Elyès Fakhfakh et le discours de la sincérité et de l’humilité

Elyès Fakhfakh et le discours de la sincérité et de l’humilité

 

En temps de crise on ne demande pas aux hommes politiques(ou aux femmes d’ailleurs) d’être des supermen investis de pouvoirs surhumains tenant entre les doigts une baguette magique pour changer le cours des choses. On leur demande surtout d’être sincères, humbles dans l’adversité et capables d’empathie envers leurs administrés. Lorsqu’à la crise s’ajoutent les incertitudes, l’angoisse et la peur, il importe aussi de rassurer sans tomber dans la banalité, de tracer des perspectives même si elles sont prudentes et précautionneuses. Il faut surtout disposer d’une capacité à la mobilisation des énergies, une aptitude à s’adresser à chacun, tout en tenant compte des attentes de l’ensemble. Pour que personne ne se sente laissée au bord de la route.

C’est à cet exercice périlleux que le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh s’est adonné hier jeudi lors de sa première interview télévisée depuis sa nomination il y a un mois. Et il y a réussi, si on observe les réactions des Tunisiens qui furent nombreux sur les réseaux sociaux à avoir apprécié sa prestation. La diffusion en direct sans filet et l’apport des deux journalistes Zina Khémiri et Hamza Belloumi qui ont posé les bonnes questions ont beaucoup contribué à la qualité certaine de l’interiew.

Maîtrisant bien ses dossiers, le chef du gouvernement a tenu le langage de la vérité. Sans détours et sans fioritures. Compréhensif, il l’était, car la situation est inédite et les Tunisiens n’y ont jamais été confrontés pas plus que les gens ailleurs. Que le confinement ne soit pas appliqué avec une extrême rigueur comme il l’aurait souhaité, cela est dû aux conditions dans lesquelles vit une majorité de nos compatriotes. Le constat est à l’honneur de l’homme, quand bien cela fait peser sur lui la responsabilité de changer cet état des choses.

Qu’il reconnaisse des erreurs dans la gestion de la crise, comme le fait d’avoir oublié des retraités de petites pensions dans le décompte des catégories vulnérables ou d’avoir décidé d’ouvrir les marchés du gros un jour sur deux entrainant un renchérissement des légumes et fruits, cela ne fait que le rendre plus proche des gens. A la sincérité vient s’ajouter l’humilité. Loin de le desservir, ce tâtonnement le rend plus humain.

Cependant, il ne faut pas oublier que dans les temps de grandes turbulences, on a besoin d’un pilote dans l’avion. Et malgré certaines fragilités humainement admises, Elyès Fakhfakh a revêtu les habits du chef dont le pays a besoin pour tenir le cap, aller de l’avant et garder espoir quoiqu’il en coûte. Surtout s’il en coûte. Et le coût est certes élevé mais il faut savoir le trouver et le dépenser à bon escient. Ce qu’il n’a pas manqué de souligner. Ce qui est une prouesse considérant l’état des finances publiques et la difficulté de compter sur le soutien des autres, chacun étant occupé par ses propres problèmes.

Chef de guerre disent certains. Le terme est galvaudé. Mais on a besoin surtout d’un chef qui dirige, montre la voie et assume ses responsabilités et ce chef on l’a trouvé. Malgré des qualités humaines indéniables, Fakhfakh a sorti les griffes de l’Etat. Cela est évidemment bienvenu. Surtout envers les contrevenants puisqu’il a souligné que les peines frappant les spéculateurs seront aggravées pour les aligner sur les « criminels de guerre ».

La loi sera appliquée à tous avec une rigueur égale, a-t-il souligné car on a besoin d’un Etat fort et juste. S’il a loué le rôle du secteur privé qui crée les emplois et contribue à la richesse nationale, il n’a pas exclu que de nouvelles taxes soient imposées si les hommes d’affaires ne mettent pas volontairement la main à la poche.

En politique ce sont les résultats qui comptent et Elyès Fakhfakh se donne les moyens de sa politique. Mais gare à celui qui veut se mettre en travers de son chemin. Cela vaut pour la classe politique. Certes son gouvernement a été constitué au forceps. Mais ce n’est pas une raison pour le priver des moyens juridiques de pouvoir gérer convenablement cette crise inédite.

D’ailleurs nombreux ont été les Tunisiens à ne pas approuver que la délégation qu’il a réclamé de pouvoir légiférer par décrets lois pendant deux mois pour faire face à la crise comme le stipule la Constitution lui a été accordée avec grande difficulté. Il a dû batailler dur pour l’obtenir. Comme lui, ils auraient souhaité que le projet de loi d’habilitation passe comme une lettre à la poste. En temps de crise, la politique politicienne n’a pas sa place. L’ARP serait bien inspirée de ne pas l’oublier. Un conflit d’attributions ne peut être compris, ni admis. Pas maintenant, pas dans ces conditions. Chacun doit être sans son rôle mais c’est la finalité qui compte plus que les moyens d’y parvenir.

Si Elyès Fakhfakh a réussi sa prestation, c’est parce qu’on comparé sa sortie télévisée à celle du président de la République dans son adresse aux Tunisiens lors de la réunion du conseil de sécurité nationale. Autant le chef du gouvernement a été fédérateur tenant à consolider l’union et la cohésion nationale, ce qui est souhaitable en temps de crise autant Kaïs Saïed a fait tout le contraire en vouant aux gémonies hommes d’affaires et partis politiques, en les accusant de ne pas donner assez au pays.

Si pour l’essentiel Fakhfakh n’est pas loin de partager l’avis du chef de l’Etat, c’est la manière qui compte. Et pour la manière celle de Kaïs Saïed laisse à désirer comme d’ailleurs l’usage d’une langue peu compréhensible par tous, et un discours ampoulé que le commun des Tunisiens n’arrive toujours pas à déchiffrer.

Il est souhaitable dès lors qu’Elyès Fakhfakh ait trouvé un discours porteur qu’il multiplie les sorties médiatiques. Pour expliquer, mobiliser et surtout rassurer. Ce qui est indispensable surtout si la crise perdure et si le confinement soit maintenu au-delà des délais raisonnables.

RBR

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