Table ronde pour démêler le vrai du faux sur les alternatives au tabac

À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, la plateforme Med.tn a organisé une table ronde réunissant des spécialistes du cœur et de la santé mentale, dont le Dr. Dhaker Lehidheb, cardiologue, et M. Anas Laouini, psychologue spécialisé en thérapies comportementales. Ensemble, ils ont dressé un constat alarmant : les campagnes de lutte contre le tabagisme en Tunisie sont aujourd’hui inefficaces, et le pays doit urgemment s’inspirer des stratégies adoptées ailleurs pour inverser la tendance.
Une crise silencieuse qui progresse
Les chiffres sont sans appel. En Tunisie, le taux de tabagisme actuel chez les personnes âgées de 15 ans et plus selon l’OMS, a été estimé en 2022 à 20,1% chez les Tunisiens avec une prévalence de 39,1% chez les hommes et 18 % des 15 - 17 ans sont déjà fumeurs. Pire, le tabagisme féminin a doublé en dix ans, passant de 5 % à 10 %. Face à ce constat, le Dr Lahidheb déplore que les campagnes ponctuelles, souvent limitées à des dates symboliques, ne soient plus à la hauteur du défi. Elles manquent de continuité, d’impact et surtout de solutions concrètes pour les fumeurs qui souhaitent arrêter, mais n’y parviennent pas.
Les champions du sevrage tabagique dans le monde
Les deux experts ont présenté plusieurs pays ayant adopté des approches novatrices et efficaces pour réduire le tabagisme.
Royaume-Uni : tout en interdisant les cigarettes électroniques jetables à partir de juin 2025, le pays promeut le vapotage comme méthode de sevrage tabagique. Plus de 60 % des arrêts réussis entre 2020 et 2021 sont attribués à cette stratégie, encadrée par des services de santé et fondée sur des données scientifiques.
Nouvelle-Zélande : la vape est officiellement reconnue comme outil de réduction des risques dans l’objectif de devenir un pays sans fumée d’ici 2025. Des mesures restrictives pour les jeunes et des programmes éducatifs accompagnent cette stratégie.
Suède : la prévalence très faible du tabagisme (moins de 5 %) est liée à l’usage contrôlé du snus, une alternative orale moins nocive que la cigarette.
Japon : l’essor du tabac chauffé depuis 2014 a permis une baisse marquée du tabagisme (de 19,6 % à 10,6 %). Selon le Dr Lahidheb, ce produit serait environ 90 % moins nocif que la cigarette classique mais ne doit en aucun cas être considéré pour un usage autre que le sevrage tabagique.
Ces modèles montrent qu’il est possible de faire reculer la consommation en combinant ouverture à de nouvelles approches et renforcement des dispositifs de prévention visant les jeunes, sans pour autant stigmatiser les fumeurs.
Le cas Tunisien
Pour Anas Laouini, le discours de sensibilisation est encore trop basé sur la culpabilisation, sans tenir compte de la nature psychologique, émotionnelle et comportementale de l’addiction. Il insiste sur l’importance d’un changement de paradigme : il faut passer de l’interdiction pure à une politique de compréhension et d’accompagnement individualisé.
Les intervenants de la table ronde appellent à une refonte des campagnes de sensibilisation. Celles-ci doivent être continues, ciblées, empathiques, et fondées sur des résultats mesurables. Dans une approche de sevrage tabagique, ils plaident aussi pour l’intégration encadrée par des spécialistes de la santé des alternatives comme les cigarettes électroniques, le tabac chauffé ou le Snus. Cela implique aussi de former les professionnels de santé pour qu’ils puissent proposer un accompagnement personnalisé, tout en impliquant les familles, les enseignants, les médias et les influenceurs dans le changement des représentations sociales liées au tabac.
Les deux experts ont conclu la table ronde en affirmant que la Tunisie ne pourra sortir de cette impasse qu’en adoptant une vision moderne et pragmatique de la santé publique. Lutter contre le tabagisme ne consiste pas simplement à interdire ou à réprimer ; c’est avant tout apprendre, comprendre, prévenir, accompagner et innover. S’inspirer des pays qui ont réussi ne signifie pas copier, mais adapter intelligemment ce qui a fait ses preuves. Le véritable progrès naîtra d’un regard neuf : plus humain, plus scientifique et plus engagé.
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