« Fuitage », « foutage de gueule », chantage, diversion, secrets d’état ou « tous pourris »
Il ne se passe pratiquement un jour sans que l’on ne nous serve un ou plusieurs enregistrements audio ou vidéo « fuités ». Certains, des élus du peuple, il faut bien le préciser qui disposent de l’impunité que leur accorde l’immunité, s’en sont faits une spécialité. L’on ne sait ou on ne le sait que trop, où ils puisent leurs « bonnes trouvailles », mais ce qui est sûr c’est qu’il s’agit de montages de quelques phrases prononcées par une voix reconnaissable entre toutes qui font vite le tour des réseaux sociaux, de quoi créer le buzz.
Les secrets, les médisances, le bon peuple a toujours adoré ça. Déjà du temps de Carthage il y a des millénaires on parlait « des odeurs, des humeurs et des rumeurs » que redoutait par-dessus tout Rome, car elles faisaient le charme des phéniciens, et leur manière du vivre-ensemble si particulière qui a creusé du reste leur tombe.
Que le locuteur, enregistré ou filmé à son insu soit Mohamed Ammar, le chef du bloc démocratique à l’ARP ou que ce soit la chroniqueuse et activiste Maya Ksouri (les derniers à s’être faits piéger à ce jeu) l’on est certain que ce qu’ils vont dire aura une grande résonnance. Car dans l’intimité, on ne se fait pas prier pour dire ce que l’on pense des autres, ce qu’on est en train de manigancer pour les mettre à mal ou bien plus simplement ce que l’on a entrepris pour leur tirer le ver du nez
. Que l’autre interlocuteur soit connu ou qu’il ne le soit pas, cela n’a pas d’importance aux yeux du « piégeur » tant que ça sert sa « ligne éditoriale », alors que c’est de la plus haute importance.
Ainsi on ne sait si Maya Ksouri s’adressait à la directrice du cabinet présidentiel, comme on a pu l’insinuer ou à une autre. Dans un des enregistrements fuités on entend cette dernière s’adresser à une certaine « Chahra » que certains ont vite fait d’identifier comme une journaliste qui porte le même nom de famille que la directrice du cabinet présidentiel, une homonymie bien encombrante
Dans tous les cas ce que dit Maya Ksouri, si c’est bien sa voix, est grave puisqu’elle affirme clairement qu’elle est « faiseuse de roi », descendant l’un et faisant monter l’autre car il est plus accommodant, alors que pour l’un comme pour l’autre on croyait que ce fut le libre choix de la « personnalité la plus même de former un gouvernement » comme l’impose la loi suprême, la Constitution. Mais ce qui est encore plus insupportable, et évidemment intolérable, c’est lorsque l’on voit qu’elle fait appel à un ambassadeur étranger pour mettre au point sa stratégie. Brader de la sorte la souveraineté nationale chèrement acquise est à tout point de vue criminel.
Cela ne saurait cacher néanmoins que la diffusion de ces enregistrements fuités est tout bonnement une violation flagrante de la correspondance. L’article 24 de la Constitution stipule d’ailleurs que « L’État protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles. ».
Dans un Etat de droit, c’est la justice, avisée qui aurait mis les personnes concernées sous écoute, de quoi les confondre comme cela se fait dans les grandes démocraties. En France, un ancien président de la République a été jugé et condamné à de la prison ferme pour des échanges téléphoniques dont l’enregistrement a été autorisé par la justice.
Est-on en face d’un chantage fait par des personnes qui cherchaient à faire taire des scandales au moyen de pièces sonnantes et trébuchantes, on ne saurait l’écarter, c’est ce qui rend l’intrusion des hommes politiques et des élus du peuple dans ce genre d’affaires problématique, car ce faisant ils légitiment des procédés illégaux.
Mais les politiques ont leurs agendas qu’ils veulent à tout prix faire prévaloir. Car une diversion de l’opinion publique à certains moments est bien utile pour faire oublier certains événements et faire baisser la pression que ces derniers peuvent entrainer. D’ailleurs l’on voit ces « fuites » prospérer quand des mouvements politiques sont à la peine pour se sortir de pièges qui risquent de se fermer sur eux.
Ces fuites leur procurent des moments de répit quand ils n’arrivent pas à faire oublier certaines péripéties difficiles. Car le bon peuple oublie vite et il suffit de l’entrainer dans une autre direction pour qu’il fonce tête baissée devant la nouveauté surtout lorsqu’elle est croustillante.
En fait les fuites qui tiennent l’opinion publique en haleine quelques heures ou quelques jours et défraient la chronique un temps finissent toujours par faire « pschitt » comme l’a dit un ancien président français, en l’occurrence Jacques Chirac, mis lui aussi devant ce genre de difficultés et qui s’en est sorti plus ou moins à son avantage.
Certes si les fuites laissent des traces c’est qu’elles polluent fortement la scène politique et font diffuser des odeurs nauséabondes du monde partisan. Quand bien même elles peuvent révéler des secrets bien gardés ou dévoiler des comportements intolérables comme l’infiltration ou l’entrisme, cela n’a d’autre effet que de délégitimer la classe politique et donner un sens à la formule : « Tous mauvais, tous pourris »
RBR
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