Le cri de détresse des Experts Comptables

Le cri de détresse des Experts Comptables

Réunis, en grand nombre ce samedi 13 février 2016 dans le cadre d’un colloque sur « la responsabilité pénale des dirigeants sociaux et du commissaire aux comptes », les experts comptables Tunisiens, regroupés autour de leur Ordre (OECT), ont lancé un Sos de détresse quant à la situation délétère dans laquelle se trouve leur profession. Ils ont, particulièrement, déploré l’incompréhension de leur métier et demandé à le réorganiser en s’inspirant des législations internationales et à responsabiliser les dirigeants d’entreprises.

Ouvrant le colloque, le ministre de la justice, Omar Mansour, s’est voulu rassurant et optimiste. Il a rappelé le rôle incontournable du commissaire aux comptes en tant que partenaire de la justice, en tant que mécanisme d’alerte sur les délits au sein des entreprises et en tant que garant de la crédibilité et de la transparence des états financiers. Il a insisté sur le besoin de faire en sorte que les législations ne soient ni des freins et ni des instruments pour plomber la liberté d’entreprendre et d’investir.

Etat des lieux

Raouf Ghorbal, président du Conseil national de l’Ordre des Experts comptables  de Tunisie a annoncé la couleur en évoquant le malaise que vivent les commissaires aux comptes par l’effet de l’obligation d’informer le ministère public des erreurs et fraudes dont ils pourraient être au courant lors de l’exercice de leur métier.

Ahmed Mansour, président d’honneur de l’OECT, estime quant à lui que le métier de commissaire aux comptes est de nos jours difficilement exerçable.  Pour lui, il est surtout incompris par les utilisateurs de l’information financière, faisant assumer aux management de l’entreprise, notamment, au conseil d’administration la responsabilité de ne pas faire leur job en matière de respect des bonne pratiques de bonne gouvernance et de mise en place d’audits internes efficaces. Il pense qu’un commissaire aux comptes ne peut être condamné pour des erreurs non identifiées au triple plan moral, légal et matériel. Ahmed Mansour, qui considère que le conseil d’administration est responsable de la préparation et de la présentation des états financiers conformément au système comptable des entreprises, relève que le marché de l’audit n’est nécessaire que pour les entreprises dont les comptes ne sont pas réguliers. « On ne peut pas, a-t-il-dit, auditer une entreprise qui n’est pas auditable et où les dirigeants sont de mauvaise foi».

La bonne gouvernance, la solution idéale

Pour sa part, Fayçal Derbal, Président d’honneur de l’OECT  propose l’adoption des best practices en matière de gouvernance.  Ces bonnes pratiques de gestion constituent la panacée idéale pour prévenir et dissuader toutes sortes de dérapages gestionnaires. Actuellement, la Tunisie est très en retard. Pour preuve, il a cité le rapport Davos qui l’a classée à la 104 ème place sur 140 pays listés en matière d’efficacité des organes de gestion et à la 96ème place sur un totale de 140 pays pour le respect des normes d’audit et de reporting.  Il a plaidé pour l’institution au sein du conseil d’administration des entreprises de ce qu’il appelle l’administrateur référent dont 40% des entreprises cotées à la bourse de Paris (Cac 40) en sont dotées. Il s’est prononcé pour la nomination d’administrateurs indépendants et pour leur généralisation à tous les conseils d’administration. Actuellement, seules les banques comptent des administrateurs indépendants au sein de leurs conseils d’administration.

Pour des lois précises et cohérentes

Les autres intervenants, en l’occurrence, le magistrat Moez Ben Fraj, Imed Ennouri, vice président du de l’OECT, Nizar Chouk juge d’instruction, Mohamed Derbal, Expert comptable et Nejib Feki, avocat, Kamel Ksiaaa conseiller Inrise se sont empoyés à montrer l’absence d’harmonie entre les justices pénale et fiscale, l’absence de cohérence des lois, leurs imprécisions et autres dysfonctionnements législatifs et procédéraux.

Mohamed Derbal a stigmatisé cette tendance à copier sans discernement les législations Françaises en matière de délimitation des responsabilités du commissaire aux comptes et suggéré de revoir, dans les meilleurs délais, les réglementations régissant ce corps.    

Les pistes à explorer

Abstraction faite des interventions et du débat, les experts comptables ont fait état de leur détermination à défendre leur profession et proposé plusieurs pistes pour la sortir de la crise.

Ils recommandent en priorité de s’inspirer des expertises développées à l’échelle internationale aux fins de délimiter les responsabilités du commissaire aux comptes et d’accélérer l’adoption du la nouvelle loi qui réglemente la profession. Ce projet de loi a été inspiré des meilleures législations dans le monde.

Ils suggèrent également de limiter l’obligation d’informer le ministère public aux délits en relation avec le blanchiment d’argent et le terrorisme et de réviser les articles contraire à ce principe notamment les articles 270 et 271 du code des sociétés de commerce.

Les experts comptables préconisent de mentionner clairement dans des lois la responsabilité des personnes concernées par l’élaboration des états financiers, la mise en place d’un système de contrôle interne de l’entreprise et la responsabilisation de l’assemblée générale des actionnaires dans l’information du parquet de toute dérapage de gestion.

Il s’agit également pour eux d’oeuvrer à fournir davantage de garanties au commissaire aux comptes lors de l’exercice de son métier et de renforcer la coopération entre les décideurs dans le domaine judiciaire et les commissaires aux comptes en leur qualité de partenaires de la justice.

Autre recommandations : les experts comptables invitent les autorités publiques à réviser les articles qui chargent le commissaire aux comptes d’autres missions autres que celle qu’exige sa profession à l’instar de la loi 15 de 2010 et de limiter la responsabilité du commissaire aux comptes à la responsabilité civile et professionnelle et à écarter la responsabilité pénale lors de  l’exercice du contrôle des états financiers. Et au cas où il commettrait des erreurs professionnelles établies par l’Ordre, ils suggèrent de limiter la responsabilité pénale à des amendes matérielles à l’instar de ce qui se passe dans le monde entier.

 

 

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