Sadok Chaabane ; voilà pourquoi il faut passer de la seconde à la troisième république

Sadok Chaabane ; voilà pourquoi il faut passer de la seconde à la troisième république

 

« Le problème essentiel de la Tunisie est le mode de gouvernement et la solution est de le modifier ». Le professeur de droit Sadok Chaabane fait en quelques mots le diagnostic et donne le remède. Pour lui « la trilogie traditionnelle qui donne la mesure du progrès des nations est inter-liée puisque cet objectif n’est atteint que si on réussit sur trois volets, politique, économique et social ». Ces trois dimensions doivent être complémentaires pour que démarre le succès et devienne pérenne, car trébucher sur l’une aura des incidences négatives sur les deux autres, par un effet de « feedback » selon lui.

 Dans la Tunisie indépendante nous n’avons pas réussi à ce jour à mettre en harmonie ces trois dimensions et nous n’avons pas réalisé le rêve des premiers réformateurs qui voulaient mettre en place une nation développée à l’image des nations occidentales. Pour faire simple, il indique que la construction de la nation tunisienne est passée par trois phases au cours desquelles nous avons mis en œuvre une dimension au détriment des deux autres.

Il s’agit pour lui de la première phase celle de l’ère Bourguiba où l’avantage a été donné au social (enseignement, santé, libération de la femme) avec la mise en place des fondements de la croissance mais le politique n’a pas suivi. Vient ensuite, l’ère Ben Ali, l’avantage était à l’économique (indicateurs élevés de la croissance et haute compétitivité des entreprises) avec maintien de la dimension sociale, mais malgré les promesses le politique n’a pas suivi. La troisième période est celle que nous vivons actuellement et l’avantage est donné au volet politique (libertés, pluralisme, élections réelles) mais l’économique non seulement il n’a pas suivi mais il a reculé ainsi que le social d’ailleurs.

Diplômé de l’école de Bourguiba, responsable politique à l’époque de Ben Ali, dirigeant d’un parti politique (Machrouu Tounes) actuellement, Sadok Chaabane sait de quoi il parle quand il affirme dans  un post publié sur sa page facebook que la Tunisie a été incapable jusque là à assurer les liens entre les trois dimensions comme elle n’a pas réussi à créer la balance, ni à construire l’ équilibre et encore moins à réaliser le grand bond. « Nous avons réalisé une révolution sociale, par la généralisation de l’enseignement, l’amélioration de la sante, la libération de la femme et la maitrise du croit démographique et créée la société médiane. Puis nous avons réalisé la révolution économique, lancé l’initiative en faveur de l’entreprise, attiré l’investissement, relevé les taux de croissance, réalisé des classements honorables et en même temps le social a tiré profit de cette réussite économique. » « Ensuite est survenue la révolution politique. Nous avons libéré la parole, créé les partis politiques sans aucune entrave, assuré la compétition politique ouverte, mais l’économie n’a pas réalisé son essor, elle s’est même détérioré gravement, la situation sociale ne s’est pas améliorée non plus puisque le vie est devenue plus chère, la corruption s’es étendue et le déséquilibre entre les catégories et les régions n’a pas pris fin ».

Selon lui, il devient évident que le changement du mode de gouvernement au cours des sept dernières années n’a pas été en harmonie avec le mode économique libéral, n’a pas maintenu les capacités d’investissement et de production antérieurs, de même qu’il n’a pas été profitable au développement social, puisque les moyennes de création d’emploi ont baise, le pouvoir d’achat d’est détérioré. De même ont été maintenus les déséquilibres au niveau du revenu et du niveau de vie entre les catégories et les régions.

