Révolution An VIII : le désenchantement mais l’espoir reste permis

Révolution An VIII : le désenchantement mais l’espoir reste permis

 

En ce 8ème anniversaire de « la fuite » de Ben Ali, la phrase qui revient le plus est : « surtout ne nous parlez pas de fête, parce qu’il n’y a rien à fêter ». Car le sentiment général est non à la déception, mais au désenchantement.

Alors qu’on attendait monts et merveilles du changement majeur enclenché ce jour-là, on n’a récolté en fait qu’un chômage qui persiste inexorablement, une pauvreté qui étend ses tentacules jusqu’aux classes moyennes qui faisaient la fierté de la Tunisie indépendante, une corruption et une contrebande florissantes qui prennent l’économie en otage. Sans oublier le terrorisme qui prend ses quartiers dans des zones du pays, mais aussi la violence et le crime qui prennent des formes inédites et menacent la cohésion de la société.

Ce tableau sombre n’est pas complet si on n’y ajoute pas un renchérissement sans précédent du coût de la vie, une chute vertigineuse du dinar ainsi qu’un endettement public qui atteint des proportions alarmantes. Les pénuries, terme depuis longtemps oublié du lexique font leur apparition. Les médicaments d’abord, puis le lait, le beurre et même les œufs, une denrée populaire par excellence.

Sur le front social, la situation n’est pas meilleure. Les grèves sont quasi-quotidiennes dans les domaines aussi sensibles que l’enseignement ou le transport. Une grève générale dans la fonction publique et les établissements publics est prévue trois jours après l’anniversaire de la révolution dont on dit qu’elle pourra être un tournant dans les rapports entre le pouvoir et la centrale syndicale UGTT. La comparaison est d’ailleurs faite avec le 26 janvier 1978, date d’une autre grève générale qui s’est terminée dans un bain de sang. Si la Tunisie était une entreprise, elle serait en faillite, nous dit-on preuves chiffrées à l’appui.

Au plan politique, les choses ne paraissent pas, non plus brillantes. Les deux têtes de l’Exécutif, appartenant pourtant à la même famille politique se font une guerre sans merci. Le Parlement, centre du pouvoir est incapable à mettre en place les institutions constitutionnelles qui auraient dû être fonctionnelles depuis trois ans au moins, dont en particulier la Cour Constitutionnelle pourtant essentielle dans l’édifice politique.

Même l’instance supérieure indépendante des élections, dont le rôle est majeur dans l’organisation des élections et dont la création date de 2012 est quasi-paralysée puisque son président est démissionnaire depuis plus de six mois et le renouvellement au tiers qui devait avoir lieu il y a un an n’est pas encore entamé.

Pour autant devrions-nous regretter d’avoir déclenché une révolution. Nombreux sont les Tunisiens qui sont nostalgiques de l’ère ancienne et qui appellent au retour du régime précédent, car au moins il leur garantissait la sécurité, des prix à leur portée et une certaine quiétude qui leur manque tant.

Mais ce serait faire preuve d’aveuglement que de ne pas reconnaitre les acquis qui font partie de notre quotidien. Ainsi le champ des libertés n’a fait que s’élargir. Libertés publiques bien sûr avec notamment la liberté de presse, d’expression, de rassemblement mais aussi libertés individuelles reconnues et exercées en vertu de la Constitution adoptée le 27 janvier 2014 et qui reste une référence dans ce domaine.

La vie politique s’organise avec à la clé des élections démocratiques, libres et transparentes. Des échéances électorales nationales et locales ponctuent désormais la vie du pays permettant l’alternance aux postes de responsabilité, ce qui constitue l’essence de la démocratie, c’est-à-dire de l’exercice de la souveraineté par le peuple et par lui seul.

Certes la classe politique n’a pas été jusqu’ici à la hauteur des responsabilités qui lui incombent mais cela ne saurait tarder. On ne peut d’ailleurs qu’être porté par un sentiment de frustration de voir que l’ère du « consensus » ou plus simplement de la cohabitation entre les deux grandes forces du pays, mise en œuvre par le fondateur de Nidaa Tounés, Béji Caïd Essebsi et le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi n’ait pas donné les fruits qu’on attendait. En effet, les deux partis totalisaient, à eux deux, au lendemain des élections de 2014 plus des deux tiers des députés à l’ARP, ce qui aurait permis de mettre en place les institutions du pays et de procéder aux grandes réformes indispensables pour mettre la nation sur la bonne voie.

Est-ce un quinquennat pour rien que le pays vient de perdre ? Certes on peut le penser mais il ne faut pas se leurrer, les changements radicaux comme celui qu’a vécu la Tunisie depuis 8 ans ne sont pas de longs fleuves tranquilles. La révolution française a mis presqu’un siècle pour placer ce pays dans l’orbite des nations démocratiques. La Tunisie ne mettra pas autant de temps, mais elle est déjà dans la bonne voie.

Les espoirs restent en effet permis pour que le pays triomphe de ses aléas et trouve son chemin. Ceci passe par la valorisation du travail sans lequel rien n’est point possible. Il passe aussi par l’émergence d’une nouvelle classe politique dotée d’une vision claire de l’avenir du pays et des défis qui lui sont imposés.

Il ne fait pas de doute que la Tunisie de 2019 n’a rien à avoir avec celle de 2010. S’il y a eu révolution c’est bien la preuve que rien ne marchait à cette époque même si les performances économiques et la situation sociale n’étaient pas, en apparence, mauvaises.

En huit ans, l’édifice des libertés et de l’attachement à la démocratie, même s’il n’est pas achevé a pu être consolidé. Il faut espérer que les prochaines élections présidentielles et législatives prévues au dernier trimstre de l’année favoriseront l’émergence d’une nouvelle classe politique, jeune, dynamique et aguerrie et en tout cas capable de placer le pays dans l’orbite des nations de plain-pied dans le XXIème siècle. RBR

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