Les jeunes tunisiens en France méritent mieux qu’une rubrique « faits divers »

Les récentes affaires criminelles impliquant de jeunes Tunisiens en France ne sauraient se résumer à de simples faits divers. Elles mettent en lumière l’urgence d’une responsabilité partagée entre Tunis et Paris : prévenir la marginalisation, encadrer l’intégration, offrir des perspectives et valoriser les compétences ainsi que les talents d’une jeunesse prise en étau entre déracinement et stigmatisation.
Des faits divers qui font la une
Ces dernières semaines, plusieurs affaires criminelles impliquant des ressortissants tunisiens ont défrayé la chronique en France. À Paris, deux Tunisiens ont été interpellés, dont l’un portait sur lui – dissimulés dans son slip – pas moins de dix millions d’euros de bijoux. Dans une autre affaire glaçante, un certain Mongi a été arrêté, soupçonné d’avoir tué quatre hommes en seize jours en raison de leur orientation sexuelle, avant de jeter leurs corps dans la Seine.
À cela s’ajoute le procès d’un jeune Tunisien de 25 ans, ouvert à Paris, accusé d’avoir commis l’attentat sanglant à la basilique de Nice en octobre 2020, au cours duquel trois personnes ont été assassinées au couteau. Le souvenir reste également vif de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais à Nice, qui avait coûté la vie à 86 personnes et fait plus de 450 blessés, perpétré par un autre Tunisien.
Ces faits divers et ces attentats terroristes bénéficient d’une couverture médiatique intense et nourrissent un récit anxiogène autour de la criminalité et du terrorisme « importés », offrant de nouvelles munitions aux discours anti-immigration.
L’instrumentalisation politique et médiatique et silence assourdissant de Tunis
En France, la combinaison entre faits divers violents et climat électoral tendu crée un cocktail explosif. Chaque affaire devient un cas d’école, utilisé par certains médias et responsables politiques pour justifier le durcissement des lois migratoires.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a récemment durci les conditions de séjour et de régularisation. Dans cette atmosphère, les Tunisiens deviennent les cibles d’une double stigmatisation : celle des criminels isolés qui salissent l’image d’une diaspora entière, et celle d’un discours politique qui instrumentalise la peur.
Les autorités tunisiennes brillent par leur silence. Ni le ministère des Affaires étrangères, ni les services consulaires en France, ni les institutions spécialisées ne se sont exprimés pour rappeler que ces affaires restent marginales. Cette absence de réaction accentue le sentiment d’abandon chez de nombreux jeunes expatriés et laisse le champ libre à une lecture univoque : celle d’une communauté à problème.
Mais au-delà du silence politique, c’est l’absence de données fiables qui interpelle. L’on se demande d’ailleurs si les autorités tunisiennes disposent de statistiques actualisées sur le nombre de jeunes Tunisiens en France : ceux qui vivent en situation régulière, ceux en situation irrégulière, sans oublier ceux qui détiennent la double nationalité et sont nés de parents tunisiens. Que font-ils ? Quels sont leurs projets de retour ? Quel lien entretiennent-ils encore avec la mère patrie ? Tant d'interrogations qui demandent à être élucidées.
Une seule étude sérieuse a été menée jusqu’ici : une monographie consacrée aux étudiants tunisiens en France, réalisée en 2009 par l’Observatoire de la jeunesse en partenariat avec l’Observatoire de la vie étudiante. Ses conclusions, pourtant riches, n’ont jamais été exploitées par le gouvernement tunisien. Depuis, le vide reste béant.
Pour une lecture plus juste
Réduire la jeunesse tunisienne de France à ces épisodes criminels serait une grave erreur. Depuis 2011, des milliers de jeunes diplômés quittent le pays chaque année, en quête d’un avenir meilleur.
Divers rapports font état d’un exode massif de talents : médecins, ingénieurs, informaticiens et chercheurs tunisiens s’installent chaque année en Europe. La France accueille ainsi des milliers de médecins tunisiens, sans compter les ingénieurs travaillant dans des secteurs stratégiques et la main-d’œuvre spécialisée dans divers services dont notamment le tourisme. Ces réussites collectives restent largement invisibles dans les médias, éclipsées par quelques affaires criminelles.
Pour comprendre les mécanismes qui poussent certains jeunes à basculer dans la criminalité, il ne suffit pas de pointer du doigt l’immigration. Des instituts tunisiens comme l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), l’Observatoire national de la jeunesse (ONJ) ou l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE) devraient relancer des études conjointes avec leurs homologues français afin d’analyser les trajectoires des jeunes migrants :
• Quelles conditions sociales et psychologiques mènent certains vers la violence ?
• Quels mécanismes favorisent au contraire l’intégration et la réussite ?
• Comment valoriser la contribution positive de la majorité face à la dérive marginale de quelques-uns ?
Une diaspora entre ombres et lumières
La criminalité de certains jeunes Tunisiens en France existe, mais elle reste l’exception. La majorité de cette jeunesse contribue à l’économie, à la science, à la santé et à la culture européennes. L’enjeu est de briser le miroir déformant des faits divers et de redonner une place aux parcours de réussite.
Car si les faits divers continuent d’éclipser les réussites, c’est autant la diaspora tunisienne qui en souffre que l’image du pays tout entier. La France instrumentalise, les médias amplifient, mais c’est à la Tunisie de reprendre la main. En accompagnant sa jeunesse à l’étranger, en valorisant ses réussites et en étudiant ses vulnérabilités, elle peut transformer cette migration en atout stratégique au lieu de la subir comme un fardeau médiatique. Le défi n’est pas seulement de réagir aux crises, mais de bâtir une véritable politique de la diaspora, proactive et ambitieuse.
B.O
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