Pour Sadok Chaabane qui fut aussi directeur général de l’Institut tunisien des études stratégiques, les liens entre les trois volets sont connus et ont été étudiés au sein de cet institut pour une centaine d'indictaeurs au cours des dernières années notamment par la mesure du positionnement de la Tunisie avec les nations qui lui sont proches notamment en Europe. « Les indicateurs économiques étaient acceptables globalement, ceux relevant du social l’étaient dans certaines parties, mais les indicateurs politiques étaient faibles dans leur majorité à l’exception de la stabilité,du rendement du gouvernement ce qui laissant entrevoir des déséquilibres dans le régime dans son intégralité », ajoute-t-il.

« L’étude la Tunisie à l’horizon 2030 à laquelle ont participé de hautes compétences était articulée sur l’idée de rejoindre le peloton des nations évoluées dans tous les domaines, ce qui exige une efficacité gouvernementale, des taux de croissance élevés évalués à 6% au moins si nous voulions rejoindre l’Europe à la tin du premier tiers de ce siècle, c'est-à-dire 2033 précisément. Mais rejoindre les pays évolués demande un seuil minimum de participation, de libertés et de redevabilité mais cela nous n’avons pas réussi à le créer. ».

A ce jour la détérioration entre les trois volets perdure. « En sept ans de vaches maigres, nous avons alourdi les missions de l’Etat, accentué l’endettement, entravé ses capacités à la prospective et au leadership et avons compliqué le paysage politique de façon exagéré », écrit le grand juriste qui ajoute « le danger n’est pas seulement il est surtout dans les entraves portées aux règlements et procédures étouffants de l’Etat, à l’institutionnalisation de l’éparpillement et de l’instabilité, à la mise en place de gouvernements dont l’âge ne dépasse pas un an, caractérisé pas l’absence de solidarité entre ses membres, régi par les quotas sans programmes pré-établis, ni visions, Pour lui le mode de gouvernement actuel se caractérise par l’éparpillement de la vie politique, l’émiettement des partis et la faiblesse des majorités, ainsi que la dilution des institutions de l’Etat, la parcellisation de la direction, le morcellement du pouvoir exécutif, la politisation de la justice et des « instances indépendantes » soi-disant en les soumettant à l’élection par les partis politiques sous la coupole du Parlement.

« La Constitution de 2014 a introduit un régime bâtard ni présidentiel ni parlementaire, un régime qui constitutionnalise l’anarchie et institutionnalise l’obstruction réciproque. Il n’y a pas de porte de sortie actuellement en l’absence d’une entente nationale que par le recours à des alliances conjoncturelles, à des règlements d’intérêt, des quotas et des marchandages ». Cela a donné selon lui, ce qu’on a appelé « la politique des compromis ». « Ces compromis ont sans nul doute avantagé la stabilité et ont été indispensables pour un moment, mais ils ne peuvent être considérés comme une méthode de gouvernement car ces compromis ont commencé à altérer la confiance, à dénaturer l’opération électorale, à créer le désintérêt pour la participation politique et pourrait amener au rejet du système dans son intégralité, ce qui pourrait créer une tension politique et être nocif pour la stabilité et la pérennité de la démocratie. »

Le professeur de droit et activiste politique estime qu’il faut maintenant s’unir pour défendre la patrie. « J’ai la conviction que si nous ne prenons pas l’initiative de profondes réformes de la Constitution et des lois électorales, le flou restera de mise ainsi que l’absence d’une vision claire. Il en résultera une faiblesse de l’Etat, des hésitations au niveau des politiques et des législations contradictoires ajoute-t-il en parlant de la multiplication des promesses mensongères, de la disparition de la confiance, de l’accroissement de la peur de l’avenir, de l’absence de la stabilité, de la mainmise de l’argent sale et de l’argent importé. Dans le même temps les investisseurs vont nous quitter, nos enfants et nos compétences vont fuir, les fléaux de la corruption et des violences dans toutes les manifestations vont s’accroitre et les modes dangereux du crime vont ré-émerger.

