Khaled Zribi (Président de la Bourse de Tunis):"La culture boursière en Tunisie reste encore très limitée"

Khaled Zribi (Président de la Bourse de Tunis):"La culture boursière en Tunisie reste encore très limitée"


Avec plus de 18 ans d’expérience dans les métiers de marchés financiers, Khaled Zribi est Partner Fondateur de Compagnie Gestion et Finance-CGF (société tunisienne indépendante opérant sur l’ensemble des métiers de l’intermédiation financière) où il préside les rênes depuis 1998.

Khaled Zribi est également partner fondateur et membre du Conseil de Surveillance d’AlphaMena, première société indépendante d’analyse financière equity sur le Maghreb et le Moyen Orient, et bientôt l’Afrique de l’Ouest (BRVM).

Au mois de novembre 2013, Khaled ZRIBI a été élu Président du Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprises de Tunisie. Il vient d’être élu, le 30 mai dernier, Président du Conseil d’Administration de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis.

Titulaire d'un diplôme d’université d’économiste de projet, un DESS d’ingénierie financière et un DEA en macro-économie (Tous obtenus à l’Université de Montpellier I), Khaled Zribi détient une exprérience solide. Dans cette interview, il nous parle des évolutions de la Bourse, de la crise éconmique, des entreprises cotées en Bourse...

Quelles sont les évolutions les plus importantes à la Bourse ?

L’année 2014 a été marquante pour la Bourse de Tunis. L’indice pour Tunindex a clôturé l’exercice dans le vert (+16,17%) après 3 années successives dans le rouge. On peut affirmer que l’indice en particulier, et le marché en général, a réagi positivement en 2014, notamment après les élections qui ont mis fin à une période de transition « politique ».

A noter, également, que la Bourse a accueilli 6 nouvelles introductions en 2014, ce qui est tout de même un chiffre important. Avec ces nouvelles introductions, la capitalisation boursière s’est élevée à 17,324 Md TND contre 14,092 Md TND à fin 2013.

Est-ce que la Bourse souffre de la crise économique ?

Oui, bien sûr que la Bourse souffre de la crise, comme tout autre opérateur économique du pays. La crise, inévitablement, a impacté négativement les volumes des transactions sur le marché.

Est-ce que les Tunisiens s’intéressent à la Bourse ?

Malheureusement, la culture boursière en Tunisie reste très limitée. Une minorité d’acteurs ont des connaissances sur la Bourse. Le Tunisien, qu’il soit épargnant ou émetteur n’est pas encore complètement familiarisé avec la notion de « Bourse » et/ou d’Ouverture du Capital au public.

Aujourd’hui, le marché financier participe à 7% de l’investissement, ce qui est un niveau très faible comparé au Maroc ou à la Turquie. Ce chiffre et loin de l’objectif premier qui est de 20%.

Comment faire pour que les Tunisiens puissent s’y intéresser encore plus ?
 
Pour donner plus d’attractivité à la Bourse, il faut qu’il y ait un effort commun de tous les acteurs du marché. La loi 94-117 qui a porté réorganisation du marché financier vient de fêter ses 20 ans. 20 ans, c’est l’âge de la maturité et nous sommes capables de relever les défis du financement de la PME par le marché. Il faut, également, une forte volonté politique.

A ce titre, il est nécessaire de lever des « barrières » qui ne sont plus d’actualité. Sur le plan opérationnel, nous devons veiller à diversifier les produits et services offerts aux épargnants et investisseurs. Il faut faire en sorte que les secteurs non représentés à la cote de la Bourse, à l’instar des « Telecom » le soient dans un proche avenir. Enfin les sociétés cotées doivent mettre en place des stratégies de communication financière à destinations des investisseurs.

Comment faire pour relancer l’économie du pays ?

La relance économique est forcément tributaire d’un ensemble de réformes structurelles et réglementaires. La relance est, également, le fait de la conjonction de l’intervention de tous les acteurs concernés. En Tunisie, nous devons impérativement améliorer le cadre juridique de l’investissement. L’Etat doit engager de grandes réformes et notamment celles du système fiscal et de l’éducation. De même, l’Etat doit redéfinir ses champs d’intervention pour aller vers plus de libertés et notamment celle « d’entreprendre ».

D’un point de vue financier, on doit restructurer le système bancaire et surtout, revoir la politique de change et la convertibilité du Dinars. Concrètement, le retour de la croissance ne pourra se faire que s’il y a une reprise de l’Investissement, privé et public, mais également d’une redéfinition du partenariat public-privé par l’adoption de la loi sur le PPP. Bien entendu tout cela doit se faire dans un environnement propice à savoir stable dans tous les sens du terme.

Est-ce que des nouvelles entreprises vont entrer à la Bourse ?

