Tunisie : Ces petits métiers juteux qui fleurissent pendant l’Aid El Kébir

Tunisie : Ces petits métiers juteux qui fleurissent pendant l’Aid El Kébir

Pendant l’Aid El Kébir, une panoplie de métiers occasionnels fleurissent et s’installent dans les rues et les quartiers populaires. Ils sont fortement ancrés dans le rituel du sacrifice et particulièrement liés à cette tradition. Ils permettent aux personnes qui les pratiquent d’engranger un revenu pour garnir un bas de laine en ces temps difficiles.

Les Tunisiens à l’instar des millions de Musulmans du monde entier ont fêté ce vendredi 30 Juillet 2020, « l’Aid El Idha » plus connu sous le nom de « l’Aid El Kébir » sur fond de Coronavirus. Le grand pèlerinage à la Mecque, cinquième pilier de l’Islam s’est déroulé cette année en format très restreint et dans le respect de nombreuses précautions sanitaires édictées pour cause de pandémie du Covid-19. D’après les autorités saoudiennes, seules quelque 10 000 personnes résidant dans le Royaume ont été autorisés à accomplir les rites, contre 2,5 millions de fidèles en 2019. De ce fait, les 11.000 tunisiens inscrits sur les listes sont restés chez eux, à leur corps défendant.

Mais malgré la crise marquée par l’inflation, la récession et la baisse du pouvoir d’achat, les Tunisiens sont restés fidèles à la tradition. Ils se sont serrés la ceinture pour acheter le mouton. D’autres et ils ont de plus nombreux se sont rabattus sur la viande déjà découpée et vendue au kilo chez le boucher du quartier, beaucoup moins chère que le mouton du sacrifice.

Pendant l’Aid El Kébir, une panoplie de métiers occasionnels fleurissent et s’installent dans les rues et les quartiers populaires. Ils sont fortement ancrés dans le rituel du sacrifice et particulièrement liés à cette tradition. Ils permettent aux personnes qui les pratiquent d’engranger un revenu pour garnir un bas de laine en ces temps difficiles. Et pas uniquement les éleveurs de moutons parmi les agriculteurs ou autres commerçants ambulants qui sillonnent le pays de long en large pour écouler leurs agneaux au bord de la route ou dans des lieux «  squattés » et aménagés pour la circonstance. Pour ces gens, l’occasion de l’Aïd est une opportunité qu’il ne faut pas rater.

N’est pas boucher qui veut
Sur ce plan, les Tunisiens qui ne manquent pas d’astuces pour se remplir les poches durant ces journées de fête ont, ainsi, créé ou se sont reconvertis dans des « professions juteuses » qui rapportent beaucoup. Cela va des petits transporteurs et des d’affûteur- rémouleurs de couteaux, aux vendeurs de foin. La fête de l'Aïd c'est aussi l'occasion de vendre le charbon et les petits barbecues pour « le méchoui ». Chacun se débrouille comme il peut pour gagner un peu plus d’argent en ces temps de crise. Faisant monter les prix, au grand dam des consommateurs.

La profession le plus fréquente est celle du boucher, ou plutôt « l’égorgeur » de moutons. La société tunisienne ayant connu de profondes mutations, il est de plus en plus rare de trouver un père, un oncle, un frère ainé ou un voisin qui sait bien égorger le mouton de l’Aid selon « la sunna ». Les professionnels ne sont pas toujours disponibles et préfèrent recevoir dans leurs boucheries les clients désireux de sacrifier leurs moutons sur leur autel. C’est plus rentable pour eux. Or, le sacrifice devrait se faire en communion, en famille et à domicile. Commence alors la quête d’un « égorgeur », facilement reconnaissable avec des habits maculés de sang et armé de longs couteaux. Il est souvent accompagné d’un apprenti, un fils, un frère ou un neveu, sinon un ami, et il est muni de tous les outils nécessaires : couperet, couteau, hachoir, scie. Ces « bouchers saisonniers » sont pour la plupart des ouvriers de chantier, des bergers ou des sans-emplois.  Ils égorgent, en général, une dizaine de moutons, si ce n'est plus, pendant la matinée de l'Aïd. Pour égorger et dépiauter un mouton, les tarifs varient, selon le quartier et la maison du propriétaire, entre 30 dinars et 60 dinars, voire plus. Nettoyer la « daouara » (les tripes) est un supplément qui coûte, en moyenne, 10 à 20 dinars de plus. En une seule matinée, ces égorgeurs peuvent se faire jusqu’à 500 dinars.

Ce n’est pas le cas de Mustapha(le nom a été changé) qui a ouvert une boucherie dans le coin de la rue, au quartier Sidi Salah à la Soukra, juste à la veille de l’Aid. On ne sait pas s’il avait obtenu les autorisations nécessaires des services municipaux et des services sanitaires. Depuis les premières heures de ce premier jour de l’Aid, sa boucherie ne désemplit pas. Avec son fils, également boucher de son état, ils se sont partagés les tâches : au père le découpage sur place et au fils, accompagné d’un neveu, la mission d’égorger. Les prix sont fixes : 50 dinars pour égorger et 50 autres pour découper. N’est pas boucher qui veut, répètent-ils.

Nettoyeurs de têtes et de pattes

Entre temps, des jeunes, pour la plupart lycéens ou étudiants, s’improvisent en « nettoyeurs » de têtes et de pattes de moutons. Ils se mettent généralement à plusieurs, et en familles, allument le feu de bois ou à défaut utilisent des chalumeaux pour passer têtes et pattes à la flamme afin de faire disparaitre les poils. Là aussi, les tarifs varient selon les coins, mais la moyenne c’est cinq à dix dinars par tête de mouton, les quatre pattes comprises.

Pour la découpe du mouton, les familles préfèrent recourir à des bouchers professionnels qui disposent non seulement d’outils divers mais aussi du savoir-faire de découpage, épluchage, désossage, ficelage et préparation de la merguez. Ils ne sont pas aussi malheureux que cela et ils ont trouvé un nouveau filon pour se faire de l'argent. Le prix de découpe varie entre 30 et 50 dinars, mais il peut aller au-delà. Tout dépend du boucher, de l'endroit et de la taille du mouton. Durant la journée de l’Aid et les deux jours qui suivent, les bouchers qui n’ont plus de viande à vendre, gagnent beaucoup plus que pendant les journées ordinaires.

Ces pratiques ont toujours existé, mais elles sont, désormais, un véritable commerce avec des prix fixes et exorbitants. Entre transport, foin, égorgement et découpe, les dépenses varient facilement 100 et 150 dinars.

L'Aïd El Kebir, est devenu, ainsi, une fête commerciale où tout se monnaye. Et comme les familles tunisiennes, ne lésinent, généralement, pas sur les moyens pour sacrifier un mouton, elles se trouvent, au moment du décompte, « déplumés », alors que le mouton est déjà presque consommé.

B.Oueslati

 

 

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