Selon lui la situation actuelle ressemble en plusieurs points la situation de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale sous l’empire d’une constitution et de lois électorales comparables. La France n’a pu sortir de ce marécage que par deux actions. D’une part changer la constitution et modifier la loi électorale pour arrêter le feuilleton de l’instabilité gouvernementale et la confusion des politiques. D’autre part l’obtention d’un grand flux financier pour remettre en mouvement l’économie grâce au Plan Marshall mis en place par les américains en faveur de l’Europe pour que celle-ci demeure leur grand partenaire économique. En 12 ans, la France est passé de la quatrième république-cette catastrophe laissée par la seconde guerre mondiale à la cinquième république dans laquelle vit la France jusqu’à aujourd’hui. « Nous devons prendre la décision courageuse prise par la France en son temps.

« Nous devons passer de la seconde république qui a duré 7 ans et n’a rien donné à la troisième république » ajoute Sadok Chaabane qui affirme que cette appellation est justifiée par le changement total du mode constitutionnel en restaurant l’Etat national fort qui a réalisé les réussites du passé mais dans un climat nouveau basé sur une société libre, pluraliste, compétitive, garantissant les libertés et empêche tout despotisme.Elle  est justifiée aussi par la nécessité de créer un choc médiatique et psychologique dont le nouveau départ a besoin pour paraître devant le monde comme une grande nation qui a su prendre la voie juste en faisant l’adéquation entre les nécessités de la liberté et les exigences de l’ordre.é Pour lui restaurer l’Etat fort ne veut pas dire le retour à l’autoritarisme et au despotisme. Il n’est plus possible dans les grandes démocraties de revenir au pouvoir personnel despotique car le cadre institutionnel empêchera toute prise autoritaire de pouvoir .

« Nous n’avons pas le choix, soit nous poursuivons la marche dans le même chemin qui paraît ne pas être le bon, soit nous nous engageons sur une autre voie », ajoute le rédacteur de ce post qui met l’accent sur la difficulté du nouveau choix qui pourrait être combattu férocement. - La solution est connue par plusieurs partis politiques avec à leur tête le mouvement Machrouu Tounés et d’autres mouvements qui lui sont proches, mais personne n’a pris l’initiative de ce grand changement car il nécessite une forte majorité dont ne disposent pas les partis convaincus de ce changement, soit la majorité des 2/3 à l’assemblée des représentants du peuple.

En revanche, l’opinion publique est prête au changement du mode du gouvernement car elle en a assez du non-Etat. Selon lui le mouvement Machrouu Tounés a mis au point des documents détaillés sur la révision constitutionnelle et l’amendement de la loi électorale. Les grands objectifs de ce nouveau processus sont les suivants, ajoute-t-il, en citant le retour de la direction unique de l’Etat, un rôle plus fort du parlement, la désignation des instances constitutionnelles et des hauts responsables, la neutralité du conseil supérieur de la magistrature, la limitation du nombre des ministères par la loi, la réduction du nombre des instances constitutionnelles, la simplification du contrôle de la constitutionnalité des lois, le retour du conseil économique et social dans le cadre de la constitution, et ce entre autres réformes à introduire.

En ce qui concerne la loi électorale, il mentionne de modifier la représentativité proportionnelle par le vote majoritaire et le changement di vote sur les listes aux candidatures uninominales et tout de moins l’introduction d’un régime mixte dans une phase transitoire avec imposition d’un seuil minimum pour réduire le nombre des partis et les inciter à fusionner ou à réaliser des alliances Selon lui, il importe de simplifier le paysage politique, de réduire le nombre des partis et de faire émerger des majorités suffisantes pour gouverner en évitant le recours aux quotas, ce qui a pour effet de restaurer la confiance des électeurs dans l’opération démocratique. .

Il conclut en estimant que la situation actuelle nécessite une correction urgente comme elle nécessite une totale clarté. « Les compromis ont réalisé des missions importantes, mais leur maintien est nocif à l’opération démocratique, érode la confiance et incite au désintérêt. De même les quotas ont désintégré l’unité du gouvernement, la cohésion des instances indépendantes, ainsi que les conseils municipaux et régionaux s’ils sont élus ».

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