Victoire d’Erdogan : le Conseil français du culte musulman dirigé par un Turc proche de l’AKP

 Victoire d’Erdogan : le Conseil français du culte musulman dirigé par un Turc  proche de l’AKP

 

Pour la première fois depuis sa création en 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM) sera  dirigé à compter de ce samedi 1er juillet, par un homme issu de la communauté musulmane franco-turque. La nomination  d’Ahmet Ogras, 46 ans  un proche de l’AKP, le parti de la Justice et du Développement peut être considérée comme une victoire symbolique pour le fondateur de ce parti le président Recep Tayyep Erdogan.

Même si la nouvelle fait grincer des dents, il semble qu’il n’y rien de surprenant à cela : depuis la réforme des statuts de cette institution chargée de représenter les musulmans de France, sa présidence est tournante et devait de longue date revenir en 2017 à un représentant de la communauté musulmane turque.

Une passation qui soulève néanmoins des questions, notamment autour de la personnalité du nouveau président, Ahmet Ogras. Cet entrepreneur de 46 ans, né à Konya dans le centre de la Turquie et installé en France depuis l'enfance, est notamment critiqué pour son inexpérience dans le domaine cultuel, mais aussi et surtout pour ses liens avec le pouvoir turc. Des reproches qui résonnent particulièrement dans le contexte actuel de repli démocratique du régime de Recep Tayyip Erdogan, qui s’est encore accentué après le coup d’État manqué de juillet 2016.

Depuis sa création en 2003, le CFCM a historiquement été dirigé par des figures issues de la communauté maghrébine. C’est pourquoi le profil d’Ahmet Ogras contraste avec ses prédécesseurs : Dalil Boubakeur (2013-2015), issu de la communauté algérienne, était recteur de la Grande mosquée de Paris, tandis qu’Anouar Kbibech (2015-2017), représentant de la communauté marocaine, avait pour lui un long parcours au sein des instances religieuses (il a notamment participé dans les années 1980 à l’édification de la Grande mosquée d’Evry et présidé le Conseil régional du culte musulman d’Île-de-France-Est).

En comparaison, l’engagement religieux public d’Ahmet Ogras peut donc sembler tardif, au regard des responsabilités qui vont lui incombent à la tête du CFCM."C’est un businessman sans formation théologique", a expliqué à France 24 Emre Demir, journaliste turc et ancien rédacteur en chef de Zaman France, journal fermé après le coup d’État raté. "Il n’a pas les compétences" pour diriger le CFCM, renchérit Hikmet Turk, responsable de la mosquée de Pontoise (Val-d’Oise) cité par Libération. "Ogras connaît mal le tissu associatif, il est là à titre politique", assène enfin un autre imam de la région parisienne auprès de Jeune Afrique.

Pour les observateurs avertis, ses liens politiques avec Ankara lui ont effectivement été d’une grande utilité. En 2011, il prend la tête du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), l’association censée assurer la liaison entre le ministère de l’Intérieur et l’antenne française de Ditib, l’émanation à l’étranger de Diyanet, le bureau des affaires religieuses du gouvernement turc. À l’époque, déjà, sa nomination surprise fait jaser : l’hypothèse d’une présidence tournante du CFCM prenant corps, il est élu président du CCMTF par "un vote à main levée et non à bulletin secret", précise à La Croix son prédécesseur, qui souligne qu’il s’agissait là d’une violation des statuts de l’association, ce qui l’a conduit à porter plainte.

Derrière ce mode de nomination peu orthodoxe semble se dessiner la main du pouvoir turc. Ahmet Ogras aurait en effet eu l’appui, selon Libération, de l’influent conseiller aux affaires théologiques de l’ambassade de Turquie à Paris. Ahmet Ogras est depuis longtemps acteur du lobbying turc en France. Il est ainsi l’un des fondateurs, en 2005, de l'Union des démocrates turcs européens (UETD), dont il reconnaît lui-même que Recep Tayyip Erdogan était l’instigateur, rapporte l’AFP. Cet organisme est un "paravent européen de l’AKP", selon Emre Demir. In fine, c’est Ogras qui dirigera l’antenne française de l’UETD.

Ahmet Ogras réfute plus ou moins fermement ces liens qu’on lui impute avec le pouvoir turc. "Je n’ai aucun lien personnel avec M. Erdogan", assure-t-il par exemple à Jeune Afrique avant de nuancer : "Mais c’est un homme ouvert à tous, qui vient du peuple et pour qui le peuple est sacré." Même genre de pirouette lorsque l’AFP lui pose la question : "Parmi les valeurs que mes parents m'ont inculquées, on respecte les autorités." Un respect qu’il tente de dissocier d’une allégeance que beaucoup lui attribuent.

L’arrivée d’Ogras à la tête du CFCM reste toutefois une victoire essentiellement symbolique pour Recep Tayyip Erdogan. Le Conseil reste une association dont le rôle est de chapeauter la galaxie associative musulmane et dont le fonctionnement est entravé par l’absence de financement public. Il est donc peu probable que le président turc obtienne par là un levier de pression plus important qu’il n’en disposait déjà. Il sera temps de faire le bilan de la présidence d’Ahmet Ogras, le 1er juin 2019.

Votre commentaire