Qui fait courir Néji Jalloul : une ambition dévorante ou le sort de Nidaa Tounés

Qui fait courir Néji Jalloul : une ambition dévorante ou le sort de Nidaa Tounés

 

Dans le paysage politique tunisien d’après janvier 2011, Néji Jalloul est un personnage atypique. Electron libre il l’est incontestablement. La constance n’a jamais été son fort.

Proche d’al-Watad, le parti unifié des patriotes démocrates, le mouvement de Chokri Belaïd, donc au départ homme de gauche, il a adhéré en 2012 au parti Al Joumhouri lorsque celui-ci a réuni sous son étendard des forces éparses allant du PDP, à Afek Tounés en passant par des personnalités indépendantes. C’est là qu’il a croisé le chef du gouvernement actuel Youssef Chahed sans le connaître vraiment.

Lorsque Béji Caïd Essebsi lance le mouvement Nidaa Tounés, il met du temps à y adhérer, mais il tient à recevoir sa carte des mains du président du parti en personne. Il sera le seul, du moins l’un des rares à avoir ce privilège. L’événement sera médiatisé et l’homme deviendra depuis ce moment un client assidu des plateaux des radios et des télévisions. Il n’est pas du reste du genre à refuser une invitation y compris dans des émissions de variétés. C’est qu’il a toujours des choses à dire.

Historien de profession, professeur d’université de métier, il a le verbe facile et ne manque point de bagout pour tenir son auditoire en haleine, mêlant des citations de grands écrivains à des démonstrations historiques sans oublier de mentionner ses ouvrages dont il a fait d’ailleurs étalage au cours d’une émission télévisée sans se démonter.

Dés qu’il est entré en politique, après le 14 janvier 2011, car personne ne lui connaissait des activités dans ce domaine auparavant, il a visé le sommet et ne s’en est jamais écarté quand bien même il a dû faire des traversées du désert, courtes certes mais qui doivent être pour lui une éternité.

Le natif de Bekalta, dans le gouvernorat de Monastir a toujours mis en avant son appartenance sahélienne non pour en tirer un privilège mais parce que la revendication des racines est la première des qualités en politique, foi d’un historien.

L’archéologie qu’il a étudiée à la Sorbonne lui a donné la capacité d’interroger la pierre, ce qu’il a n’a jamais cessé de faire. Car la pierre renseigne sur l’homme. Qu’il se soit spécialisé dans les fortifications arabes et ottomanes sur le littoral tunisien et ait été membre fondateur de la commission nationale de l’histoire militaire marque son intérêt pour ce qui représente la force d’un peuple et est la garante, de son intégrité et de son indépendance, à savoir l’armée.

De cette double ressource, le Sahel et l’histoire militaire, il a tiré les deux qualifications qui lui tiennent le plus à cœur et qu’il revendique fièrement. Il se dit en effet bourguibiste et souverainiste, deux qualificatifs qui coulent, selon lui, de la même source.

La vague rouge-palmier de la fin 2014 qui a vu Nidaa Tounés rafler le palais de Carthage et la première place à l’Assemblée des représentants du peuple, Néji Jalloul n’y participe pas de plain pied, puisqu’il ne s’est pas présenté sur les listes de son parti.

Embarqué dans l’aventure quelques mois avant le scrutin, il n’était pas aisé pour lui de réclamer une place de premier plan, ces places étant distribuées avec parcimonie à ce moment là. D’autres diront que n’ayant pas d’enracinement politique local fort, il ne voulait pas se mesurer au verdict des urnes. Ou du moins pas encore

Mais dès que la victoire est acquise, son nom a circulé parmi les ministrables. On l’attendait au ministère de la Culture, il est nommé à la tête de l’Education, un grand ministère, l’un des premiers budgets de l’Etat. Un grand département, il y a de quoi satisfaire son ego.

Il croit y donner sa pleine mesure, de quoi ouvrir devant lui d’autres horizons. Surtout qu’il n’a même pas soixante ans en ce début de 2015, dans un milieu où la moyenne d’âge est plus élevée. Le domaine de l’éducation, il le connaît bien croit-il puisqu’il est lui-même enseignant.

Mais la tâche était beaucoup plus ardue qu’il ne s’attendait. En effet l’UGTT dispose là de ses syndicats les plus remuants et les plus revendicatifs. Les patrons des syndicats de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire ont pour noms respectivement Gammoudi Mastouri et Lassaad Yacoubi et tous les deux n’ont pas leur langue dans la poche.

La force de ces syndicats étant leur nombre et leur discipline ainsi que l’extrême sensibilité de leur domaine qui concerne toutes les familles tunisiennes, tous les deux vont en user et en abuser pour aligner les revendications à ne plus en finir.

Tout y passe, du traitement mensuel, aux primes et indemnités diverses et variées et jusqu’aux moyens didactiques, sans oublier bourses aux élèves des enseignants et tutti quanti. Chaque revendication en ramène une autre et lorsque le ministre répond favorablement à celle-ci, on lui ramène sur la table celle-là.

Etant hyperactif par nature, Néji Jalloul veut faire tout en même temps. Il engage l’examen du dossier le plus délicat pour un ministre celui de la réforme de l’enseignement. Pour des gouvernements d’après 14 janvier dont la longévité ne dépasse guère 12 mois, le pari est risqué. Mais le ministre n’en a cure. Il tient à sa réforme car il veut inscrire son nom parmi les grands réformateurs de l’éducation tunisienne à l’exemple Mahmoud Messadi ou plus récemment Mohamed Charfi.

