Télévision tunisienne: Les dessous du limogeage d’Elyes Gharbi

Télévision tunisienne: Les dessous du limogeage d’Elyes Gharbi
 
Le limogeage du PDG de l’Etablissement de la Télévision Nationale, Elyes Gharbi, ne cesse de faire couler beaucoup d’encre depuis son annonce officielle vendredi dernier.
 
Beaucoup d’observateurs l’ont jugé injuste, précipité et même humiliant, puisque la présidence du gouvernement n’a pas donné à Elyes Gharbi, qui l’a rappelons-le, nommé à ce poste le 22 septembre 2016, le temps et les moyens nécessaires pour appliquer son programme de restructuration et de modernisation de l'ETT.
 
Ceux qui ont critiqué cette décision ont jugé illogique qu’un PDG paie de cette façon le retard d’une heure et demie, jeudi dernier dans la diffusion du journal télévisé, et ce sans même attendre les résultats de l’enquête administrative qui a été ouverte pour délimiter les responsabilités à ce sujet.
 
La haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) et le syndicat national des journalistes Tunisiens (SNJT) ont pour leur part fortement critiqué cette décision, la considérant non conforme à l'article 19 du décret 116 du 2 novembre 2011. 
 
Le Syndicat des journalistes a même estimé que le gouvernement, en décidant d’écarter le Président-directeur général de la Télévision tunisienne, Elyes Gharbi, va renforcer sa “mainmise sur les médias publics”.
 
Alors que la HAICA est allée jusqu’à appeler, dans un communiqué diffusé samedi dernier, la présidence du gouvernement à renoncer à cette décision illégale en affirmant qu'elle utilisera son droit d'accès à la justice pour lutter contre les tentatives de retour aux médias gouvernementaux. 
 
Cependant, en essayant d’enquêter plus au sujet de ce limogeage, on a su que la décision d’écarter Elyes Gharbi était dans l’air depuis quelque temps et que l’affaire du retard de la diffusion du journal télévisé de jeudi dernier n’était que la goutte qui a fait déborder le vase.
 
Selon des sources concordantes, beaucoup de reproches ont été faits à Elyes Gharbi à cause  de ses erreurs de gestion, de son échec à défendre les intérêts de l’ETT, du non-respect de ses engagements, de la baisse vertigineuse des taux d’audience des deux chaînes d’Al Wataniya, de la diminution des recettes publicitaires, ainsi que la détérioration du climat social au sein de l’Etablissement suite à ses nombreux  différends avec les syndicats, et  particulièrement celui des agents de l’administration, de la production et des techniciens de la Télévision tunisienne dont le secrétaire général n’est autre que l’incontournable Mohamed Saïdi.
 
Les voix critiques de la gestion d’Elyes Gharbi ont rappelé qu’il n’a pas été en mesure d’honorer ses engagements lors de la conférence de presse du mardi 27 décembre 2016 durant laquelle il a promis que l’année 2017 sera celle de la reprise de la Télévision Nationale.  
 
Ils ont rappelé que les émissions annoncées en grande pompe ce jour-là pour réconcilier la Watania avec ses téléspectateurs n’ont jamais vu le jour, à l’instar de « Media Police », de Mourad Zeghidi, de « Dar Tounès » de Latifa Arfaoui, de la grande émission de débat nocturne de 22 h à minuit de Boubaker Ben Akacha ou encore celle de la matinale.
 
Et ce pour diverses raisons dont  la non signature d’engagement avec les concernés ou la non réalisation des décors des émissions à temps par les employés de l’Etablissement !
 
D’ailleurs c’est ce genre de retard surprenant dans la réalisation des décors qui a obligé l’émission phare de la télévision nationale,  « Dimanche sports », à ne faire son retour avec Razi Ganzouî, qu’après quelques mois du début du championnat de football, dont l’ETT est pourtant détentrice des droits de diffusion pour un montant de 4,5 millions de dinars !
 
La gestion calamiteuse du contrat avec la Fédération tunisienne de football (FTF) a été dans ce cadre, l’un des grands reproches faits à Elyes Gharbi car personne n’est arrivé à comprendre comment la télévision publique s’est fait avoir de la sorte par Wadï El Jarry, qui lui a fait voir de toutes les couleurs (4,5 millions de dinars pour les seuls matchs du championnat de « Ligue 1 » sans les matchs de la sélection nationale, ou les matchs de coupe de Tunisie).  
 
Pire encore, la télévision détentrice des droits a été à maintes reprises empêchée d’accéder aux stades, de diffuser des matchs  du championnat et a même vu ses équipes agressées, sans que la direction ne réagisse d’une façon ferme pour défendre les intérêts de l’ETT et remettre la FTF à sa place.
 
Autre grief reproché à la gestion d’Elyes Gharbi, ce sont les énormes dépenses consenties (quelque 5 millions de dinars) pour l’achat ou la production des feuilletons et émissions ramadanesques, sans que ses programmes n’aient pourtant séduit les téléspectateurs et attiré les sponsors.
 
La Watania qui a dégringolé à la 4e place des chaînes les plus regardées loin derrière Al-Hiwar Ettounsi, Nessma et Attessia, va  même, semble-t-il réaliser sa plus faible recette publicitaire ramadanesque durant les 10 dernières années.
 
En effet, ni le feuilleton « Eddawama » (2,3 millions de dinars, MDT), ni la variété « Mahma Sar », la variété animée de Jaafar Guesmi (780.000 dinars), n’ont été à la hauteur des aspirations. Seuls les sit-com « El-Hajjama » (470.000 DT), la série « Jnoun El Kayla » (790.000 DT) ont atteint un niveau respectable sans pour autant attirer les sponsors parce qu’ils ont été pénalisés par le mauvais timing de leur diffusion et par  la concurrence des programmes accrue des programmes des autres chaînes.
 
Alors que l’émission gastronomique « El-Koujina » (90.000 DT) a surtout fait parler d’elle à cause du retour de l’adoption du  litigieux système bartering (l’échange contre les spots publicitaires) pour assurer sa diffusion.
 
Pour ne rien arranger à l’ambiance de la télévision nationale, Elyes Gharbi a géré la boite en ne comptant que sur quelques responsables qui lui étaient fidèles, dont l’ancien secrétaire général Sofien Abdeljaouad,  qui est lui aussi entré dans de nombreux conflits avec les syndicats. Des conflits qui n'ont fait que perturber le climat du travail dans un établissement où nombreux ne font qu’à leur guise.
 
En somme, les raisons du limogeage d’Elyes Gharbi étaient multiples puisqu’il a payé très vite la facture d’un laxisme débridé. Néanmoins, il faut signaler que la descente aux enfers de l’ETT qui s’est certes accélérée sous son règne, a commencé bien avant son avènement.
 
Et ce n’est surtout pas son départ et la venue d’un autre PDG qui va résoudre les problèmes de la télévision nationale qui a plus que jamais besoin d’un vrai programme de restructuration soutenu par une réelle volonté politique pour espérer la sauver d'une disparition annoncée.
 
Amira GORDEH
 

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