L’inquiétude de cent personnalités nationales à l’égard de l’indépendance de la justice

L’inquiétude de cent personnalités nationales à l’égard de l’indépendance de la justice

 

Dans une lettre ouverte au Conseil supérieur de la magistrature, une centaine de personnalités nationales ont fait part de leur inquiétude à l’égard de « l’indépendance de la justice et les atteintes aux droits des justiciables ». Présentée au cours d’une conférence de presse tenue ce mardi 7 novembre, cette lettre a été remise aux mains propres du président du Conseil, Hatem Ben Khalifa par Nadia Chaâbane et Salah Zeghidi qui, par ailleurs, ont été reçus par le président.  

Ci-dessous la lettre intégrale suivie de noms de signataires.

Mesdames et Messieurs les juges

Dans la bataille pour la nouvelle Constitution, nous étions nombreux à nous mobiliser, à l’intérieur de l’Assemblée comme à l’extérieur, pour que vous bénéficiez de votre indépendance dans l’exercice de votre mission et pour mette fin à l’instrumentalisation de la justice et sa mise sous tutelle par l’exécutif. Le bras de fer a duré plusieurs mois et, ensemble, nous avons fini par «imposer » à la majorité de l’époque qui vous refusait cette qualité, une Constitution qui garantit votre indépendance et permet l’édification d’un État de droit dont vous devez être les garants.

Depuis, et bien que la nouvelle Constitution vous donne les moyens de cette indépendance, l'évolution des choses a été pour le moins inquiétante, et le Tunisien se pose de plus en plus de questions à propos de l'indépendance de la Justice. Les dysfonctionnements et les dérives sont devenus nombreux et de plus en plus dénoncés par les médias et sur les réseaux sociaux.

Quand des crimes politiques sont commis, il n'est pas acceptable que 56 mois après, les coupables n’aient pas été sanctionnés. Quand les atteintes aux droits de la défense se multiplient d’une manière aussi criante comme dans certaines affaires récentes, quand les citoyens expriment désormais des craintes de passer devant un tribunal de peur d’être victimes de ces dysfonctionnements et de ces dérives, il n’est pas étonnant que le citoyen tunisien n’ait plus confiance en la justice et se sente abandonné par les juges.

Vous qui êtes les garants des libertés individuelles et de l’égalité devant l’application de la loi, êtes, pour une bonne partie du corps de la magistrature est,désormais,accusée de prendre des libertés avec l’application des lois, de faire preuve de corporatisme, d’instrumentalisation del’institution et  d’être de collusion avec certains intérêts politiques et partisans.

S’il est certain que votre rôle est irremplaçable dans la défense des droits et libertés individuelles et dans la protection des citoyens contre toute atteinte aux libertés, agressions ou manipulations, y compris celles émanant des autorités, notamment policières, nous estimons que vous devez éviter d’apparaître comme vous n’avez en aucun cas à être le bras judiciaire de la police, vous devez être, pour tout citoyen,  le bras du droit et des libertés des citoyens que la Constitution de 2014 a consacrés et renforcés. 

En vous interpelant aujourd’hui, nous voulons vous rappeler que la Constitution du 26 janvier 2014 consacre dans son article 108 le droit à un procès équitable en disposant : « Toute personne a droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. Les justiciables sont égaux devant la justice… ». Consacrer ce droit dans votre pratique quotidienne est de votre responsabilité et de votre devoir.

Nous voulons aussi vous rappeler que le rôle des magistrats est de sanctionner au nom de la loi toute violation des libertés et des droits, quel que soit l'auteur de cette violation et que le pouvoir d’appréciation dont vous disposez ne peut être au-dessus des lois et de la Constitution. Nous ne voulons, en effet, ni de "gouvernement des juges", ni, - encore moins- de "gouvernement de policiers". C'est en toute indépendance que vous devez juger, dans la sérénité et loin de tout calcul corporatiste, de tout enjeu politique ou partisan car, dans un état de droit, la justice est indépendante ou elle n’est pas. Dans la République civile et démocratique que nous voulons bâtir, il n’y a pas place pour une Justice partisane. Par-delà la «pénurie persistante des moyens matériels et humains» souvent évoquée, permettez-nous de vous dire que l’indépendance et l’impartialité ne dépendent pas des moyens matériels de la justice. C’est une question de volonté, de courage et de responsabilité.

Nous voulons enfin vous dire, Mesdames et Messieurs les magistrats, que, pour rendre la justice « au nom du peuple tunisien », il faut avoir sa confiance, que cette confiance est sérieusement entamée aujourd’hui et qu’il ne tient qu’à vous de gagner cette confiance. Il y va de l’intérêt suprême du pays et de l’Etat de droit.