Mais les temps ayant changé il va tomber sur un os. Car une réforme ce sont des changements donc la fin de certains privilèges. Les syndicats y sont rarement favorables. Conservateurs par nature, bien qu’ils disent le contraire, ils suspectent le ministre de vouloir en profiter pour imposer les modifications qui lui sont favorables.

Comme ils ont affaire à un ministre qui déploie une activité débordante et fait des déclarations plusieurs fois par jour sur des sujets divers et variés, car il tient à faire des médias son plus sûr soutien, il a suffi qu’il fasse une déclaration maladroite ou qu’il effectue une activité qui n’est pas appréciée par les syndicats pour que ceux-ci ne se suffisent plus à critiquer ses actes mais ils ne réclament pas moins que sa tête.

Cela a fini par arriver. Il a beau se défendre, faire comme si de rien n’était, crier haut et fort qu’il a été lui aussi syndicaliste et qu’il a toujours associé les syndicats aux décisions majeures prises par lui, son sort était scellé. Même lorsque Youssef Chahed est monté au créneau pour le défendre, personne n’était dupe.

Et lorsque la décision de le limoger tombre à la veille de la fête du travail, le 30 avril 2017, personne n’est étonné, à part lui qui en tiendra rigueur à Youssef Chahed de l’avoir sacrifié sur l’autel de ses intérêts propres.

Il faut dire que le courant ne passait pas entre les deux hommes, surtout qu’à plusieurs reprises le nom de Néji Jalloul a circulé lorsqu’il s’est agi de trouver un chef de gouvernement ou pour suggérer un remplaçant à Youssef Chahed.

Ejecté du gouvernement, il en a conçu une vive amertume. A-t-il pensé à ce moment là à prendre le large et à créer son propre mouvement politique. A-t-il pensé mettre un terme à sa carrière politique et à revenir à ses chères études.

L’homme actif qu’il est a été arrêté en plein envol mais il n’est pas du genre à déposer les armes. On lui a bien proposé une ambassade, celle de Vienne, mais il n’est du genre à se satisfaire des planques furent-elles les plus belles. Il refuse poliment.

Mais il fait le dos rond. Pas de déclarations enflammées ni des activités tonitruantes. Sa traversée du désert ne sera pas longue puisqu’il est nommé le 12 septembre 2017, directeur général de l’Institut tunisien des études stratégiques, ITES, un organisme dépendant de la présidence de la République et dont le numéro 1 bénéficie de rang et avantages de ministre.

De cette institution qui travaille dans l’ombre et dont le produit est destiné aux initiés il va faire un établissement qui agit en pleine lumière, œuvrant sur des sujets brulants et d’actualité et étalant les résultats de ses travaux dans les médias.

Néji Jalloul en profite pour retrouver les feux de la rampe comme s’il ne les a jamais quittés du reste. Après avoir pris ses distances d’avec Nidaa Tounés qui ne l’a pas défendu quand il en avait besoin, voilà que son parti pense à lui.

Après la défaite de l’Allemagne et la déconfiture des élections municipales, on a cité son nom parmi les personnalités pressenties à prendre en main le mouvement fondé par Béji Caïd Essebsi. Le poste de porte-parole dans une direction largement remaniée autour de Hafedh Caïd Essebsi semble lui aller comme un gant.

Mais la seule fonction qu’on lui confie au sein du parti est celle de « chargé du dossier de l’éducation et de la culture ». Un communiqué est publié le 30 novembre 2017 par Nidaa Tounés à cette fin accompagné d’une photo où il pose tout sourire aux côtés du directeur exécutif.

Depuis cette date, on ne l’a pas vu s’activer dans ses fonctions partisanes. Ce n’est que le 20 juin qu’on découvre qu’il fait partie de la nouvelle garde rapprochée de Hafedh Caïed Essebsi. Il est en effet présent à ses côtés à la rencontre ayant eu lieu au siège de l’UGTT entre une délégation de la direction de Nidaa Tounés et le secrétaire général de la centrale syndicale Noureddine Taboubi.

Cette présence en a étonné plus d’un. Indique-t-elle qu’il a tourné la page dans ses rapports avec la centrale syndicale. Peut être bien. Mais certainement pas envers Youssef Chahed. Ce n’est pas qu’il a la rancœur tenace mais parce qu’il sentait qu’elle lui permettait de prendre sa revanche. Après l’avoir sacrifié, le chef du gouvernement est en voie de subir le même sort. Pour lui, quel meilleur réconfort !

Contraint à une obligation de réserve dans ses fonctions de directeur général de l’ITES, Néji Jalloul a-t-il reçu le feu vert du président de la République avant de s’engager dans une action dont la finalité est de pousser le chef du gouvernement vers la porte de sortie.

La question reste posée. Néanmoins l’acte est non seulement symbolique mais il est surtout significatif. Ce n’est pas tant le sort de Nidaa Tounés qui le mobilise.

S’il se pose en rassembleur du mouvement, c’est qu’il a trouvé la brèche par laquelle il est entré pour ramasser la mise. Quoi de mieux qu’un grand parti souverainiste pour satisfaire son ambition dévorante. Il vise à rassembler prioritairement les destouriens et les ex-RCDistes, c'est-à-dire les héritiers de Bourguiba et Ben Ali. Le creuset de toutes les forces anti-Ennahdha en fait.

Car pour lui, il n’y a de place en Tunisie que pour trois familles politiques, les islamistes, les souverainistes et la gauche.

Il n’a pas tort, mais a-t-il vraiment les moyens et la capacité d’être vraiment ce rassembleur ? Surtout en cette phase où chacun affûte ses armes dans la perspective d’une échéance à tous égards majeure, l’élection présidentielle de 2019.

Dans tous les cas, il faut faire avec Néji Jalloul qui ne sera pas absent des joutes politiques qui s’annoncent.

RBR

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