Désignation de Youssef Chahed: Conciliabules et querelles byzantines, une spécialité tunisienne

Désignation de Youssef Chahed: Conciliabules et querelles byzantines, une spécialité tunisienne

 

En jetant le nom de Youssef Chahed comme probable chef de gouvernement dans la mare politique déjà passablement trouble, le président Béji Caïd Essebsi savait-il que sa proposition allait donner lieu à autant de réactions négatives basées moins sur les qualités de l’homme ou plutôt ses défauts que sur des arguments qui tiennent de l’irrationnel ou d’improbables alliances familiales.

Alors que le chef de l’Etat s’attendait à ce que sa proposition passe comme une lettre à la poste voilà qu’on ergote, qu’on glose quand on ne critique pas. Il a osé l’impensable, un saut générationnel en nommant un tout juste quadragénaire en passant par-dessus les sexagénaires et les quinquagénaires et il s’attendait à être félicité. Mais voilà qu’on lui ressort les vieilles arguties spécieuses du jeune âge, de l’inexpérience voire du manque d’autorité et de l’absence de charisme de son poulain. Evidemment, ce qui l’a le plus braqué c’est qu’on ait trouvé des liens de parenté entre la famille Chahed et la sienne. Entre les Tunisois comme entre toutes les grandes familles de nos villes et villages, on trouve rarement des gens qui ne sont pas parents par alliance proche ou éloignée. La famille Caïd Essebsi ne déroge pas à la règle. En fait la parenté lie le gendre du président à une des tantes de Youssef Chahed. L’évoquer et en faire un argument fort c’est vraiment mesquin doit se dire le président de la république. Mais en politique on fait feu de tout bois et le vieux lion qui n’est pas né de la dernière pluie laisse dire quand ce n’est pas lui qui prend les devants. Il sait d’instinct qu’il a raison mais ne veut pas imposer son point de vue.

Certes la Constitution lui donne le droit de nommer l’homme qu’il juge le plus apte à former le gouvernement et à ses yeux Youssef Chahed est celui-là mais en faisant le choix de la concertation, il doit en accepter les risques. Les concertations peuvent se changer en conciliabules et celles-là peuvent donner lieu à des querelles byzantines. Mais Caïd Essebsi n’a peur ni des unes ni des autres. C’est même un bon exutoire pour faire sortir la bile que chacun emmagasine en lui. Il sait que les candidats au poste ne manquent pas et que plusieurs d’entre eux font du lobbying car c’est pour certains la carte de la dernière chance. Il sait que l’argument jeté en pâture selon lequel il faut d’abord convenir du profil du candidat avant de choisir l’heureux élu ne tient pas la route. Car ce sera une perte de temps d’autant que certaines qualités se soustraient au lieu de s’additionner comme la jeunesse et l’expérience ou l’autorité et la tolérance alors qu’il faut de tout pour faire un monde.

Mais ce qui est plutôt étrange c’est que ce sont les partis qui ne disposent que d’une représentation plutôt réduite au sein de l'ARP qui ont donné de la voix. Ce qui ne laisse d’étonner car pour être investi le gouvernement doit obtenir la confiance de l’assemblée et ce ne sont ni Al-Massar ni Al-Joumhouri qui à eux deux ne disposent que d’un seul et unique député qui peuvent faire pencher la balance vers l’un ou l’autre des noms qui ont circulé pour occuper Dar el-Bey.

Par la force de l’arithmétique de la démocratie représentative, Youssef Chahed sera adoubé à la Kasbah, mais ses outsiders ne seront pas laissés au bord du chemin. Il y a fort à parier que la plupart d’entre eux bénéficieront du maroquin qui soit compatible avec leurs indéniables qualités. Les règles de la démocratie seront respectées. Les impératifs de l’efficience et du rassemblement de la majorité des forces politiques autour du projet national ne seront pas laissés pour compte pour autant.

Alors arguties, conciliabules ou querelles byzantines, il faut faire avec. C’est le risque d’une démocratie naissante qu’on veut consensuelle et non conflictuelle. Si cela est une spécialité tunisienne. C’est aussi le signe du génie tunisien.

Raouf Ben Rejeb

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