Une interview décevante : un mauvais format pour un sujet grave

Une interview décevante : un mauvais format pour un sujet grave

 

L’interview accordée par le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh à Al Watania-1 et Hannibal-TV était attendue avec beaucoup d’attention et un réel intérêt par tout le monde surtout ceux qui ont apprécié ses dernières sorties médiatiques. Celles-ci ont conforté beaucoup de monde dans leur bonne impression sur la capacité du locataire de la Kasbah de maitriser un outil important qui s’appelle la communication.

Mais était-ce le cas au sortir de cette interview où on a le sentiment que l’on veut inventer la roue, alors qu’elle existe depuis des siècles. Diffusée en direct, ce qui est louable, la prestation a pêché par la trop grande assurance de l’interviewé et le rendement brouillon des interviewers.

A l’évidence, le sujet, la crise du Coronavirus, est trop sérieux pour qu’il soit traité dans une interview à bâtons rompus. Le format ne sied guère à moins d’une maitrise totale des données, ce qui n’a pas été le cas. Trop d’approximations, trop d’imprécisions ont émaillé cette interview dont on attendait beaucoup pour rassurer, ouvrir des perspectives, et regarder vers l’avenir avec un plus de sérénité.

Le chef du gouvernement est paru timoré, sans l’envergure que l’on cherchait d’un chef de guerre dont il voulait porter l’uniforme. Il n’était ni tacticien et encore moins stratège. L’interview se résumerait à quelques données dont il aurait pu rendre publics les éléments dans un communiqué qui aurait dû d’ailleurs paraître à l’issue de la réunion vendredi du conseil de sécurité nationale.

Le langage guerrier dont il a voulu se parer est paru hors de propos. Du reste est-on vraiment en guerre et contre qui ? Même ceux, parmi les dirigeants du monde qui ont inventé ce concept se sont ravisés. Car on ne peut viser à défendre la vie, à faire de la santé le but suprême, quoiqu’il en coûte et surtout s’il en coûte et se proclamer chef de guerre.

Si on retranche deux ou trois informations précises sur la date de la fin du confinement total et l’ajustement de l’horaire du couvre-feu pendant le moins du Ramadan, on a beau cherché on trouve peu de choses à mettre sous la dent de cette longue heure d’interview.

Ce n’est pas en inventant ce terme de « confinement ciblé » qu’on s’en sort à bon compte. Comment va-t-on faire le 4 mai prochain ? Les administrations rouvriront-elles et dans quelles proportions ? Comment va-t-on procéder pour les transports en commun, avec des bus et des rames bondés ? Comment va-t-on faire pour les marchés hebdomadaires jusque-là fermés, surtout que l’on sera au beau milieu du mois sacré ? A toutes ces questions qui taraudent les Tunisiens, l’interview n’apporte aucune réponse. On a beau dire que le ciblage concernera régions, catégories et secteurs, cela ne rime à rien, si des réponses claires ne sont pas apportées à des questions précises.

L’autre sujet, important s’il en est, de la reprise des cours dans les établissements scolaires et universitaires est escamoté, avec des réponses à la va-vite. C’est, a-t-il précisé le 29 avril c’est-à-dire dans une dizaine de jours que tout sera dévoilé.

S’il est bon parfois de « laisser du temps au temps » selon une formule célèbre, le temps est désormais compté et il ne faudra pas le dilapider. Les candidats aux examens nationaux, puisque ceux-ci sont maintenus et leurs parents doivent être informés et le plus tôt serait le mieux sur le calendrier de ce qui reste de l’année scolaire. Les étudiants ont le droit aussi de se préparer convenablement aux examens de fin d’année et pourquoi laisser les choses à la dernière minute si l’on peut le faire maintenant.

Même s’il a paru s’étendre sur les questions des aides sociales et celles consenties au titre du chômage technique, les précisions manquaient quant aux dates, aux moyens précis de paiement, ainsi qu’aux modes de virement. Il a beau dire que des applications seront mises en place et que les Tunisiens sont capables d’en faire le meilleur usage, cela ne rassure pas que les foules ne se reforment pas autour des bureaux de postes, même si les guichets de banques viendront renforcer le réseau.

La question du rapatriement des Tunisiens de l’étranger a été évoquée, mais dans ses grandes lignes, ce qui ne peut pas rassurer les nombreux Tunisiens encore bloqués et pour lesquels il n’a pas eu les mots de compassion qu’ils attendaient. Il ne suffit pas d’aligner des données chiffrées, car l’on est devant des cas humains qui chacun cherche une solution pour lui-même. Quid aussi des nombreux étudiants qui veulent rentrer au pays à la fin de l’année universitaire ? Leur légitime inquiétude n’a pas été prise en compte.

Un sujet aurait mérité qu’il s’y attarde un peu plus c’est celui des prix et des comportements spéculatifs. Un décret-loi a bien été pris à l’effet de sanctionner lourdement les spéculateurs. Il aurait été mieux inspiré d’en détailler le contenu et de comparer les sanctions prévues avec celles qui étaient antérieures à la promulgation du nouveau texte. Montrer la fermeté de l’Etat dans la sanction des contrevenants est ce que l’on attend de lui. La dissuasion est aussi importante que la sanction.

Le seul moment où on a vu Elyès Fakhfakh sortir de ses gonds et s’emporter c’est lorsque le sujet des masques a été mis sur le tapis. A l’entendre rien de répréhensible n’a été commis, et les ministres concernés sont dans leur bon droit de chercher des solutions quitte à prendre quelques libertés avec les règlements. Comme la question est désormais du regard de la justice qui tranchera, l’emportement du chef du gouvernement n’a pas de raison d’être, à moins qu’il n’ait pour but l’intimidation de ceux qui oseraient le contrarier. Pour autant, le sujet n’est pas clos, quoi qu’il ait cherché à y mettre un terme.

Le chef du gouvernement a été, sans conteste, desservi par le format de l’interview genre au coin du feu. Dans ces graves circonstances où il faut être précis et concis, direct et percutant, ce genre d’exercice n’est pas adapté. Une adresse aux Tunisiens aurait été d’un meilleur effet. Une conférence de presse avec une déclaration liminaire comportant des informations claires et circonstanciées suivie de réponses aux questions des journalistes serait encore meilleure.

La communication de crise a ses règles et il semble que pour cette interview on les a ignorées. La gravité du moment, le besoin de précision et de clarté, la nécessité d’être pédagogue et rassurant, tout cela n’a pas été pris en compte. C’est dommage.

RBR

Votre commentaire