Nous sommes positifs pour l’année 2015. Il est probable que nous continuerons sur le même trend que les 2 dernières années. Si en plus nous avons un retour de la croissance à des niveaux de 5% et plus il y a de quoi être optimiste.

Est-ce que vous avez lu le rapport de la banque mondiale ? Qu’est-ce vous en pensez surtout au niveau de corruption ?


Oui j’ai une idée sur ce rapport. Tous les fléaux évoqués dans ce rapport sont des entraves au développement de nos entreprises. Le retour d’un Etat « fort », un Etat au sein duquel les institutions sont respectées, devrait aider à ce que les choses rentrent dans l’ordre, mais cela ne suffit pas.

Tous les opérateurs ont une responsabilité dans ce qu’il se passe. Cela passera nécessairement par un sentiment « citoyen » fort et une implication de tous dans la lutte contre les fléaux cités dans ce rapport. Une coordination des efforts de l’Etat, du monde de l’Entreprise et de la Société Civile devrait permettre d’aboutir à des résultats positifs relativement rapidement.

Quels sont vos projets pour que la Bourse devienne de plus en plus importante ?

La problématique du développement de la Bourse est au cœur des préoccupations de notre Conseil d’Administration. La mise en place d’une stratégie quinquennale appuyée par l’apport d’experts internationaux en la matière, une bonne Gouvernance et un programme de communication conséquent devraient donner leurs fruits dans les années à venir.

Quels sont les freins du développement de la Bourse ?

Malheureusement, certains « freins » persistent. Nous en avons cité quelques-uns plus haut. Nous pensons que, par exemple, la levée du plafonnement de la participation étrangère en portefeuille, plus l’ouverture de certains secteurs protégés devraient avoir un impact non négligeable sur la liquidité du marché. Autre élément cité plus haut : les « Telecom ». Une opération comme « OOREDOO » aurait un impact non négligeable sur la capitalisation de la Bourse de Tunis. Avec des « géants », nous devrions pouvoir intégrer la catégorie « Marché Frontière » et intégrer un Indice de référence afin d’être « visible » aux investisseurs institutionnels étrangers.

Est-ce que la Bourse de Tunis a des partenariats avec d’autres Bourses dans le monde entier ?

La Bourse tunisienne a récemment signé des protocoles d’accord avec la Bourse de Casa, la Bourse de Douala, la Bourse d’Alger et la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM). Ces partenariats portent sur : l’échange mutuel d’informations et d’expériences; la formation et l’assistance technique; la promotion de la culture boursière; le développement des doubles cotations.

Vous étiez, avec votre prédécesseur, les premiers jeunes qui ont occupé le poste du président de la Bourse. Est-ce un choix ou besoin ?

Il est clair que le rajeunissement est une bonne chose. L’expérience est positive, en voyant ce que Fadhel Abdelkefi a accompli et ce que je suis en mesure d’apporter on ne peut qu’être conforté dans ce choix. Nous voulons participer activement à la réflexion, voir même à la décision. Notre objectif est de faire du marché financier en général et de la Bourse en particulier une institution, efficace et efficiente, au service du financement de la PME. Parmi les résultats attendus, l’amélioration du taux de financement des entreprises par le marché, pour le porter de 7% aujourd’hui, à plus de 20% très rapidement.

Président de la Bourse et Président du CJD. Comment arrivez-vous à gérer les choses ?

Ce sont des « rôles » fortement complémentaires. Au CJD (Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprises), on représente le Jeune Dirigeant et son entreprise. Il faut savoir que suite à l’étude réalisée par le CJD, en 2014, en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer et SIGMA Conseils, nous en sommes arrivés au résultat suivant : l’entreprise du Jeune Dirigeant pèse, dans tous les sens du terme (nombre d’entreprises, emplois, investissement, exportations …etc.) près de 50% de l’économie tunisienne.L’objectif du CJD est  de contribuer à l’amélioration de l’environnement de cette entreprise pour qu’elle puisse investir, créer des emplois, créer de la richesse et tout cela dans un environnement marqué par notre valeur fondatrice : la Performance Globale. 

Nous travaillons sur un certain nombre de préalables à cet environnement : bien entendu, il s’agit de la stabilité sociale, politique et sécuritaire. Mais c’est également d’autres aspects dont notamment: la fiscalité, la formation, l’employabilité et la création d’entreprise. C’est sur cela que le CJD travaille et essaye de faire passer des messages aux autorités et aux pouvoirs publics.

Pour ce qui est de mon rôle en tant que Président de la Bourse, il s’agit, simplement, d’améliorer et de favoriser le financement de cette PME par le marché. C’est, donc, un rôle complémentaire.
Tout cela, sans oublier, bien entendu, ma mission, au sens large, qui est de veiller au bon développement de l’institution que ce soit en termes de « Bonne Gouvernance », de « Communication » et de « Stratégie ».
 
 

Propos recueillis par Zahreddine Berhima