Situation en Tunisie : Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark (Hamlet)

Situation en Tunisie : Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark (Hamlet)

 

Qu’est ce qui se passe en Tunisie. A la présidence de la République, un novice multiplie les bourdes et s’attaque à ce que le pays a de plus précieux, ces hauts cadres diplomatiques qui ont fait sa fierté et sa renommée. Au Parlement, les invectives fusent à chaque début de séance et on s’en serait venu mains si ce n’est encore un semblant de retenue largement écornée. Le chef du gouvernement sortant se lance pieds devant dans une diatribe sans raison contre la direction de la plus puissante organisation du pays. Celle-ci s’empresse de lui rendre la monnaie de sa pièce en le menaçant de « dossiers » qu’elle a mis de côté pour lui rendre la vie dure. Dans le même temps, le chef du gouvernement désigné peine à former son équipe alors que le pays est dans l’expectative depuis quelques quatre mois, depuis ce jour, le 6 octobre 2019, resté un repère, puisque c’est ce jour-là que les élections législatives ont eu lieu. On l’a presque oublié car de l’eau est passée sous les ponts et on s’est même payé le luxe de rejeter un gouvernement dûment constitué. Il n’y a pas mieux que cette citation que l’on doit au grand auteur dramaturge William Shakespeare dans « Hamlet » pour qualifier ce qui se passe dans notre pays. « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark » disait-il. Quoi de plus pertinent pour définir l’état dans lequel se trouve notre pays.

Erreurs accumulées

Côté présidence de la République ce que l’on vient de connaitre dépasse l’entendement. En quelques cent jours, le nouveau locataire de Carthage (qui soit-dit en passant préfère ne pas y loger) multiplie les impairs. Les erreurs commises auraient pu lui être pardonnées si elles n’étaient dues qu’à une méconnaissance des contraintes de la fonction, car on ne naît pas président de la République mais on le devient. Mais que les gaffes mettent à mal le prestige de l’Etat, cela commence à faire désordre. La révocation du représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU dans les conditions que l’on connait fait partie de ces bourdes impardonnables. Soyons d’abord clairs, le président de la République a le droit de mettre fin aux fonctions de tout responsable place sous son autorité. Il n’a d’ailleurs pas à justifier de telles mesures encore moins à les expliquer. Cependant, il n’a pas le droit de porter atteinte à la dignité de ces responsables ni à mettre en cause leur compétence, leur patriotisme et leur dévouement à l’intérêt supérieur du pays.

Qu’un ambassadeur ait commis des erreurs d’appréciation, cela n’est pas étrange, c’est même dans l’ordre des choses. Car dans le feu de l’action, cela reste possible. Mais que cela donne lieu à une inutile polémique dans laquelle la présidence de la République prend la plus grande part, cela est à, n’en point douter, inadmissible. La « mise au point » que les services de la présidence se sont empressés de diffuser (sans d’ailleurs la publier sur sa page officielle) est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut jamais faire. Ce texte alambiqué, scandaleux dans le fond comme dans la forme, jure avec les principes de l’Etat qui se doit d’être impartial et respectueux envers ses hauts cadres. Que cela concerne la diplomatie, un domaine régalien qui touche à la souveraineté du pays, à son image et à son prestige, la chose devient, on ne peut plus, carrément intolérable.

Les hauts cadres de l’Etat surtout dans le domaine où ils agissent de concert avec leurs pairs étrangers ont le droit au respect et à la considération. Ils sont dans un microcosme où tout se sait, se scrute et tombe dans l’analyse. Si on ne connait pas cette vérité primaire, on ne comprend rien à la diplomatie. Dire dès lors qu’on « sollicite la sympathie » des puissances étrangères, ce qui donne une connotation de trahison est à la fois exagéré et hors de propos. Qu’un ambassadeur occidental, en entendant la nouvelle du départ précipité de son collègue tunisien pour soi-disant incompétence dise : « c’est une plaisanterie, j’espère » (comme rapporté par une agence de presse) en dit long sur l’incompréhension qui a accompagné une décision inique. Rien de plus.

Le noviciat ça se soigne

Que la Tunisie, membre non-permanent du conseil de sécurité soit l’objet de « pressions » de la part du président américain auteur de ce plan inacceptable baptisé « le deal du siècle » quoi de plus normal. Ainsi est fait le monde fondé sur le rapport des forces. Devant cet état de fait, il faut raison garder et agir au mieux sans tomber dans les travers que sont la peur et la couardise. Le reste n’est que littérature qui ne sied point aux relations internationales.

Dans ce domaine, plus que dans d’autres il ne faut jamais avoir des états d’âme. L’Etat (avec majuscule) n’en a point. Il a des intérêts qu’il se doit de préserver. C’est pourquoi l’absence tunisienne de la Conférence internationale sur la Libye tenue à Berlin même si l’invitation est parvenue en retard est une faute que l’on ne manquera pas d’avoir les effets négatifs. Surtout envers un pays, l’Allemagne devenue à la faveur de la Révolution pour nous un partenaire incontournable.

