Le putsch du ministre et le silence de Wadii Jarry 

Le putsch du ministre et le silence de Wadii Jarry 

 

C’est lorsque la personne est condamnée sans procès, qu’elle est lynchée par les médias, que sa voix est inaudible, qu’elle est poursuivie par la meute de chiens qui aboient qu’il faut justement essayer de l’écouter et de la défendre, parce que rien ne dit que ce qu’avance la rue et les médias soit vrai. Il y a même des chances que ce soit tout le contraire de la vérité.

Monsieur le ministre de la jeunesse et des sports - le reste du titre est trop long - a décidé, après avoir énuméré au préambule de son arrêté tous les textes réglementant la matière dans laquelle il compte intervenir, de nommer un « comité de gestion » à la tête du Club Africain pour une période de trois mois. 

Cette décision d’évincer le président élu d’une association a, dans la logique de la cabale médiatique l’ayant précédée et préparée, été applaudie par la rue, par les médias évidemment et même par des avocats pourtant connus pour leur extrême sensibilité à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales, mais qui, à cette occasion, ont fait prévaloir leur appartenance au club aux dépens de de leurs « principes ». Pourtant cette décision, que l’on veut populaire, est illégale et constitue un véritable putsch exécuté par le ministre des sports et couvert par le silence coupable de la fédération de football.

Le putsch du ministre

Après que la commission électorale « indépendante » rattachée à la fédération tunisienne de football eût décidé, au vu de « vacance administrative » ( concept nouveau ), de « nommer » un comité de gestion constitué de trois personnes qui en aurait fait la demande pour une période de trois semaines jusqu’à ce que les élections prévues pour le 21 février aient lieu, le ministre a mandaté un fonctionnaire de son ministère en vue de vérifier ladite vacance. Ce dernier, sûr de son fait, a déclaré, après avoir été sur les lieux, qu’il n’y a aucune vacance administrative. 

Ce constat provoqua l’ire des médias et des supporteurs clubistes. Ce qui, visiblement, a fait changer le ministre d’avis, puisqu’il n’hésita pas le lendemain à désavouer son fonctionnaire en nommant à la tête du club africain un comité de gestion (constitué des mêmes trois personnes), pour une durée de trois mois. Or, ni la loi de 1995 sur les structures sportives, ni le décret-loi de 2011 sur les associations sportives, ni même celui de la même année réglementant les associations en général, n’autorisent le ministre des sports ou tout autre organe de l’exécutif à prendre une telle mesure. Le décret-loi relatif aux associations sportives dit même le contraire, puisqu’il insiste sur l’obligation d’élire les bureaux des différentes associations sportives.

Ainsi, si Abdesslam Younsi, qui comparaîtra le lundi 15 février - pur hasard - devant le juge d’instruction, sortira libre de son entrevue avec le juge, il pourra présenter au Tribunal Administratif un recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision du ministre qui, dans sa précipitation, a oublié de lui donner une assise de faits. 

Younsi pourra également présenter au président dudit tribunal une requête en suspension d’exécution qui aura, comme le recours pour excès de pouvoir, toutes les chances d’aboutir, puisque l’exécution de la décision peut avoir des conséquences irréversibles. Voulant à la fois pallier à la faiblesse de la décision de la fédération de football, qui ne pouvait décider du sort des autres sections d’un club omnisports, et surtout s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre le président de la fédération de foot, le ministre des sports a marqué des points contre un Wadii Jarry pourtant habitué à ne pas se laisser faire lorsqu’il s’agit de toucher à son domaine de compétence.

Le silence complice de la fédération

Wadii Jarry  était allé jusqu’à écrire une lettre à Ghannouchi pour se plaindre des ingérences du ministre des sports Tarak Dhiab dans les affaires de sa fédération. Il avait même brandi – comme il le fera souvent plus tard – l’épouvantail de la FIFA ou des recommandations de l’instance suprême du football qui iraient jusqu’à exclure l’équipe nationale et les clubs tunisiens de toutes les compétitions internationales, si le pouvoir politique se rendait coupable d’ingérence dans les affaires des fédérations et des clubs affiliés à l’instance siégeant à Zurich. Mais, curieusement, cette fois-ci le président s’est muré dans un silence assourdissant.

Pourquoi ? En fait la fédération n’a fait que suivre le mouvement, la tendance. Elle a cédé à la pression, relayée par tous les médias qui avaient décidé que Younsi est la cause de tous les maux du Club Africain, alors que tout le monde sait que si ce club n’a pas réussi à qualifier ses recrues, qui lui auraient certainement permis de présenter un meilleur visage que celui dont il a gratifié ses fans en ce début de saison, c’est parce que Slim Riahi – lui aussi sous le coup d’un mandat d’amener – est parti ( dans les mêmes conditions que Younsi) en laissant une ardoise astronomique qui a rendu impossible la conciliation entre dépenses quotidiennes et paiement des amendes prononcées par les instances juridictionnelles de la FIFA.

En fait, Abdesslam Younsi paiera pour tous ceux qui l’ont précédé et la machine infernale va commencer à le broyer dès le lundi 15 février 2021. A moins qu’il ne se rebiffe et décide de vendre chèrement sa peau. Quant aux nouvelles listes qui se préparent à attaquer les élections, elles devraient réfléchir à deux fois avant de s’embarquer. Car l’expérience a désormais montré que les clubistes n’hésitent pas à porter plainte pénale contre leurs présidents si l’échec est au rendez-vous.

Mohamed Ali Gherib 

(Avocat et ex-membre puis président de la commission nationale de discipline de la FTF de 2007 à 2020)

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