Les manifestations populaires augmentent-elles les risques de contamination ?

Les manifestations populaires augmentent-elles les risques de contamination ?

Par Nouha Belaid

Bien que le nombre de cas de victimes du Coronavirus ait évolué ces dernières semaines, de nombreux tunisiens n’ont pas hésité de sortir dans les rues dimanche dernier, manifestant leurs droits. 

D’ailleurs, le nombre des manifestants aurait pu être plus évolué sauf que certains avaient peur de la contamination. Les participants de cette manifestation ont à maintes reprises rappelé les Tunisiens que la distanciation sociale s’appliquera mais sur terrain, les manifestants se sont limités à porter leurs masques. Ce qui nous inquiète actuellement sur la situation sanitaire de la Tunisie dans les prochaines semaines vu qu’une nouvelle vague pourra voir le jour, au point que beaucoup d’entre vous se demandent si les manifestations populaires augmentent-elles les risques de contamination.

Rappelons déjà que les lieux de contamination sont généralement les lieux fermés et notamment là où l'on passe le plus de temps, tel que nous l’avons confirmé dans un ancien article. L’étude source de cet article a confirmé que 35 % des personnes infectées l’ont été dans leur propre foyer ; 21,5 % l’ont été par un membre de leur famille ; 18,7 % pensent avoir été contaminé en milieu professionnel et 13,5 % ont été infectés dans le cercle amical.

Le premier facteur de contamination 

Le premier facteur de contamination est le nombre de personnes contactés. Nous parlons du « R0 », le taux de reproduction de base du virus, est le taux de contamination, décrivant le nombre de personnes contaminées par un infecté. Confirmé récemment en France, le R0 ou "nombre de reproduction effectif" du virus de la Covid est estimé à 3, celui du variant Alpha à environ 4,5 et celui du variant Delta à environ 6,6, c’est-à-dire avec le variant Delta, une personne contaminée en contamine plus que 6 personnes.

Notons qu’un R0 se calcule à partir d'une population qui est entièrement susceptible d'être infectée, c'est-à-dire qui n'a pas encore été ni vaccinée ni immunisée contre un agent infectieux. Il correspond au produit de trois facteurs : R0=ßcD. 

•    ß = le risque de contracter le virus lors d'un contact , ce qui impose actuellement la distanciation sociale d’un mètre. 
•    c = le nombre de contacts sur une unité de temps : si le nombre de contact évolue, le 
R0 évolue
•    D = le nombre de jours où une personne infectée est contagieuse : entre 10 et 14 jours.

Le R effectif est un indicateur de la dynamique de transmission du virus environ. Selon la Santé publique en France, les valeurs de R ne doivent pas être interprétées de façon isolée des autres données épidémiologiques et de l'analyse de la situation locale. Donc ce R varie selon le pays. Malheureusement, nous ne disposons pas de données sur la Tunisie. 

Par la suite, une personne infectée peut engendrer « un cluster », c’est-à-dire un regroupement de plusieurs cas. C’est entre autres, un « foyer de contagion ». Le cas le plus célèbre est celui du « patient 31 » qui a contaminé des dizaines de personnes en Corée du Sud, ce qui a abouti à la naissance d’un cluster de plus de 5000 cas. Donc une manifestation pourrait-elle mener à un cluster ?

A propos du lieu de la manifestation

Une étude publié en décembre 2011 et dont l’intitulé est « La transmission de la grippe pourrait-elle être réduite en limitant les rassemblements de masse ?» a analysé les différentes recherches réalisées autour du risque épidémique des grands rassemblements par rapport à la grippe et a fini par confirmer que certains types de rassemblement peuvent être associés à un risque accru de transmission de la grippe. Le rassemblement peut également créer de nouvelles souches dans une zone et peut également déclencher une transmission communautaire en cas de pandémie.

Cette étude a souligné que la restriction des rassemblements, en combinaison avec d'autres interventions de distanciation sociale, peut aider à réduire la transmission, mais il n'a pas été possible d'identifier des preuves concluantes sur l'effet individuel de la restriction. Les chercheurs David A.Isholaar et Nick Phin ont également confirmé que la durée de l'événement et la masse d’encombrement peuvent être les facteurs clés qui déterminent le risque de transmission de la grippe, et peut-être bien aussi le type de lieu (intérieur/extérieur).

Une autre étude (non évaluée par des pairs) mise en ligne le 02 juin dernier, montre que la participation à plusieurs carnavals dans une ville en Allemagne, a multiplié par deux le risque d’infection. De plus, la participation aux festivités du carnaval a augmenté à la fois le taux d'infection (21,3 % contre 9,5 %, p<0,001) et le nombre de symptômes chez les personnes infectées (augmentation relative moyenne estimée de 1,6, p=0,007).

En effet, le facteur clé de contamination dans ce cas est le lieu (intérieur/extérieur). Or l’écrasante majorité des clusters détectés se sont formés dans un espace clos. Rappelons déjà les résultats du premier rapport annoncé en février 2020 par l’OMS. Selon ce rapport, environ 8 contaminations sur 10 ont eu lieu en Chine, au sein du foyer. Donc il y a moins de chance d’être contaminé dans un espace ouvert.

Pour rappel, la maladie se transmet par les gouttelettes, ces sécrétions invisibles projetées lorsqu’une personne parle voire crie ou tousse, d'autant plus lors d'un contact étroit. Dans ce cas, ces gouttelettes peuvent arriver sur les mains de son voisin. Ce dernier peut se frotter les yeux ou se toucher la bouche. C’est la raison pour laquelle le port du masque sera important car si les manifestants portent des masques et ne s’amusent pas à se cracher dessus, le risque reste faible.

Entre le droit de se manifester et la contamination

Enfin, tant que le droit de manifestation est un droit constitutionnel, nous recommandons aux manifestants en Tunisie, des gestes barrières simples que 1288 spécialistes en maladies infectieuses et santé publique ont proposés dans une lettre ouverte, aux manifestants contre l'injustice systémique pendant la pandémie de COVID-19, à respecter :
•    Porter masque
•    Essayer de laisser une distance de 2 mètres entre chaque manifestant
•    Ne pas sauter de groupe vers un autre groupe (pour éviter une forte contamination)
•    Rester chez soi si vous remarquez après la manifestation que vous avez des symptômes du Corona 
D’ailleurs, ces spécialistes ont appelé à :
•    Soutenir les gouvernements locaux et étatiques dans le respect du droit de manifester et permettre aux manifestants de se rassembler. 
•    Ne pas dissoudre les manifestations sous prétexte de maintenir la santé publique pour les restrictions COVID-19.
•    Plaider pour que les manifestants ne soient pas arrêtés ou détenus dans des espaces confinés, y compris les prisons ou les fourgons de police, qui sont parmi les zones les plus à risque de transmission du COVID-19.
•    S'opposer à toute utilisation de gaz lacrymogène, de fumée ou d'autres irritants respiratoires, qui pourraient augmenter le risque de COVID 19 en rendant les voies respiratoires plus sensibles aux infections, en exacerbant l'inflammation existante et en provoquant la toux.
•    Exiger que les forces de l'ordre respectent également les recommandations de prévention des infections en maintenant une distance avec les manifestants et en portant des masques.
•    Se préparer à une augmentation du nombre d'infections dans les jours qui suivent une manifestation en offrant un meilleur accès aux tests et aux soins pour les personnes des communautés touchées, en particulier lorsqu'elles ou les membres de leur famille sont en danger.
 

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