On ne le dira jamais assez, Kaïs Saïed est un novice en politique étrangère. Il n’y a aucun mal à l’admettre. C’est pourquoi, il doit s’entourer d’une équipe solide de conseillers appelés à l’assister, sinon à l’aider à assumer convenablement une responsabilité éminente dont les effets, négatifs comme positifs, rejailliront indubitablement sur le pays en entier. D’ailleurs le fait qu’il s’est séparé d’un ministre des Affaires étrangères qui aurait pu lui être utile dans cette phase de transition entre deux gouvernements s’est fait beaucoup sentir. C’était une erreur qui a beaucoup handicapé le rendement de l’appareil diplomatique. Espérons que le futur ministre des Affaires étrangères sera un connaisseur du domaine et qu’il sera lui-même issu de la grande école diplomatique tunisienne qui compte d’éminents serviteurs.

Le vivre-ensemble indispensable en démocratie

Venons-en maintenant à l’Assemblée des représentants du peuple. Le spectacle auquel on assiste à chaque ouverture de séance plénière est réellement désolant, navrant même. Obstruction, invectives, insultes, tout est fait pour donner une mauvaise image de la représentation nationale. Lorsque l’on sait que tout est diffusé en direct sur la télévision nationale, l’on se rend compte des dégâts que cela peut causer. Cette ambiance de violence effective ou larvée impacte sérieusement le climat dans le pays confronté lui-aussi à l’agressivité, à l’animosité et aux excès sous toutes leurs formes. Que s’est-il passé pour que l’on en arrive là.

Certes l’Assemblée constituante comme  l’ARP au cours de la 1ère législature ont connu des accès de violence et de brutalité mais c’était épisodique et avait des déclencheurs. Mais pour le Parlement actuel, la situation empire de jour en jour. Au départ c’était le fait d’un seul groupe, celui du PDL qui n’acceptait pas la présidence de Rached Ghannouchi. Maintenant d’autres forces entrent dans le jeu pour ne pas laisser à Abir Moussi et à ses co-équipiers le monopole de l’opposition au leader d’Ennahdha.

Au fait s’agit-il d’une action concertée pour contraindre Ghannouchi à descendre de son perchoir. On peut le craindre. Mais la démocratie y perdra. Car si la violence paie c’en est fini des règles du vivre-ensemble. Face à une assemblée atomisée, émiettée même, chacun veut se mettre en évidence surtout que la télévision publique diffuse les débats dans leur intégralité en direct. Cette situation ne peut durer éternellement sans avoir des effets catastrophiques sur l’institution focale de la démocratie naissante. Il faut que les députés prennent conscience d’une situation qui peut se retourner contre eux et contre la démocratie qui les a fait élire. C’est une urgence nationale.

Une controverse improductive

Troisième tableau, les rapports entre le chef du gouvernement sortant et la direction de l’UGTT. Quelle mouche a piqué Youssef Chahed pour qu’au moment où il s’apprête à faire ses cartons, il se lance dans une bataille d’arrière-garde contre le patron de la puissante organisation syndicale. L’attaque frontale qu’il a lancée contre Noureddine Taboubi ne peut être gratuite surtout qu’il s’est cantonné jusqu’ici dans une réserve qui lui a été favorable. Puisqu’elle a lui permis de bénéficier de rapports plutôt apaisés avec la centrale de la Place Mohammed Ali, malgré quelques remous qui ont fini par être contenus dans des limites tolérables. Pour l’exécutif syndical « cet acharnement gratuit s’inscrit dans une stratégie qui vise à envenimer l’atmosphère afin d’entraver la mise en place du futur gouvernement ». Tout est dit des arrières pensées de tels propos.

L’attaque de Chahed contre Taboubi a sorti les leaders de l’UGTT de leurs gonds et on les entendu dire qu’ils ont mis de côté des « dossiers » incriminant Youssef Chahed qu’ils utiliseront le moment venu. Le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Kamel Saad, a déclaré sur Mosaïque FM , que Taboubi a choisi de ne pas divulguer même une partie de ce qu’il sait sur Youssef Chahed et les dossiers traînants, soulignant que l’organe administratif et le bureau exécutif prendra une décision appropriée contre le Chef du gouvernement sortant et lui répondra en révélant les dossiers en leur possession aux médias.

Il faut espérer que le prochain gouvernement sera rapidement mis en place pour que ces attaques réciproques cessent faute de combattants.

Au fait quand le nouveau gouvernement sera révélé et prendra ses fonctions.

Pour nous rafraichir la mémoire, les élections législatives ont eu lieu le 6 octobre 2019, les résultats étaient connus le même jour et un gouvernement aura pu en être issu rapidement. Mais cela ne s’est pas fait et on s’est même payé le luxe de « faire tomber » un gouvernement dûment constitué. « C’est moi qui ai conseillé à Nabil Karoui (président de Qalb Tounes) de faire tomber le gouvernement Jemli » a péroré le chef du gouvernement sortant et accessoirement président de Tahya Tounes. Du jamais vu.

Alors que le second chef de gouvernement désigné Elyes Fakhfakh n’a encore que quelques jours pour achever sa mission les partis politiques censés soutenir son équipe achèvent de poser leurs conditions. Celles-ci tournent autour de la répartition des postes dans des calculs politiciens étriqués. Sans prendre en considération l’intérêt supérieur du pays ni sa situation à tous les points de vue catastrophique. Certes ce gouvernement sera investi, car personne ne veut prendre le risque de mener le pays dans une crise politique majeure, mais ce sera un pis-aller et il n’est pas exclu que l’équipe Fakhfakh soit écarté plus vite qu’on ne le pense. Et le pays se retrouvera de nouveau dans de mauvais draps.

N’ai-je pas commencé par citer Shakespeare qui disait dans Hamlet : « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark. ». Mettez Tunisie à la place du Danemark et le tour est joué.

RBR

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