quand la radio tunisienne RM FM diffuse des jingles d’une radio polonaise sans son autorisation ! 

Par Dr Nouha Belaid

Le portail polonais « Wirtualnemedia.pl  » a signalé récemment comment la radio tunisienne « RM FM » diffuse des jingles de la radio polonaise « RMF FM » sans son autorisation. Il s’agit même d’un ensemble de jingles commandés dans l'un des studios d'enregistrement les plus prestigieux des États-Unis. 

Si « RM FM » est une petite radio privée, présente dans la ville de Masakin dans le Sahel tunisien et dirigée par Al Hilal Media Company, « RMF FM » est une grande radio privée polonaise, appartenant au groupe allemand « Bauer Media Group ». Elle est considérée comme étant le leader du marché de la radio en Pologne pendant la période de mars à mai de cette année.  En termes d'écoute, elle attire un bon nombre d’auditeurs âgés de 15 à 75 ans, à savoir 30,1% du taux d’audience total.

De quoi s’agit-il ? En effet, entre les chansons, « RM FM » joue des jingles « RMF FM », seulement plus courts d'environ une seconde. Ils ont la même mélodie, mais quand la chanteuse chante le nom de la station, quelqu'un lui a coupé un F (soit de RMF soit de FM). Il parait donc que quelqu'un les a soit enregistrés, car vous pouvez entendre la compression, soit téléchargés sur Internet, car ils sont disponibles sur YouTube, ou téléchargé une démo sur le site Web du fabricant et les a coupés, selon  Wirtualnemedia.

 L’avocat Marcin Mioduszewski a annoncé à Wirtualnemedia qu’il s’agit « d'une violation du droit d'auteur et des droits voisins parce qu'un jingle, comme toute autre mélodie ou chanson, bien que court, contient diverses couches créatives protégées, par exemple la voix, la composition et la ligne mélodique ». Il ajouté : « Nous appelons ces types d'œuvres courtes parce que, dans le domaine du droit d'auteur, il y a souvent un débat quant à savoir si elles sont suffisamment créatives pour être protégées ». 

Violation du droit d'auteur: RM FM serait-elle bloquée par l’Union Européenne ?

Jacek Dyląg, membre de RMF FM, a déclaré que le blocage de cette radio est impossible. Il est très difficile de faire appliquer la question de la violation du droit d'auteur à l'étranger, bien que théoriquement cela soit possible. 

L’avocat Marcin Mioduszewski admet qu’« il serait probablement nécessaire d'impliquer des avocats locaux et de se protéger auprès des tribunaux tunisiens. Peut-être, dans une mesure très limitée, pourrait-on également essayer de poursuivre des revendications en Pologne, car c'est dans notre pays que l'on peut écouter des jingles sur Internet, qui sont utilisés par la radio tunisienne ». En pratique, il ajoute : « il est peut-être très difficile de faire respecter une interdiction de diffusion en direct sur cette station…Il serait plus facile de lutter contre la radio « RM FM » s'il s'avérait que ses serveurs se trouvent quelque part en Europe ».

En fait, le droit de l'Union Européenne s'applique si la radio « RM FM » était présente en Europe, parce que l'endroit où le son est disponible, y compris les jingles, est dans l'Union Européenne. C’est la raison pour laquelle l’avocat a conseillé aux dirigeants de la radio polonaise de faire une convocation directement ou par l'intermédiaire d'un bureau à l'étranger sinon essayer de bloquer une telle diffusion en Europe.

A qui incombe la responsabilité juridique en Tunisie ?

En Tunisie, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) se charge de la régulation du secteur de l’audiovisuel. Dans le décret-loi 116, la violence des droits d’auteurs n’a pas été mentionnée. Cependant, ceci a été mentionné dans le cahier des charges fixant les conditions d’octroi d’une licence de création et d’exploitation d’une chaine de radio privée sur le territoire tunisien (Chapitre VI, section II : Obligations relatives à la propriété intellectuelle et artistique).
 
L’article 19 mentionne comme suit : En cas de diffusion, dans un programme déterminé, de séquences empruntées à une production d’une tierce partie, il faut obligatoirement mentionner la source, soit pendant la diffusion, soit dans le générique du programme concerné, même si la partie qui diffuse est la même qui a produit le programme. ».

L’article 18 du cahier de charge confirme que l’institution titulaire de la licence est tenue de fournir à la HAICA une convention écrite conclue entre l’établissement médiatique et l’instance tunisienne chargée de la protection des droits d’auteur et des droits connexes portant sur l’exploitation des œuvres littéraires et artistiques dans les programmes et les messages publicitaires. Il s’agit dans ce cas de l’Organisme Tunisien des Droits d'Auteur et des Droits Voisins (OTDAV) qui veille à la protection des droits d’auteurs en Tunisie. D’ailleurs, l’OTDAV est membre depuis 1975 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (WIPO) sauf qu’il n’y a pas de convention à cette heure actuelle entre cette institution et l’instance polonaise connexe afin d’appliquer des restrictions.

La radio polonaise pourrait au moins réclamer auprès de la HAICA via son département de plaintes. La radio tunisienne « RM FM » sera interdite par la suite de diffuser les jingles polonais.

Pluralisme médiatique VS journalisme de qualité en Tunisie

Il est à noter que de nombreux médias ont vu le jour en Tunisie, dans le cadre de la transition démocratique. Il s’agit d’offrir aux citoyens un espace pluraliste qui défend la liberté de presse et d’expression.

En parallèle, nous avons assisté à la naissance de la HAICA et récemment le conseil de presse.  Or la présence de ce dernier confirme déjà que, de nos jours, l’autorégulation est un élément important pour protéger la scène médiatique de certaines déviations. La HAICA n’a pas réussi pendant ces dernières années à empêcher les propriétaires des médias de dépasser les lois, et ce, en raison de la faiblesse des textes juridiques actuels assurant la gouvernance du secteur médiatique.

Par la suite, une réflexion plus développée devrait être menée autour de la protection de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur en l'absence de mesures juridiques réelles. 

Aujourd’hui, YouTube nous empêche systématiquement de publier un morceau musical ou une vidéo accompagnée d’une musique ou d’une voix dont on ne dispose pas des droits de propriété. Ce qui devrait être bel et bien le cas de médias. 

Enfin, le non-respect des droits d’auteurs touchent la qualité de journalisme dont on veut instaurer dans notre société. Un journalisme de qualité respecte systématiquement l’Etat de droit tout en étant libre.

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