Tunisie: L’Association des magistrats tunisiens dénonce une mainmise du ministère de la Justice

L’Association des magistrats tunisiens (AMT) a tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué publié lundi, dénonçant une « mainmise totale » du ministère de la Justice sur le pouvoir judiciaire et l’absence de toute garantie d’indépendance depuis trois ans.
Selon l’AMT, l’année judiciaire 2025-2026 s’ouvre dans un contexte marqué par « l’effacement de toute autorité judiciaire indépendante » et la concentration par le ministère de « toutes les prérogatives liées à la nomination, la mutation et la révocation des juges », sans transparence ni critères objectifs.
Une justice « administrée » par le ministère
Depuis la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature en 2022 et son remplacement par un conseil provisoire dépendant de l’exécutif, la magistrature serait, selon l’AMT, « administrée comme une direction parmi d’autres du ministère ».
L’Association dénonce notamment le recours massif aux notes de service, un mécanisme par lequel des juges sont affectés ou déplacés sans base légale.
L’AMT affirme avoir recensé plus de mille notes de service en deux ans, souvent utilisées à des fins de sanction ou de pression. Ces pratiques violeraient, selon elle, le principe d’inamovibilité des magistrats garanti par la Constitution.
Des tribunaux désorganisés
Cette gestion arbitraire aurait provoqué une instabilité chronique dans les tribunaux : mutations soudaines, postes vacants et désorganisation des audiences.
L’AMT souligne que plusieurs postes de responsabilité – notamment à la Cour de cassation et au ministère public – demeurent vacants depuis des années, paralysant les juridictions supérieures.
Elle déplore aussi « l’opacité » du ministère dans la gestion des carrières, citant des nominations « sans critères clairs » et des mutations « punitives ».
« Le fonctionnement de la justice repose désormais sur la crainte et la soumission », selon le bureau exécutif.
Des conséquences sur les libertés
L’Association estime que cette situation a des effets graves sur la qualité des jugements et la protection des droits fondamentaux.
Sous la menace de sanctions administratives, certains magistrats auraient cédé à la pression, conduisant à des décisions excessives ou injustes, notamment dans des affaires liées à la liberté d’expression.
Pour l’AMT, la justice tunisienne est aujourd’hui « fragilisée et instrumentalisée », alors qu’elle devrait être le garant de l’État de droit.
Appel à la résistance et à la société civile
Face à ce constat, l’Association appelle les juges à résister aux pressions hiérarchiques et à exercer leurs fonctions « avec courage et indépendance ».
Elle les invite également à saisir la justice administrative pour contester les décisions illégales et réclame le rétablissement d’une autorité judiciaire indépendante.
L’AMT interpelle en outre la société civile et les citoyens à « ne pas rester indifférents » face à cette dérive, estimant que « la défense de l’indépendance de la justice concerne l’ensemble du peuple tunisien ».
En conclusion, le communiqué avertit que la situation actuelle ne constitue pas seulement une crise sectorielle, mais une menace pour la démocratie elle-même.
« Sans juges libres, il n’y a plus d’État de droit », rappelle le texte, qui appelle à une réforme profonde et urgente pour rétablir l’équilibre entre les pouvoirs.
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