Exclusif : Hamed Karoui révèle tout sur les rapports de Ben Ali avec les islamistes et les déclarations « fallacieuses » de H.Ben Slama

 Exclusif : Hamed Karoui révèle tout sur  les rapports de Ben Ali avec les islamistes et les déclarations « fallacieuses » de H.Ben Slama

 

Hamed Karoui,  Premier ministre  de 1989 à 1999 et vice-présdent du RCD de 1989 à 2008, était un acteur principal lors de la période qui a vu le parti Ennahdha monter en puissance après l’avènement de Ben Ali suscitant un débat très serré à la tête du pouvoir quant à l’opportunité de le reconnaître avant que le régime ne bascule dans un répression féroce contre les islamistes.

Mis en cause par Hamouda Ben Slama, son ancien ministre de la Jeunesse et des Sports et membre du bureau politique du RCD qui l’accuse d’avoir, avec d’autres anciens hauts responsables, fait avorter le dialogue avec les islamistes dont il était l’instigateur, Dr Hamed Karoui a bien voulu répondre , en exclusivité,  aux questions d’Espacemanager.

Si Hamed, revenons au début quand est-ce vous aviez été en contact avec les islamistes ?

Cela date de 1983. A l’époque je n’étais que membre du bureau politique du PSD.  Hamadi Jebali que mon fils connaissait parce qu’ils fréquentaient tous les deux  la même mosquée était devenu le numéro 1 du mouvement de la Tendance Islamique après le  Congrès tenu dans la clandestinité à Soliman, si mes souvenirs sont exacts.  Je l’ai vu deux fois. Mais comme il était recherché, il a pris la fuite. Jusqu’au 7 novembre et l’avènement de Ben Ali je ne l’ai plus revu.

Alors l’aviez-vous revu après ?

En 1989, j’ai participé aux élections législatives à la tête de la liste de Sousse. J’ai mené une campagne très dure dans ma circonscription où les islamistes ont obtenu 14%. Dire qu’ils ont obtenu entre 40 et 45% des voix comme le prétend Hamouda Ben Slama est exagéré et contraire à la réalité. Devenu Premier ministre en septembre 1989, j’ai conseillé à Ben Ali de reconnaitre Ennahdha. Bien sûr la loi sur les partis interdisait la formation de partis politiques sur la base de la, mais je lui ai expliqué que la question était politique et demandait, de ce fait,  une réponse politique et qu’elle ne pouvait être sécuritaire ou à travers des procès et des jugements. Mon argument était que si les dirigeants islamistes étaient emprisonnés on va en faire des héros. D’ailleurs, j’enchainais en expliquant que Bourguiba et les autres leaders du Néo Destour étaient inconnus avant qu’ils ne furent  mis en prison. Tout jeune je me rappelais que des chansons étaient entonnées y compris dans les mariages à la gloire de Bourguiba,  Materi et les autres suite à leur emprisonnement  et leur éloignement dans le Sud. Auparavant, personne ne les connaissait. D’ailleurs, la suite m’a donné raison, puisque les islamistes qui avaient formé un noyau sans grande importance sous Bourguiba, parce qu’ils avaient été emprisonnés sont devenus la seconde force du pays sous Ben Ali. Lorsqu’ils avaient été réprimés et mis en prison à son époque, ils sont devenus la première force du pays aux élections de 2011. Mais Ben Ali demeurait réticent. La seule concession que j’ai pu obtenir de lui, c’était  d’accorder au parti islamiste qui a pris le nom d’Ennahdha  un visa pour la publication d’un journal. Ce fut le journal Al-Fajr dont le directeur était Hamadi Jebali. J’ai expliqué à ce dernier que ce journal consistait en une « mise à l’épreuve ». Si le parti islamiste réussissait dans cette épreuve, tout deviendrait possible. Malheureusement, il y a eu cet article sur les tribunaux militaires qui avait eu pour conséquence l’interdiction du journal, le procès contre lui et contre son directeur    et donc l’échec dans cette épreuve.

Hamouda Ben Slama dit que vous vous êtes parmi d’autres  opposés à la légalisation du parti Ennahdha ?

J’aurais souhaité ne pas lui répondre. Mais comme il persiste  et répète cela à qui veut l’entendre, je tiens à dire les choses telles qu’elles s’étaient passées. Un jour Ben Ali nous avait demandé de tenir une réunion du bureau politique consacrée à cette question et il avait tenu à ce que cette réunion soit enregistrée in extenso. Nous avions compris le message : Ben Ali savait ce que chacun pensait de la question mais voulait nous mettre à l’épreuve. Alors tous les présents s’étaient souciés de mettre en avant l’argument juridique qui consistait à ne pas accorder de visa à un parti  politique qui se déclarait de référence religieuse. Hamouda Ben Slama était allé encore plus loin arguant que le moment était au renforcement de « notre parti », ainsi il parlait du RCD,  avant de reconnaitre d’autres. Le seul qui était franchement pour la reconnaissance d’Ennandha était le regretté Habib Boularès.

Est-ce vrai que Ben Ali était sur le point d’accorder un visa à Ennahdha

Dans nos réunions en tête à tête je tentais de le persuader de franchir le pas. En plus de mes arguments cités plus haut je lui disais que si nous avions reconnu un parti social-démocrate, un parti communiste, un parti socialiste, un parti national arabe, un parti  libéral, pourquoi ne pas reconnaitre un parti de référence islamique.  Pour être encore plus persuasif,  je lui disais que nous devions revenir à la déclaration du 7 novembre qui soulignait que le peuple est arrivé à un stade de maturité qui lui permettait de choisir  en connaissance ses représentants. Il était sensible à mes arguments. D’ailleurs un jour j’ai appris qu’il avait donné instruction à Feu Abdelhamid Escheikh alors ministre de l’Intérieur de préparer le visa pour Ennahdha  avant de se rétracter. Car comme il y a des  gens qui le poussaient dans ce sens, d’autres le poussaient dans le sens inverse.

Hamouda Ben Slama vous rend responsable de son limogeage ?

Là aussi il a tort. M.Hamouda Ben Slama était inconnu au parti quand sa candidature a été présentée au cours d’une élection partielle après le 7 novembre 1987. J’ai dû, en tant que directeur du parti,  aller pratiquement l’imposer aux militants destouriens au cours d’une réunion tenue à Bab Souika en présence de Feu Azouz Rebaï si mes souvenirs sont bons. Plus tard, il a été nommé secrétaire d’Etat à  la Santé, son ministre de tutelle étant Mme Souad Yacoubi Ouahchi. Alors il est venu me voir pour réclamer un ministère plein.  C’est ainsi qu’il a été nommé ministre de la Jeunesse et des Sports. Un jour alors que nous parlions du rendement de certains ministres Ben Ali m’avait dit qu’il ne voulait pas de Hamouda Ben Slama à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports. Là où il va il promet monts merveilles, a-t-il ajouté aux uns une salle omnisport, aux autres un terrain gazonné, une maison de jeunes de sorte qu’il ne peut plus aller dans les régions car on va lui demander des comptes pour des promesses non tenues, m’a-t-il encore dit en ajoutant « moi je ne veux pas de ministre menteur-sfih- dans mon gouvernement ». C’est ainsi qu’il a été « éjecté » du gouvernement en février 1991. Cela n’avait rien à voir avec ses penchants pour Ennahdha. Aujourd’hui il veut se montrer comme l’un des défenseurs des islamistes. En fait il n’en fut rien. Il est resté jusqu’au bout, c'est-à-dire jusqu’on n’ait plus besoin de lui. 

R.B.Rjeb

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