Révolution an V : une société fâchée avec sa jeunesse
Du temps de Bourguiba, on célébrait la fête de la jeunesse le 2 juin de chaque année, juste après celle de la victoire à celle de la victoire le 1er juin 1955 qui coïncidait avec le retour triomphal du « combattant suprême » de son exil. Son successeur Ben Ali avait rattaché cette fête à celle de l’indépendance, soit le 21 mars, une question de continuité entre les générations. Foued Mebazaa qui a assuré l’intérim, le temps de quelques mois, a vu autrement en décrétant le 14 janvier fête de la révolution et de la jeunesse. Dans les trois cas, la célébration de cette fête est l’occasion de dresser le bilan d’une jeunesse souvent « sacrifié sur l’autel de la politique ».
Entre l’eldorado européen et les « houris »
Cinq années après cette fameuse journée du 14 janvier 2011, on ne compte plus le nombre de jeunes engagés dans les rangs de groupes terroristes, ni ceux qui ont pris le large pour finir au fin fond de la mer ou encore dans les prisons européennes. Ceux d'entre eux qui ont échappé à ces tristes sorts vivent comme des parias, à la marge de l'eldorado rêvé. Ils sont, d'après un rapport des Nations unies, près de 5.500 à avoir rejoint les conflits à l'étranger en Syrie et en Irak notamment. Attirés par les sirènes du jihad et les délices du paradis avec ses « houris » que leur font miroiter ces prédicateurs «envahisseurs» qui ont débarqué chez nous à l'invitation d'associations dont l'objet est directement lié à une doctrine religieuse pure et dure, endoctrinés par des imams radicaux qui ont transformé certaines mosquées en des centres de mobilisation et de prêches wahhabites, ils ont laissé derrière eux des familles désemparées et inconsolables.
D'autres jeunes, et ils se comptent également par milliers (plus de 25.000), ont succombé à l'eldorado européen dès les premiers jours ayant suivi le 14 janvier 2011. Certains ont péri, d'autres se sont trouvés rassemblés dans de véritables camps de concentration sur l'autre rive de la Méditerranée, ou placés en détention, en proie à de graves difficultés et à une humiliation sans fin. Rares sont ceux qui ont réussi à se frayer un chemin dans les méandres de cet eldorado rêvé.
Des chiffres qui sonnent comme un échec total pour cette « révolution » dont les jeunes étaient le véritable moteur. Le slogan mobilisateur « emploi, liberté, dignité nationale » n'a plus aucune portée et le drapeau national, rouge et blanc, tant hissé et brandi, a été peu à peu remplacé par ce fanion noir, emblème des organisations terroristes, comme Daesh.
Echec de la classe politique
Qu'ont fait les gouvernements successifs et les partis politiques pour ces jeunes totalement déçus par l'évolution de la situation du pays et se sentant trahis par une classe politique qui a usurpé leur «révolution » dont les causes sont toujours là, pour ne pas dire qu'elles ont empiré ? Pratiquement rien ! La situation s'est même dégradée avec l'accroissement du taux de chômage, l'aggravation de la pauvreté, la détérioration de la situation sécuritaire, la flambée des prix, la désintégration de l'économie nationale, la résurgence de phénomènes comme le terrorisme, la recrudescence de la violence et de la criminalité...On a l'impression que la société tunisienne est fâchée avec sa jeunesse.
Les dernières élections législatives et présidentielle ont démontré que les jeunes se désintéressent de la politique. Moins de 20% des 18-29 ans ont voté. Un désaveu pour toute la classe politique qui a été incapable d'intégrer les jeunes et de les accompagner. Les partis doivent se rendre à l'évidence: les jeunes s'intéressent à la politique autrement. Ils ne vivent pas les mêmes expériences que les générations précédentes. Tout a changé, la société, les repères, les valeurs et les grandes problématiques. Ils ont leurs propres formes d'expression et sont à la recherche d'autres modes d'action pour marquer leur différence et leur singularité. Les démarches ponctuelles doivent être écartées et il faut penser à insérer les stratégies de participation de la jeunesse dans un cadre institutionnel et structurel ainsi que dans les processus de développement politique, social et économique, autour d'un véritable projet pour la jeunesse. Les jeunes ont besoin d'un message fort de la part de la classe politique, loin de toute forme d'embrigadement et d'exploitation à des fins politiciennes. Un message d'espoir qui ouvrirait devant eux de nouveaux horizons. Ils ont besoin d'être écoutés et soutenus. D’être compris. Le gouvernement doit, et on ne se lassera pas de le dire et de le répéter, initier une politique spécifique pour les jeunes fondée sur l’inclusion et la garantie d'une égalité des chances et de conditions de vie décentes pour tous. Avec un appel à l'organisation d'états généraux s'inscrivant dans une dynamique participative qui aboutirait à la mise en place d'une nouvelle politique de la jeunesse.
Brahim OUESLATI
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