Les signataires:

Jrad Neyla (Enseignante) / Bergaoui Aida (Ingénieur) / Ammar Samia (Editrice retraitée) / Ben Amar Nihel (Universitaire) / Gmir Raja  (Universitaire) / Smida Mohamed  (Juriste) / Ben Abdallah Haifa (Consultante) / Chaabane Nadia (Constituante / militante politique) / Zeghidi Salah (Cadre sup de banque retraité / militant politique ) / Belkhiria Amel (Pharmacienne) / Lakhal  Mourad (Enseignant) Hamda Zakia (Productrice Artistique) / Hammi Houssem ( Cadre) / Abdelkefi       Feten (Militante Culturelle)  / Hammami Inès(Maître de conférences) / Oueslati Jihène ( Consultante) / Charni  Zeineb  (Professeur Universitaire) / Ben Cherif                Khalil (Consultant) /  Farhat  Zeyneb (Directrice de Théatre)  /  Jebali Taoufik  (Homme de Théatre) / Aleya Sghaier Amira  (Professeur Universitaire, Historien Universitaire / Ecrivain) /  Bardaoui Wahida   (Retraitée Directrice Banque) /  Limam Jinan  (Universitaire) /  Nigrou  Kais (Chirurgien) / Kerrou Mohamed (Universitaire/ Sociologue/ Ecrivain) /  Letaief Brahim ( Cinéaste)  /  Farhat Youssef (Agriculteur)  / Rammeh Chekra (Actrice)  /  Skandrani  Nawel (Chorégraphe) /  Rebai Yomna  (Enseignant-Chercheur à l'Ecole Polytechnique de Tunisie)  /  Mejri Faiza (Journaliste, Présidente de Pontes Tunisie)  / Boujemaa Hind (Cinéaste)  /  Ben Sassi Sami  (Médecin)  /  Ben Haj Yahia Fathi                (Enseignant / Auteur) / Sekik Nozha ( Chercheuse retraitée)   /  Ben Miled Hatem (Cinéaste)  /  Jeddi Essedik (Professeur en Psychiatrie)  / Hajri  Salma (Membre de l'association Tawhida Ben Cheikh)  /  Grami Amel ( Professeur universitaire) / Bel Hédi  Habib  (Producteur)  /  Chapoutot Remadi       Mounira (Universitaire)   /   Ferjani Cherif  (Universitaire)   /   Ltifi Adel  (Historien)  /  Hamadi Lotfi  (Fondateur de l'organisation "Wallah We Can")  / Mabrouk Selma (Constituante, Médecin)  /   Baccar Selma (Constituante / Cinéaste)  /  Souid Karima (Constituante)    /  Ben Achour Abdelkefi Rabâa (Ecrivaine)  /  Ben Slama Raja (Universitaire)  /  Turki Zeineb (Médecin / militante politique)  /  Skik Hichem (Universitaire)   /   Sellami Mahsouna (Universitaire)  /  Mellakh Habib (Universitaire)  /  Guellaty Moncef   (Editeur) / Belhaj Zekri Radhia (Enseignante / militante féministe)  /  Marzouki Nafissa Wafa (Constituante)  /  Omezine  Besma (Activiste de la société civile)  /  Chekir            Hafidha ( Professeur de droit / militante associative)  /  Ben Hiba Tarek  (Fonctionnaire / militant associatif de l'immigration)  /  Mizouni Najet     (Professeur de droit public)  /  Ben Sma Mustapha  (Commerçant )  /  Azizi Habib (Universitaire)  /   Miled Mongi  (Ingénieur)   /  Halouani Hafedh  (Chef d'entreprise)  /  Mestiri Saloua  (Enseignante / Poétesse)   /   Ben Guiza Tahar (Universitaire )   /  Gaça  Nejib (Animateur culturel)  /  Zeghidi Mourad  (Journaliste)   /  Fellah Mounir (Producteur culturel)  /  Ben Slimane Moncef  (Universitaire)  /  Abdeljawed  Hela  (Médecin)  /  Ben Ammar Radhia (Gérante espace Culturel)  /  Mechri Allagui Balkis  (Enseignante)   /  Hamza Nabila   (Communicatrice)  /  Ben Mustapha Heikel   (Universitaire)   /   Ben Azouz  Nabil  (Enseignant)    /   Hentati  Melika  (Universitaire)  /  Triki  Besma  (Universitaire)  /  Gabous Abdelkarim  (Universitaire / Publiciste)   /  Kafsi Ayadi Rafika  (Médecin)   /  Ezahi BenRomdhane Habiba (Médecin) / Bououny Habib (Instituteur)   /    Kedidi  Hamadi     (Enseignant / Animateur culturel)    /    Guiza    Med Ali  (Cadre sup de banque)   /   Fliss Med Salah   (Employé)   /   Belhaj Ali   Amel     (Journaliste)   /   Khriji Salah (Enseignant)   /   Allagui  Abdelkarim      (Universitaire) / Guiga Saloua (Enseignante)  /  Ounaiès Salem (Universitaire)    /   Khenissi Mohames(Cadre Supérieur)    /   Mahjoub Raouf (Universitaire)    /   Baaboura Noureddine (Juriste)   /   Essafi Nora   (Enseignante)   /   Touibi Slaheddine  (Médecin)    /   Brahmi Naceur (Enseignant)   /   Gharbi Rafika (Cadre bancaire)    /   Cherbib  Mohieddine (Militant associatif de l'immigration )   /  Seddik Youssef (Ecrivain, Philosophe)  /   Belkhodja Abdelaziz (Editeur / Ecrivain)   /  Mosbah Saadia (Cheffe de cabine Tunisair / militante de la société civile) / Ben Chaabane Aida (Professeur de Français)   /  Ellala Mohamed Lakhdhar  (Militant associatif de l'immigration).

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