Tunisie: l’ARP va-t-elle déléguer certains de ses pouvoirs au chef du gouvernement ?

Tunisie: l’ARP va-t-elle déléguer certains de ses pouvoirs au chef du gouvernement ?

Dans son allocution lors de la soirée de samedi 21 mars 2020 où il a explicité le confinement général et détaillé les mesures d’accompagnement, le chef du gouvernement a annoncé que pour la mise en œuvre de ces mesures, il demandera au Parlement de lui déléguer de manière exceptionnelle le pouvoir  de prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi et ce conformément à l’article 70 de la Constitution.

Cet article stipule dans son second paragraphe que  « l'Assemblée des représentants du peuple peut, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, en vertu d'une loi et pour un motif déterminé, déléguer au chef du Gouvernement, pour une durée déterminée qui ne dépasse pas les deux mois, le pouvoir de prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi. Ces décrets-lois sont soumis à l'approbation de l'Assemblée à la fin de la période en question ».

D’ailleurs cette option a été proposée par Fakhafakh dans sa feuille de route à ses partenaires politiques, ce qui est appelé "ceinture politique".

Il s'agit d'une procédure constitutionnelle mise en place dans la plupart pays des et qui a pour but de donner au pouvoir exécutif plus de souplesse et d'efficacité pour faire face à une circonstance exceptionnelle. Le gouvernement engage alors sa responsabilité pour faire passer un texte de loi sans vote. C’est le cas en France de l'article 49 alinéa 3, qui permet au gouvernement de faire passer le texte qu'il présente, sans vote, sous couvert du rejet de la motion de censure que l'opposition se doit de déposer pour la forme, avec peu d'espoir de réussite. « Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

Concrètement, le conseil des ministres peut décider seul de l’adoption d’une loi sans passer par le Parlement, mais seulement une fois par session parlementaire pour un autre projet de loi.

La dernière fois, si ce n’est la seule fois,  où cette situation s’était posée en Tunisie, c’était le 7 février 2011, moins d’un mois après la chute du régime de Ben Ali, quand l’ancienne chambre des députés avait adopté par 177 voix pour (sur les 195 députés présents), 16 contre et 2 abstentions, un projet de loi habilitant le Président de la République intérimaire Foued Mebazaa à prendre des décrets-lois conformément à l'article 28 de la Constitution de Juin 1959. Texte adopté deux jours plus tard par la Chambre des conseillers.

Les deux chambres avaient alors signé leur propre mort.

Or, dans la configuration du système politique actuel, marquée par une sorte de guerre de position entre les trois présidences, le chef du gouvernement aura du mal à convaincre le président de l’ARP Rached Ghannouchi à accéder à sa requête. Le Parlement étant le vari centre du pouvoir, sera-t-il prêt à déléguer même une once de ses prérogatives au pouvoir exécutif ? Quand on sait les bisbilles entre Ghannouchi, d’un côté, Saied et Fakhfakh de l’autre. D’autant plus que faire passer cette délégation exceptionnelle, il faudrait mobiliser les trois cinquièmes des élus, soit 132 députés.

 

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