Atelier de la Ligue des Electrices Tunisiennes: "Quel agenda pour les femmes après le 25 juillet 2021?"
Le 25 juillet 2021 était un tournant décisif de la scène politique en Tunisie en raison des mutations qui l’ont marquée et des tensions entre les partis politiques et la Présidence de la République qui se sont encore accrues au lendemain de la dissolution de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
L’impact indéniable de cette date sur le processus politique se poursuit jusqu’aujourd’hui face à l’accélération des décisions du président de la République Kais Saied dont particulièrement la modification de la composition de l’Instance Supérieure Indépendante pour les élections (ISIE) et son intention d’organiser un référendum le 25 juillet 2022 portant sur l’amendement de la Constitution de 2014 sans pour autant préciser les articles concernés.
Les déclarations faites récemment par le chef de l’Etat évoquant l’éventuelle mise en place d’un système de vote en faveur des individus ont alimenté les craintes de certaines parties en rapport aux droits politiques. Ces déclarations ont suscité les interrogations de plusieurs organisations spécialisées dans la défense des droits de la Femme dont la Ligue des Electrices Tunisiennes (LET) qui œuvre depuis sa création à développer et renforcer les capacités politiques des femmes en imposant des amendements dont certains ont été précédemment adoptés par l’ISIE dans son guide électoral. Il s’agit essentiellement de la participation des femmes à la surveillance du scrutin, leur participation aux élections présidentielles, législatives et municipales ainsi que la défense de leur intégrité physique et morale et de leurs droits garantis par la Constitution.
Dans ce contexte, la LET a initié une série de rencontres avec des femmes occupant des postes de responsabilité au sein de différentes structures politiques, parlementaires, municipales, syndicales ainsi que des organisations de la société civile. Ces femmes, faut-il noter, ont été formées et encadrées pendant des années par des expertes et membres de la LET.
Organisé sous le thème «La participation politique après le 25 juillet 2021 : quel agenda pour les femmes?», cet atelier de réflexion a permis à une vingtaine de femmes dont des dirigeantes au sein de partis politiques, d’aborder, de manière anticipée, la toute première échéance politique post 25 juillet 2022 à savoir le référendum prévu au mois de juillet prochain.
Lors de cet atelier organisé par la « LET » en partenariat avec la fondation « KVINFO », l’experte en droit public Jinan Limam a développé une lecture critique de la participation de la femme tunisienne à la scène politique durant la dernière décennie considérant, à cet effet, que les appels à l’amendement de la Constitution et du décret loi portant organisation des partis politiques mettent en péril les acquis législatifs et juridiques de la femme tunisienne.
Elle a ajouté que la LET se penche actuellement sur l'élaboration d'un guide d'évaluation préliminaire comprenant les propositions liées à la Constitution et à la loi électorale. Elle a précisé que ce guide stipule que quelles que soient les modifications apportées au cadre juridique et au système électoral, la question de la valorisation de la représentativité de la femme devrait être un axe central. Il stipule également la parité homme/ femme au sein de toute structure politique. "Les réformes politiques ne pourraient pas avoir lieu sans que les femmes ne soient présentes sur le même pied d'égalité" a-t-elle lancé.
De son côté, la vice-présidente de la LET, Turkia Ben Kedhr a réitéré l'attachement des femmes tunisiennes à leur parcours de militantisme face aux menaces que représente le régime de vote aux individus sur le principe de parité homme/femme. Elle a ajouté que cet atelier de réflexion a pour objectif de prendre connaissance des propositions et des points de vue des femmes pour élaborer, par la suite, un plan d'action unifié à même de faire face à une éventuelle réticence de la femme à l’action politique. Ce plan d'action permettrait également d'inciter les femmes à participer massivement et avec autant de confiance aux prochaines échéances électorales.
Les participantes ont exprimé à l'unanimité leur attachement à préserver les acquis de la femme tunisienne particulièrement sur le plan politique tout en s’engagent à les renforcer davantage. En revanche, l’atelier a été marqué par la divergence d'opinions quant à l’impact du système de vote en faveur des individus qui remplacerait le système de vote aux listes ayant permis, en 2014, d'atteindre une représentativité de 47% des femmes au sein des conseils municipaux.
Participant à cet atelier de réflexion, Hajer Ben Cheikh Ahmed, dirigeante au sein du mouvement Tahya Tounes a considéré qu’il est nécessaire que la femme tunisienne soit influente dans la scène politique et pas seulement un élément de mobilisation lors des campagnes électorales et des meetings politiques. Elle a souligné la nécessité de garantir la participation de la femme tunisienne aux prochaines échéances électorales tout en saluant l’initiative prise par la LET pour présenter les solutions à même de préserver ces acquis.
De son coté, le responsable des jeunes au sein du mouvement "Tunisie en avant" Nadhem Belaid a souligné l'importance de cet atelier de réflexion considérant que les pratiques prenant pour cible les femmes se poursuivent dans un contexte politique et socio-économique marqué par l'ambiguïté, selon ses dires.
Il a ajouté que ce type d'initiatives donne aux femmes l'opportunité de briser les stéréotypes et de les inciter à prendre des décisions et à changer la scène politique. Il a, par ailleurs, considéré que le vote sur les individus porterait préjudice non uniquement aux femmes mais également à l'électeur en soi en créant un mauvais modèle de représentants du peuple à l'image du Parlement dissous où siégeaient des contrebandiers, selon ses dires.
Pour sa part, la présidente de la Commission de la Femme et de la Famille à la commune de Raoued, Leila Ayechi, a affirmé qu’il est nécessaire, au lendemain du 25 juillet, de préserver le principe de parité horizontale et verticale et de le développer davantage dans un contexte politique flou, selon ses dires.
La présidente de la commission de révision des impôts à la municipalité de Tunis, Hana Ben Said a, de son coté, affirmé que les craintes ayant marqué la période post 25 juillet quant à l'avenir et au rôle de la femme imposent une réflexion proactive sur cette question tout en considérant que ce processus ne ferait que consacrer la présence des hommes aux dépends de la femme. Il a considéré que cet atelier permettrait de définir des mécanismes de défense de la participation de la femme aux prochaines élections et de formuler des recommandations à la présidence de la République, au gouvernement et à toutes les parties prenantes portant sur la nécessité de maintenir le vote aux listes au lieu d'adopter le système de vote aux individus, qui mettrait, selon lui, en péril le rôle de la femme dans le changement de la scène politique en Tunisie.
La vice-présidente de l'association « Ibsar – Loisirs et cultures pour les non et malvoyants », Basma Soussi a, de son coté, souligné l’importance de la participation de la femme tunisienne à la scène politique en dépit des menaces liées particulièrement à l’incertitude et à l’éventuelle adoption d’un système de vote frappant de plein fouet le principe de parité. Ceci pousserait, selon elle, la femme tunisienne et en particulier celle à besoins spécifiques à boycotter l’action politique et marquerait ainsi le retour des formes de violence politique la visant.
Pour sa part, Ahlem Youssef, membre du Conseil du Mouvement « Tunisie en avant », a souligné le rôle de cet atelier de réflexion qui consiste à répondre à l’impératif de trouver des solutions et de percevoir une vision d’égalité réelle toujours non concrétisée. Ahlem Youssef a, par ailleurs, réitéré sa confiance aux efforts fournis par la LET pour faire parvenir la voix des femmes d’autant plus qu’elle a réussi précédemment à changer plusieurs décisions.
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